Aurel avait terriblement mal au crâne. Le genre de douleur qui lui rappelait fort peu agréablement quand il s’était fait trancher sa belle corne.
Le genre de douleur qu’il n’aimait vraiment pas subir, et qu’il était prêt à faire disparaître.
Autour de lui, le lieu ressemblait drôlement aux Enfers sans l’être. Une sensation cuisante d’être épié le fit se relever précipitamment, lever les yeux, et contempler une immense montagne… Un immense volcan, plus précisément.
L’odeur de souffre et les coulées de lave éclairant le paysage étaient tout d’un coup justifiées.
Aurel se gratta le crâne perplexe avant de réaliser qu’il n’était pas seul. Il s’avança, voulant aider à se mettre debout une jeune fille dont le teint clair le fit se demander si elle n’était pas morte, quand une voix tonna derrière lui, grave et sévère.
Il se retourna et fit face, un sourcil haussé, à un vieillard le dépassant presque, à la longue toge grise sur laquelle on distinguait à peine sa barbe tout aussi grise.
Il avait l’air aussi vieux que le volcan.

“Ô voyageurs… Inespérés, je viens à vous sur les fils du destin, vous annoncer votre mission pour vous sauver vous et vos plus proches, de la destruction qui est prête à s'abattre sur vos vies.”

L’homme se racla la gorge, d’un air perplexe, et ses yeux se posèrent sur le démon longuement, comme s’il se questionnait sur ce qu’il voyait.

“Vous… Eh bien, il vous faut affronter votre sort au sommet de la Montagne du Destin !”

D’un ample geste, il indiqua le volcan, avant de siffler de toutes ses forces, obligeant Aurel à se boucher les oreilles. Il leva les yeux pour observer, éberlué, un aigle immense se poser auprès d’eux. Le vieillard vint à grimper sur le dos du volatile, leur jetant un dernier regard sceptique.

“J’ai des feux d’a… Des missions plus urgentes à régler, je compte sur vous pour ne pas faillir à la vôtre.”

Et l’aigle s’éleva dans les airs, soulevant tant de poussière, qu’Aurel se mit à tousser en jurant.

“On ne peut même plus être laissés en paix, hein…”

Emrys & Ezylone:

Emrys se réveilla avec la bouche pâteuse, un affreux mal de crâne lui vrillait les tempes et une odeur nauséabonde lui collait aux narines. Ouvrant un œil, elle retint de justesse un cri en réalisant qu’elle gisait sur un sol totalement inconnu. Des collines de rocaille sombre à perte de vue, d’où s’échappaient par endroit des volutes de fumée sans doute à l’origine de cette atmosphère chaude et lourde… Et comme si cette vision n’était pas suffisamment sinistre, un immense volcan crachant des flammes surplombait le tout. Elle pensa d’abord avoir été kidnappée, mais abandonna vite cette idée au vu de l’absence d’entraves à ses poignets et chevilles. Elle fouilla sa mémoire pour essayer de comprendre comment elle était arrivée là, mais ne trouva rien de concluant. Luttant contre sa migraine, elle tenta de se remettre sur ses pieds et remarqua alors seulement les deux hommes qui lui tenaient compagnie.

Enfin, hommes... L’un d’eux était un vieillard en guenilles et à la chevelure aussi grise et broussailleuse que sa barbe, portant un chapeau pointu ridicule. L’autre... Ce n’était pas un homme du tout. Rouge, cornu et avec une queue fine et terminée d’une pointe. Si c’était un change-forme, elle n’avait pas la moindre idée de quel animal il pouvait bien avoir été engendré ! La blanche voulut ouvrir la bouche pour demander où elle se trouvait et qui étaient ces deux curieux personnages, mais le vieux lui coupa l’herbe sous le pied en leur annonçant qu’ils devaient apparemment se lancer dans une quête de la plus haute importance.

La jeune femme resta sans voix, nageant en pleine incompréhension, et visiblement le troisième individu n’en menait pas plus large car un silence pesant plana pendant de longues secondes, avant que barbe grise ne tire sa révérence à dos d’aigle géant. La réalité semblait en train de s’effriter dangereusement... Une fois seule avec le rouge, Emrys tourna la tête dans sa direction d’un geste lent.

“Est-ce que je suis morte ?”

La pauvre ne trouvait pas d’autre explication à l’absurdité de cette situation.

“Et puis, qui êtes-vous d’abord ?”

