BàT : Epreuve 2 (mini-RP)

- Siv, grouille toi !

Freya secoua la cheville de la mercenaire suspendue tête en bas, entre deux toiles épaisses de l'étrange hutte en forme de bulbe. Le patchwork de couleurs criardes s'agitaient sous les rafales de vent, aussi violentes qu'irrégulières à cinq mille pieds de la terre ferme.

- Plus le temps de faire dans la finesse, insista-t-elle, arrache tout nom d'un réservoir vide !

Siv grogna quelque chose d'inaudible, la tête dans les cordages, avant de se redresser dans l'ouverture de la toile et de rejoindre la pirate, un petit coffre en bois précieux sous le bras et un grand sourire victorieux au visage. A la vue du "colis", Freya sentit la colère lui chauffer les jointures. Quel pilote s'essayait à la voltige aérienne les portes déverrouillées ? Des débutants, oui, mais lors du transit d'un cargo à cent mille crédit ? Le seul et unique abruti de tout Oxtros, leur pilote.

- Ragze fir öh !

Freya leva le nez en direction du cri d'alarme. Elle ne comprenait pas ce dialecte propre aux nomades de cette région d'Abroa-Skai. Le ton par contre, et la forme sombre qui grandit sur la toile jusqu'à devenir une suite de silhouettes humanoïdes, elle connaissait très bien. Un abordage !
D'un coup de couteau laser, elle déchira la paroi opposée à l'entrée puis se faufila à la suite de Siv. Un amalgame de planches dépareillées tout juste assez large pour un enfant zigzaguait entre d'autres bulbes de tissus ou de bâches. Les câbles qui les maintenaient aux énormes ballons à air chaud de la caravane disparaissaient dans le brouillard frais et dorée de l'aube. L'ensemble bougeait avec paresse au rythme du vent, dans une mélodie grinçante. Freya s'élança sans un regard vers le vide à demi masqué par les nuages sous leurs pieds. Et sans aucune idée de la direction à suivre pour rejoindre leur pilote.

Siv était à l'aise. Suffisait d'imaginer les coursives d'un vaisseau sans penser à l'absence de parois. Fastoche ! Jusqu'à ce qu'une rafale la déstabilise. On est vraiment bien qu'dans un vaisseau, nom d'une clé à molette ! En pleine course, elle perdit l'équilibre et se rattrapa à un filin d'une main tandis que l'autre serrait le précieux petit coffret contre sa poitrine.

— P'tain d'xblorg emp'illé !

Happée par le vide, elle ne dut son salut qu'à un filet qui emprisonna sa jambe droite. Avec un juron à faire pâlir les pires mercenaires de la galaxie, elle lança son autre jambe autour du filin auquel elle était agrippée pendant que Freya lui demandait ce qu'elle foutait en attrapant sa veste pour la ramener à elle.

— J'fais un aut' c'chon p'ndu, p'rdi ! Tire pl's fort !

Cependant, la structure de la caravane n'avait pas besoin des vents d'altitude pour être instable. Il fallu plusieurs seconde à Freya pour ramener sa comparse sur les planches, des secondes précieuses qui donnèrent l'occasion à leurs poursuivants de gagner du terrain. Avec un nouveau juron, Siv se jeta dans le sillage de Freya qui venait de récupérer la boîte.

— J'vais m'le faire, c'pilote, j'vais m'le faire ! hurla-t-elle.

Quand elles sortiraient de cette toile dans les airs, il plongerait cul nu dans la fosse à ordures du spatioport de Celuur où il rejoindrait ce gougnafier d'Elvis ! Encore un pignouf qui pensait pouvoir les rouler dans le cambouis ! Ça devenait une habitude.
Une lame taillée en pointe fila au dessus du crâne de la pirate. Elle transperça la paroi d'une hutte. Un cri de douleur vibra derrière la toile déchirée. Freya ralenti puis empoigna le col de Siv qui passait tête baissée devant elle et l'entraîna aussitôt sur une coursive à gauche où elles reprirent leur course d'équilibriste.

— Tiens moi ça, ordonna-t-elle en lui retournant le trésor dans les bras.

Elle fouilla les poches intérieures de son manteau. Une poignée de longues vis pesait au fond de l'une d'elle. Elle en sorti une. Plus longue que son index, fabriquée dans un alliage premium, la tête ronde et la pointe acérée.
Un instant, Freya ne sut quoi en faire et regretta avec amertume ses armes de tir bloquées aux douanes de la station orbitale - il avait bien fallu suivre un itinéraire de vol officiel pour répondre aux exigences de leur client. Puis Siv lui fila un coup de coude dans les côtes et désigna d'un coup de menton bleu un drôle d'engin amarré à un ponton isolé à quelques mètres d'elles.
C'était une coque brune géante en demi-sphère suspendue à un étrange cerf-volant décoré de tresses de papier comme les longs tentacules d'un hurson. Il paraissait aussi fragile qu'il devait l'être.

— Ça peut pas être pire que la casserole qui nous a conduit ici, lâcha Freya avec un regard en arrière vers les nomades furieux.

Elle rangea sa vis, récupéra le coffre des mains de Siv, agrippa une corde et la trancha de son couteau laser avant de s'élancer dans le vide vers le ponton.
Elle dû se retenir très fort de crier "Ragze fir öh !" à son tour mais ne retint pas le sourire qui découvrit ses dents.

