Have I ran fast enough ? No. I keep on wearing this inmate outfit.
Un premier coup, puis un second. Une grimace, puis une envie soudaine de me racrapoter. Une autre grimace, puis mon désir de m’assoupir déguerpit, emportant une besace signifiant que jamais je ne pourrais ravoir ne serait-ce qu’un espoir de reconquérir sa douceur. Du moins, pas maintenant, pas ce soir, pas dans cet état. J’aurais eu beau rugir ma rage et maudire cet astre nocturne qui, chaque mois, m’apportait des crises d’insomnies. Je n’y aurais que perdu ma voix. J’aurais eu beau m’abandonner à un chagrin digne d’un enfant chétif et pourtant grassement gâté, je n’y aurais gagné que des yeux ravagés par une sécheresse aride. J’aurais pu tenter une myriade d’options que rien n’y aurait fait. J’étais prisonnier de mon corps, prisonnier de cette nuit et de son indécence. Mon pyjama, rayé façon fourrure de zèbre, cachait de tout son être ma peau, ne manqua pas à imprimer dans ma mémoire ma condition nocturne. J’étais un détenu, condamné à une peine que personne ne pouvait souhaiter. J’étais mon propre otage, pris entre une dispute que ni mon corps ni mon esprit n’avait envie de perdre.
Un troisième coup. Cette fois, c’eut été trop. D’une force à peine restreinte, je me frappai au ventre. J’aurais aimé que soudainement tout s’arrête. J’aurais aimé que ce coup de poing, absurdement dirigé contre ma propre personne, me fasse sourire, me permette de retrouver ma convoitise du moment, cette déesse des rêves qui nous berçait avec une tendresse digne d’une mère – si tant était que notre mère avait été douce. – J’aurais aimé, mais je ne trouvai qu’un pincement puissant qui s’ajouta à ces sensations d’un inconfort d’une grande intensité. Et, sans grand surprise, mon corps ne s’en accommoda pas. Ses signaux se renforcirent, je commençai même à en entendre par intermittence. Mes craintes s’accentuèrent. Des borborygmes grattant mon intestin, on pouvait maintenant discerner un étrange et puissant grognement, que j’aurais pu confondre au cri d’un Arcanin. Un aboiement rustre et insistant. Si insistant que son enchaînement devint rapidement un concert dont chaque instrument se succédait en un écho qui ne trouvait jamais de fin, répétant sans cesse un nouveau rugissement de mon ventre. Ç’aurait été envoûtant si on avait pu y retrouver ne serait-ce qu’une harmonie approximative ou un canon symphonique.
Si par une inhibition soudaine j’avais entrepris de composer une chanson en cette nuit, si j’avais été un compositeur, peut-être aurais-je été inspiré par cette muse que je n’avais pas désirée. Et si des tambours gastriques de mon estomac était né un hymne digne des grandes nations ? Et si de mes maux étaient née une œuvre d’art que personne n’avait jamais pu imaginer ? Ne sait-on jamais. Peut-être aurais-je pu me faire connaître, mais, comme tout humain, j’avais mes torts. Je n’arrivais pas à apprécier ce brouhaha que mon propre corps créait vigoureusement. Dès que mon ouïe avait capté ces sons, mon visage se crispa davantage puis, poussé par un instinct brusque, je me dérobai à mon édredon et à son confort tempéré. Je posai mes pieds au parquet avec vivacité. « Ça suffit! » poussais-je en un chuchotement étouffé comme si on m’avait demandé ce que je faisais. Personne ne dormait à mes côtés, mais je me devais de renseigner quiconque eut pu entendre cette symphonie qui durait depuis un moment. Entre mes gémissements et ces grondements bestiaux, je n’aurais même pas pu feindre être surpris qu’un voisin vienne cogner à ma porte pour exprimer son aversion du fracas que je croyais créer.
En bon prisonnier que j’étais, je me dressai.
D’un pas cadencé, je me ruai vers ces barreaux
Qui fermaient ma route, ajoutant au fardeau.
J’ouvris vite, espérant pouvoir m’épancher
De ce besoin qui se permettait de régner
En mon corps, ténu fief prêté à ses vassaux.
Bien modeste résistance contre mes maux. Ma porte n’avait pas tenu contre mes mains agitées, cédant et me permettant de découvrir ce spacieux corridor, peint en vert, que je franchissais chaque jour. Un vertige me prit d’assaut, ce passage s’éternisait sur de nombreux mètres, davantage que je ne m’en souvenais, davantage que ce matin quand j’en avais fait usage, du moins.
Cette crainte qu’a chaque prisonnier prenait soudainement tout son sens. Comme eux, je me retrouvais devant ce corridor vert sans fin, aussi impatient que nerveux d’arriver au bout. Aussi impatient que nerveux que tout soit terminé. Si j’avais attendu, comme eux, ce moment où je serais fauché par cette obscure chaise dont on entendait tant dire, j’aurais été dans ce même état qui me caractérisait à ce moment précis. Inquiet, épeuré et hâté de découvrir, si prochainement, une fin à mon histoire.