Si ce n’était pas une situation bien cocasse, Aurel ne savait pas par quel autre mot elle pouvait être décrite. Il dévisagea sa compagne d’infortune, la jaugeant d’un regard doré et attentif. C’était bien la première fois qu’il la voyait, et il ne parvenait pas à savoir s’il l’avait ne serait-ce que déjà croisée.
Elle semblait aussi fragile qu’une brindille et était d’une blancheur surprenante, qui ne demeurerait pas aussi éclatante longtemps, au vu de leur environnement. C’était presque à lui faire mal aux yeux, cette accumulation de blanc sur le fond des pierres noires, carbonisées, volcaniques.
Il soupira doucement, en se passant les doigts sur le visage. Il ne se souvenait plus de ce qu’il avait bien pu faire pour mériter un tel sort. Qui avait-il fâché pour être expédié dans un endroit pareil ? Il l’ignorait sincèrement. Mais si parmi les plus proches cités par l’homme barbu qui s’était éclipsé, il y avait son fils… Eh bien, il ne se ferait pas prier pour aller le récupérer, même si c’était équivalent à sauter à pieds joints dans un piège.

“J’ai l’air d’en savoir quelque chose ?”

Il se retint de préciser qu’elle était bien en vie, devinant l’âme qui s’agitait au creux de sa chair mortelle. Elle lui semblait… Humaine. Et pourtant, elle avait quelque chose de différent de tous les humains qu’il avait l’habitude de fréquenter.
À croire qu’il devrait produire plus d’efforts en société.

“Je m’appelle Aurel.”

S’avançant d’un pas, il tendit sa main à la demoiselle, pour serrer la sienne. Mais ses yeux, eux, avaient déjà commencé à chercher un chemin quelconque sur les côtés de la montagne, espérant que l’ascension ne serait pas trop difficile.

“Je pense que nous devrions nous mettre en chemin au plus vite.”

Il pouvait entendre des sons différents provenant de tous côtés, le sol vibrant sous divers déplacements, l’air se chargeant d’odeurs complexes et qu’il ne parvenait pas à identifier. Sa queue vint fouetter l’air avec colère et anxiété, tant la situation venait le mettre mal à l’aise.

Le compagnon d’infortune de la blanche sembla l’examiner également, ils restèrent ainsi à se jauger pendant un moment avant qu’il ne lui réponde de façon assez brusque ne pas être plus informé qu’elle. Elle poussa un soupir de désespoir face à la réalisation que tous deux étaient aussi étrangers l’un que l’autre à ce décor sinistre. Il n’avait toutefois pas l’air aussi décontenancé qu’elle par la situation, ou du moins il le cachait bien si c’était le cas !

“Emrys, enchantée.”

Pas vraiment, mais elle était polie. La jeune femme serra la main tendue, avant que ses yeux ne suivent le mouvement de ceux d’Aurel, cherchant à comprendre ce qu’il avait derrière la tête. Visiblement, il avait l’intention de suivre les dires du vieux et de tenter l’ascension de cette… “Montagne du Destin”, c’était ça. Très dramatique, comme nom. La blanche n’avait pas grand chose à perdre et espérait au contraire trouver quelques réponses là-haut, aussi elle acquiesça rapidement.

“Je suppose qu’il n’y a pas grand chose d’autre à faire… À tout hasard, auriez-vous la moindre idée de l’endroit où nous nous trouvons ? C’est curieux, je n’ai aucun souvenir de ma journée d’hier, ni de comment j’ai bien pu atterrir ici. Et cette migraine !”

Emrys n’avait pas souvenir d’avoir participé à une soirée de débauche, pourtant elle se sentait dans le même état que si ç’avait été le cas. Rien n’avait le moindre sens et elle commença à se demander si elle n’était pas simplement en train de rêver. Mais où donc aurait-elle pêché l’idée d’un partenaire de quête aussi curieux ? Commençant leur ascension, elle se permit de poser la question qui lui brûlait la langue.

“Excusez ma question, mais… Êtes-vous bien réel ? Tout cela ressemble fortement à un rêve - ou plutôt à un cauchemar à vrai dire. Et jamais je n’ai croisé de créature telle que vous en Ezylone ! Qu’êtes-vous donc ?”

La jeune femme avait bien voyagé durant cette dernière année, elle était sûre d’avoir rencontré toutes les races présentes sur le continent et il n’en faisait définitivement pas partie... Par Apophis ! Aurait-elle par mégarde traversé l’Horizon des Oubliés ?!