Siv avait bien un commentaire en tête concernant l'état de la coque de noix qui allait leur servir de capsule de survie, mais se retint. Toujours rester positif, nom d'une carpette à roulettes ! Elle saisit une autre corde, délogea d'un clic une lame de son protège-bras, coupa net l'attache et se jeta à la suite de sa copine.

— Wouhoooouuuu ! fut son cri, n'en déplaise aux locaux.

Pas besoin d'être inventif. Elle atterrit derrière Freya qui s'affairait déjà aux amarres. Siv étudia rapidement le tableau de bord... quasiment inexistant. Le vol allait être une vraie partie de plaisir. Elle pressa l'unique bouton qui démarra une petite hélice paresseuse et poussa le manche en avant tandis que la pirate lancait les derniers bouts à la baille.

— Face de b'det spaci'l ! On va j'mais ava'cer dans c'truc !

Sur le ponton de fortune, un agresseur (oui parce que ce sont eux les agresseurs, okay !) essayait d'attraper la coque avant qu'elle ne soit trop loin. De concert (mais sans se concerter), les deux amies lancèrent un projectile sur l'assaillant. Une longue vis maison pour l'une, un bout de métal pour l'autre.

— Gaöh ! s'exclama-t-il.

— T'crois qu'ça v'ut dire "aïe" ? railla Siv en regardant le type se prendre la tête dans les mains, des filets de sang entre les doigts.

Mais déjà deux autres xblorgopithèques arrivaient. L'un d'eux, plus courageux que l'autre (ou inconscient, faut voir), se jeta dans le vide pour les rejoindre. Siv arma son bras pour l'accuillir.

Une bourrasque souleva brutalement la coque vers les nuages. Au même moment, le nomade tendait ses doigts crochus, un couteau entre les dents et ses yeux d'un bleu presque blanc qui détonnaient dans son visage bariolé de maquillage noire. Dans un instant de stupeur, il échangea un regard avec les deux mercenaires. Ses ongles griffèrent la surface métallique de l'engin avec un crissement à réveiller un ivrogne et il poursuivit son ultime course dans le grand vide dans un silence brave.
Siv lança un regard par dessus bord puis se tourna vers la pirate avec une moue dépitée.

— Pas fait exprès, s'excusa Freya dans un haussement d'épaules, tu zigouilleras le prochain.

Elle batailla avec le levier de guidage quelques instants avant d'apprivoiser la bête archaïque. OK, commandes inversées, et un démarreur pour l’hélice. Vraiment archaïque.
Cependant le vent, relativement calme vu la hauteur, rendait la manœuvre difficile. Elle réussit à se faufiler entre une suite d'énormes câblages, évita de justesse trois crash, arracha deux toits de hutte avant qu'une pétarade qui hérissa ses poils de mécanicienne n'attire son attention.
A la poupe - si on pouvait distinguer un avant et un arrière à cet engin - Siv s'efforçait de maintenir une visée de tir, prête à en découdre avec le premier pilote ennemi. Trois débouchèrent subitement de la nappe nuageuse en dessous d'elles et un, plus gros et à l'origine du bruit, les rattraperait bientôt. Déjà, Freya distinguait l'énorme canon pointé dans leur direction.

— Ce truc est au max de sa vitesse, à toi de jouer Siv !

Loin devant, un rayon de soleil perça le brouillard matinal et éclaira un ballon à air chaud géant. Une idée germa dans la caboche de la pirate.

Siv avait balancé tout ce qui lui tombait sous la main sur leur petite poubelle volante (vu les circonstances, ça ne changeait pas trop ses d'habitudes) quand elle aperçut le gros machin coloré. Tout ici semblait fabriqué avec les moyens du bord et cet énorme ballon ne faisait pas exception : sa toile n'était qu'un assemblage bigarré dont la forme finale laissait à désirer. Enfin, quand on était un peu regardant sur l'esthétique.

Premier effet kisskewl : Oh merde, ce truc est énorme, avance plus vite que nous et est bien mieux armé !
Deuxième effet kisskewl : Oh mon joint de culasse, ce truc est un ballon !

La mercenaire poussa une clenche sur son avant-bras. Dans un tintement métalique, qui ressemblait à s'y méprendre à une lamelle en zinc de basse qualité qu'on ferait vibrer au bord d'un établi, un arceau se détendit faisant claquer une cordelette solidement attachée à ses extrémités. Siv tira d'une poche le seul carreau qu'elle possédait — c'était trop encombrant pour en porter d'autres, surtout qu'elle se servait rarement de cet appareillage presque aussi archaïque que leur rafiot. Cependant, ce carreau-là était customisé : elle pressa l'arrière et aussitôt, des pointes surgirent du corps métallique, lui donnant presque l'aspect d'un hérisson. Un seul carreau donc, mais le genre qui déhire horriblement tout ce qu'il traverse. Elle avait déjà pu en voir les effets sur un Nemien et le résultat n'était vraiment pas beau à voir.
Elle arma l'engin, visa soigneusement et tira. L'arbalète de mauvaise qualité fit parfaitement son affaire. Le carreau fila plus vite que le vent et arracha la toile sur tout le côté droit. Déséquilibré par une fente béante de presque deux mètres de long, le ballon fit une embardé et envoya valser son cannonier qui fit feu en essayant de se rattraper.

Le boulet passa à un mètre cinquante de leur taudis volant. Siv riait comme une possédée.