Avec honte, je traversai de toute sa distance ce corridor qui séparait ma chambre de ma paix intérieure. « Détroit de Fèces de mes deux… m’amusais-je en tentant de retrouver une certaine droiture dans ma démarche, posant chacune de mes mains contre chacune des surfaces que je pouvais croiser, comme si j’avais eu pour objectif de briser pour toute autre personne résidant dans mon appartement ces rêves que je ne pourrais conquérir ce soir. J’avais maugréé suffisamment fort pour être entendu. J’avais maugréé ce sobriquet avec force, j’en étais si fier, pointant ainsi chacune des éternités nécessaires à une unique traversée du corridor, comme pour ces détroits qui, anciennement, avaient uni certains continents comme si c’eut été des ponts. J’avais maugréé avec suffisamment de puissance pour que mes jurons répétés soient captés par une personne qui, doucement, aurait pu tenter de se dérober aux caresses de Morphée ou, au contraire, d’en profiter.
Puis j’arrivai enfin au bout du corridor, à son exact extrême, devant cette pièce que j’avais convoitée dès que ces crampes avaient assénées mes tripes de coups puissants. Dès que mon corps s’était empressé à me torturer cachant bien peu son désir de permettre à mon insomnie de triompher. J’ouvris. J’entrai. Je me réjouis. Je découvris ma propre chaise de prisonnier, bien que moins funeste. Je m’assieds enfin, m’assurant de crier mon triomphe pour qu’aucun doute ne subsiste. Tous sauraient que cette nuit, pendant que tout un chacun s’affairait à des activités de tout acabit, moi, je perdais une guerre contre un estomac effervescent. Contre un estomac qui insistait pour me communiquer des mots que je n’arrivais pas à comprendre. Contre un estomac qui m’accusait d’un crime que je ne croyais pas avoir commis; comme un bon prisonnier, j’étais innocent.
Mes pensées s’agitaient, tentaient de comprendre et de décortiquer. Je cherchais ce qui pouvait se cacher derrière ces soudaines crampes. Qu’est-ce qui avait pu causer suffisamment de dégâts pour que mes intestins trouvent nécessaire de m’empêcher de fuir mes tourments du jour pour une courte nuit. Tout se succédait rapidement dans ma tête, en partant des repas que j’avais eus, jusqu’aux personnes que j’avais croisées qui auraient pu être atteintes d’un virus aussi commun que mauvais, en passant par chacun des breuvages que j’avais pu ingérer.
Puis je m’arrêtai.
J’avais trouvé une source, un bouc-émissaire que je pouvais accuser sans peur d’être traduit en justice pour diffamation : ce repas, hier, ce saumon pourtant savoureux, fumé à point, cette bête que nous avaient servi nos hôtes, sur un tapis de roquettes. Je n’avais aucun doute, sa fraîcheur était synonyme de chacun de mes ennuis. Si je n’avais pas supposé sa péremption au premier abord, chacune des conjonctures que je pouvais tracées me ramenait à ce met que j’avais tant apprécié et qui s’avérait, pourtant, être indigeste.
Je cédai à une autre grimace, davantage prononcée que ses prédécesseurs. Je me crispai. Je me tordis un instant. Je sentis, sur ma joue, une goutte d’eau faire son chemin. D’un regard affecté, presque atterré, je regardai sa chute survenir. Son cri était sourd, muet, « enfin. » Goutte, de son nom, se détachant de ma peau, fusa jusqu’aux carreaux de céramiques à mes pieds, se fracassa contre sa rigide destinée, rapidement jointe par un cortège de ses compatriotes, vidant, progressivement, cet aqueduc qui desservait mes mirettes. Une existence éphémère et tragique.
Une autre crampe. Une autre grimace. Chacune se succéda s’assurant que je sache ô combien j’étais maudit d’avoir osé apprécier ce poisson, cette chose qui aurait dû recevoir cette sentence au départ. Maintenant, j’étais pris, sur une chaise qui, je croyais, verrait venir mon trépas. Piégé avec des maux de ventre qui ne connaissaient aucun répit. Cédant à un tourment caractérisé par un chagrin si grand que j’eus pu croire que, depuis toujours, une cascade s’était cachée en mes yeux. Je me sentais étouffé d’angoisses, comme si une main s’était éprise de ma nuque puis de mon cou. Mon appartement, que j’avais toujours décrit comme vivifiant, se ternissait; ses végétaux s’étaient transformés en des gardiens intimidants m’épiant pendant que je geignais, impuissant, honteux.
Comme un prisonnier, je devenais serviteur.
Comme un prisonnier, je m’atrophiais en vigueur.
Comme un prisonnier, j’enviais du monde sa saveur.
Comme un prisonnier, j’attendais armé de peur.
Comme un prisonnier, j’avais omis : des horreurs
Germent Muguet et Iris, promesses de bonheur.
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