La jeune fille semblait au bord du désespoir, et ça, ce n'était pas le domaine d'Aurel. Il se contenta donc d'avancer, prenant des appuis stables et sereins. Il écoutait les paroles de la demoiselle d’une seule oreille. Cependant, la compagnie était, mine de rien, agréable. Il avait rarement l'opportunité de faire des... Randonnées, qu'importe leurs objectifs possibles. De plus, l’avantage était que se concentrer sur leur avancée, sur le mouvement des cheveux d'Emrys, sur les volutes de fumée s'élevant autour d'eux, tendait à apaiser les maux de tête du démon, qui se détendit davantage.

“Aucune. On dirait un peu chez moi mais... Ce n'est pas le cas.”

S'ils avaient été envoyés aux Enfers, Aurel n'en aurait pas vu beaucoup de l'amabilité de sa compagne de route. Si elle ne se serait pas évanouie de terreur, elle n'aurait certainement pas osé lui adresser la parole.
Une oeillade suspicieuse confirme une nouvelle fois au démon qu'il s'agit bel et bien d'une humaine. Dans le doute, il semblait prêt à le revérifier toutes les cinq minutes.

“J'avoue que moi non plus mais... C'est une habitude. Je n'en suis donc guère étonné.”

Haussement des épaules indifférent, Aurel lui tend le coude comme un gentleman avant d'éclater de rire à sa question. Un rire sincère, et un peu incrédule.

“La réalité est une ruse et un concept abstrait. Mais je n’apparais jamais dans les cauchemars d’autrui. Si ce n’est qu’un songe, c’est un rêve assurément… Bien qu’il lui faudrait bien une meilleure décoration.”

Il laissa un large sourire s’étendre sur ses lèvres avant de froncer les sourcils, réalisant qu’une autre information s’était faufilée sous son nez, à deux doigts d’être oubliée.

“Et quel est donc cet endroit donc vous parlez ? Y a-t-il une autre ville que l'Apocalypse a déterrée des cendres ?”

L'idée d'avoir raté toute une ville, avec tant de possibilités de vols éventuels, lui fit prendre une mine sacrément outrée, et le força à un arrêt complet.

Aurel ne semblait pas avoir plus d’idée que la blanche sur l’endroit où ils se trouvaient, ni sur comment ils étaient arrivés là, mais cela ne semblait pas le déranger outre mesure. Comment pouvait-il rester si stoïque dans une telle situation ? Cela dit, son calme olympien agissait comme un tranquillisant sur la jeune femme, qui aurait probablement déjà perdu tous ses moyens si elle s’était retrouvée seule. Il offrit une réponse plus que cryptique à sa question, la faisant hausser un sourcil.

“Avez-vous un pouvoir en relation avec les rêves ? Pour ma part, je manipule le sable et la roche… D’ailleurs, les vibrations du sol sont plutôt inquiétantes, ce volcan a l’air sur le point d’entrer en éruption.”

Emrys n’avait jamais ressenti pareille perturbation, mais n’ayant jamais été confrontée à un volcan actif auparavant, elle avait du mal à évaluer si toute cette activité était normale ou non. Le rouge se stoppa soudain dans son ascension et la blanche faillit se le prendre de plein fouet, avant d’elle-même afficher un air surpris par sa question.

“L’Apocalypse ? De quoi parlez-vous ?! Ezylone est… Eh bien ce n’est pas une ville, mais un continent. Je pensais bien ne plus m’y trouver, mais… Je n’ai aucune idée de comment j’en suis partie, et surtout comment y revenir.”

Personne n’avait jamais exploré les terres au-delà des frontières... Ou du moins, personne n’en était jamais revenu pour le raconter. Peut-être serait-elle la première ? A moins qu’elle ne soit en train de rêver, ce qui n’était toujours pas exclu. Ou qu’elle soit morte, ce qui serait bien pire… Coincée sur cette montagne pour l’éternité avec un compagnon plus qu’étrange.

La jeune femme poussa un nouveau soupir avant de se retourner pour observer les environs. Ils avaient déjà pris un peu de hauteur et elle pouvait à présent voir toute la vallée, qui était aussi morne que le reste. Du mouvement attira son attention en contrebas et elle étouffa un cri en tirant sur la manche de son partenaire.

“Mais que sont ces affreuses créatures ? Bon sang, je crois qu’elles nous pourchassent, courez !”

Le visage du démon se défigura d’un étonnement sincère, et d’un sourire perplexe.

