Des ordres qui résonnent. Un sentiment d’oppression. Vite. Toujours plus vite.
Je veux respirer mais ne le peux. Pas encore.

J’encoche.
L’IA verrouille la cible.
Je décoche.

La flèche file à pleine puissance. Rien ne la perturbe. Pas même le vent qui gronde.
Carton plein ! Un tir : un mort. La créature est ensevelie sous les pas de ses congénères. Devant mes yeux et sur mes capteurs, la vague de jaillisseurs ne diminue pas. Des voyants en alertes, des notifications en pagaille !

Pas la peine de réfléchir, pas une seconde de réflexion !
Je recommence. Un cycle sans fin. Et pourtant, la situation est des plus pressantes. Inquiétante je dirais même.

Toujours plus vive. Toujours plus agressive. Toujours plus nombreuse.
Telle est la Horde de créatures qui se déversent dans nos rues vides.

Je suis seul. Mon soutien est en renfort pour extrader un camarade.
Mais je ne dois pas ralentir. Je dois maintenir la pression. Je dois les protéger. Ceux que j’aime, mais aussi tous ces inconnus qui vivent protégés par le Mur et la Baie. Protégés par nos armures et l’armée.

« Alerte ! Alerte ! Stock de nanomatériaux en état critique ! Stock de nanomatériaux en état critique ! »

Mon poing se resserre sur la poignée de mon arc. Mes dents s’entrechoquent. Mes oreilles vrillent sous l’alerte de mon IA.

Je sens la peur gravir en moi à l’idée d’être démuni. Pris au piège tel un rat solitaire.
J’envoie un signal pour demander à être récupérer, afin de rejoindre l’armurerie pour refaire le plein, et souffler. Mais alors que je termine mon action, je les vois qui n’ont pas cessé leurs déplacements.

« Central ! Position compromise ! Je me replie. Aisling Dearg pour extradition, stock d’armes bientôt à sec ! »

D’un bond, je déploie mon système de vol. On m’informe qu’une navette est en approche et sera sur ma position d’ici cinq minutes. Mais qu’est-ce que cinq minutes fassent à une bande toujours plus grosse ?! Une éternité.

Un hurlement sonore vient résonner dans la colonie.

Au loin, le Titan est aux prises avec l’équipe de front, aka l’unité « Lance ». En tant que membre de la dernière ligne de défense, je me dois de ne pas faillir. Pour eux. Pour Mel’ qui se bat en première ligne dans son armure. Pour mon beau-frère dans les tours de contrôle en pleine analyse et calibrage des armes de soutien.

« Frosted ! » dis-je.

Mon ordre est validé, et les flèches que je refusais d’utiliser sont générées. Je n’ai plus d’arme standard ? Bien. L’heure est venue de quitter la partition que je m’imposais. C’est le moment pour l’improvisation ! Maestro… Cinq minutes avant le Silence !

Position en hauteur, je décoche dans la marée. Une vague de givre se répand et vient en neutraliser. Leur peau de batracien n’aime pas la glace et d’autres se contentent de patiner. Mais ce n’est pas le moment d’être soulagé. Les corps des uns servent de tremplin aux autres qui bondissent vers mes hauteurs.

« Gaiste ! »

Le bleu de mon encoche se pare d’un jaune citron. La pointe se couvre d’un poids et le tir n’attend pas. Le filet électrique se déploie. Le piège se referme avec deux ou trois salves pour repousser ceux dont les griffes m’approchent de trop.

La sueur se forme dans mon casque.
J’ai chaud. J’ai froid. Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Mon cœur hurle sous l’adrénaline. Ma main ne doit pas trembler, mais ma poigne se fait plus dure.
Je rate un tir : un monstre en profite. Son attaque ébranle mon champ de protection et d’un coup de branche renforcée, je le fait chuter.

« Aigéad… »

Sitôt ordonnée, sitôt encochée. Je vise et la pluie d’acide se répand en contrebas. Leurs cris bestiaux me retournent l’estomac.

« Central ! »

Ma voix tremble. Mon corps est sous tension.

« Encore deux minutes Aisling Dearg ! » me dit-on.

Mon IA me notifie n’avoir plus qu’une poignée de flèches spéciales et aucun stock pour autre chose. Un nouveau cri au loin avec le bruit d’intenses explosions. Je peux même apercevoir avec l’acuité de mon armure le titan faiblir. Regain de confiance : on approche de la fin !

« Désolé Guy… Tu vas avoir du travail. »

Un murmure à l’intention du technicien en charge de mon écaille et de son équipement. Je ne suis pas censé utiliser la fonction suivante.

Sereinement, je ferme les yeux et inspire.
Ma main ne tremble plus. Ma peur s’atténue.

Quand mes paupières se lèvent, mes iris ne perçoivent que l’infinité du ciel et les anneaux stellaires. Un sourire sur les lèvres, je prends position.

Mon IA a activé, en réponse à mon ordre neural, la fonction expérimentale d’Asling.
Une flèche est ainsi générer. Une massive, plus lourde et conséquente que toutes mes flèches. Les muscles de mon dos hurlent alors que je bande les cordes. Les servomoteurs d’Asling chauffent et sont au supplice. C’est la force maximale de mon arme qui est déployée et qui expédie cette flèche juste au-dessus de la horde dans le claquement d’une corde rompue et un bruit de métal arraché.

« Alerte ! Alerte ! Armure endommagée ! Arme endommagée ! Plus de stock dans l’espace quantique ! »

Les alarmes me vrillent la tête mais c’est un mélange de tous ce que j’avais en stock qui se déverse sur la horde. Je préfère regarder vers le ciel alors qu’un puissant tremblement de terre annonce la chute du titan et notre victoire. Les jaillisseurs hurlent, fuient et se replient.

La navette arrive au-dessus de moi. Mon corps n’en peut plus et la fatigue bienvenue est accueillit.
Alors que je sombre dans l’inconscience, le soulagement m’enveloppant, je me permets une boutade.

« J’ai bien cru attendre ! »

Un rire me répond.
Finalement : je suis encore là. Et la Colonie aussi. Pour aujourd’hui et dans cent ans.