“Un pouvoir en relation avec les rêves ? Non. Je suis un démon de la colère, c’est tout. Mais… Vous ? Vous êtes une cadutie ?”

Il savait que la confusion était aisée entre les humains et ceux dont les gènes avaient subi des radiations mais… Il avait tout de même l’habitude à ce que le passif incestueux de l’espèce ressorte davantage. Et bien qu’on puisse blâmer Emrys d’être albinos, il lui semblait, à première vue, que c’était la seule chose dont elle était affligée.
Ça, et une capacité de réflexion dépassant visiblement la sienne.
Les yeux du démon se levèrent sur le volcan, comme le jugeant du regard. Il ignorait précisément ce que voulait dire “entrer en éruption”, mais il se doutait que ce n'était guère glorieux.

“Et on doit monter tout là-haut ? Rassurant.”

Pourtant cette inquiétude fut relayée au second plan lorsqu'elle expliqua ce qu'était Ezylone. L'idée qu'Aurel puisse être passé à côté de tout un continent le rendait tout bonnement dingue. Comment cela avait pu passer au nez et à la barbe de Lucifer ? Ne leur aurait-il pas donné d'autres indications s'il savait que Pandémonium n'était pas la seule ville préservée ?
Mais même s'inquiéter allait devoir attendre.
Le regard du démon suivit celui d'Emrys, et il poussa un glapissement en voyant les créatures difformes se déplacer chaotiquement en contrebas. Ils ressemblaient à des maudits, avec leurs chairs dégoûtantes, leurs visages inhumains, et leurs... Carrures, variables et peu ragoûtantes. C'est un instinct paternel qui s'éveilla en lui alors qu'il saisit le poignet de la fille pour la tirer derrière lui, s'élançant sur le chemin.

“Je n'en sais rien, mais je ne veux pas vérifier de près !”

L’odeur que dégageaient les créatures à leur poursuite ne lui donnait qu’envie de vomir, mais leur colère, elle, l’alimentait, comme si on l’avait branché à une prise électrique. Il réalisa bien vite que la jeune femme allait le ralentir, et s’arrêta brusquement pour la prendre dans ses bras telle une princesse.

Les sourcils d’Emrys se froncèrent à l’évocation de la race d’Aurel. Un démon ? Elle n’avait jamais entendu parler de ça. De cadutie non plus d’ailleurs ! Cette conversation devenait de plus en plus étrange à chaque minute qui passait, la blanche avait presque l’impression de parler avec quelqu’un venu d’un autre monde, carrément.

“Une… Quoi ? Non, je suis une Styrge !”

Elle retroussa les lèvres pour qu’il puisse admirer ses canines effilées. Cela dit, il n’avait probablement aucune idée de ce qu’était un Styrge, en fait... Mais c’était sans importance, entre la montagne qui grondait de plus en plus fort et la horde hideuse et puante qui se rapprochait dangereusement derrière eux, il y avait plus urgent que de papoter ! Le rouge attrapa son poignet et se mit à filer vers le sommet sans plus attendre.

Emrys tentait de suivre mais la cadence était trop rapide pour ses petites jambes, sans compter les vibrations qu’elle sentait dans tout son corps et qui se répercutaient de façon désagréable dans sa cage thoracique. Son compagnon sembla réaliser sa détresse et la souleva soudain de terre pour l’emporter avec lui dans ses bras. En temps normal, elle aurait protesté contre une telle proximité avec un inconnu, mais pour l’heure elle lui était plutôt reconnaissante qu’il n’ait pas continué en la laissant derrière !

“LÀ ! UNE OUVERTURE, SUR LA GAUCHE !”

La blanche dut presque hurler pour couvrir les bruits assourdissants autour d’eux. Plus ils se rapprochaient du sommet et plus le volcan grondait, l’armée à leur trousse n’étant pas en reste niveau volume sonore, et l’odeur de pourriture qui lui montait aux narines n’annonçait rien de bon non plus.

Les deux compagnons de fortune s’engouffrèrent finalement dans la gueule béante taillée à flanc de montagne. Aurel ralentit sa course et sa protégée en profita pour descendre de ses bras et regagner la terre ferme. Enfin, ferme, le sol tanguait beaucoup tout de même lui sembla-t-il. Elle n’eut même pas le temps de s’en inquiéter que la silhouette inattendue d’un vieillard les accueillit, dressé au bout d’un promontoire surmontant de la lave en fusion.

“Mais qu’est ce qu’il fait là, lui ?”

Une quoi ? Aurel haussa les sourcils, surtout lorsque la jeune femme exposa de longs crocs. C'était une vampire ? Pourtant, elle lui semblait bel et bien mortelle... Mais il n'eut pas le temps de s'interroger dessus plus longtemps.
Leur course effrénée dura jusqu'à ce qu'Emrys lui indique l’entrée d’une sorte d'immense caverne, menant vers le centre du volcan. Bien qu’à contre-coeur, le démon s’y engouffra précipitamment, espérant un peu de répit.
Une fois la demoiselle déposée à terre, Aurel se pencha pour reprendre son souffle. Il n'avait pas encore aperçu le vieillard, alors lorsque celui-ci parla, il sursauta, surpris, et releva la tête vivement. Il en avait marre de le croiser, celui-ci.

“Vite ! Il faut que vous sautiez, sinon on sera tous coincés ici !”

Aurel s'avança précautionneusement et jeta un coup d'œil dans la crevasse où la lave émettait une chaleur infernale. Et c'était le cas de le dire ! Même par chez-lui, il ne lui semblait pas qu'il fasse aussi chaud. Il jeta un regard à la jeune fille, mais le papy tout-de-gris ne semblait pas avoir de temps à perdre.

“Pas le temps d'hésiter ! On a été inconscients, maintenant il faut assumer. Si on ne saute pas, on est condamnés. De toute façon, cela n’aurait jamais dû arriver en premier lieu ! Il faut faire attention à ce que l’on met dans sa bouche, bonté divine ! Prenez-en de la graine, un peu ! Quant à moi… C’était une erreur. Ça arrive.”

Comme pour prouver ses paroles, des créatures immondes commencèrent à apparaître dans l'ouverture où un bout de ciel noir pouvait être aperçu, partiellement dissimulé par de larges pans de fumée grise.
Aurel prit une profonde inspiration et se décida. Après tout, son enveloppe était mortelle, mais lui, pouvait revenir. C’était l’avantage d’être un démon : quoi qu’il lui arrivait, tant que son essence demeurait, il pourrait revenir.
S'inclinant devant la jeune fille avec un sourire joyeux, il se laissa tomber en arrière, droit dans la bouche du feu. Il se prépara à la douleur. Les flammes avaient beau être jolies et agréables, il les préférait largement de loin que d’aussi près.

Les yeux d’Emrys s’ouvrirent comme des soucoupes quand le vieux leur intima de sauter dans la lave. Mais il était complètement fou ! La seule et unique raison pour laquelle ils étaient coincés sur ce promontoire, entre une horde de créatures belliqueuses et une mare de feu liquide, c’était LUI ! Depuis le départ, ils n’auraient jamais dû l'écouter, quelle grossière erreur.

“De ce qu’on met dans sa… Quoi ? Mais je n’ai rien mangé du tout !”

Était-ce seulement vrai ? La blanche n’avait aucun souvenir de ce qui s’était passé avant son arrivée dans ces contrées, si ce n’était cet affreux goût pâteux qu’elle avait en bouche. Peut-être avait-elle vraiment ingurgité quelque chose qu’il ne fallait pas ? Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua que trop tard son compagnon qui, visiblement prêt à aller jusqu’au bout, s’inclina devant elle avant de se laisser tomber dans le feu.

“AUREL, NOOON !”

Bon sang, elle se retrouvait seule dans cet endroit maudit avec un vieux fou et une armée en colère ! Les affreuses créatures avaient à présent passé l’ouverture et leur fonçaient droit dessus. La jeune femme sentit les larmes lui monter aux yeux et tourna un regard suppliant vers le vieux.

“Seul le feu pourra laver ce péché ! Sautez donc, faites-moi confiance !”

Et à ces mots, il se jeta en avant et disparut à son tour dans l’abysse brûlante. Emrys n’avait d’autre choix que de le suivre, entre finir brûlée vive ou déchiquetée par ces monstres, elle choisissait de mourir par le feu. Fermant les yeux et serrant son pendentif porte-bonheur entre ses doigts, elle se laissa à son tour tomber au cœur du volcan.

“AAAaaahhh…”

La blanche se réveilla en criant, allongée sur le sol froid et rocailleux des Terres Maudites, Shäan à ses côtés. Son crâne la faisait atrocement souffrir et elle avait vomi, de toute évidence. Ses yeux se posèrent sur l’écuelle encore pleine de leur repas de la veille et elle poussa un profond soupir. L’omelette aux champignons sauvages, plus jamais !