Le Beleriand avait été totalement englouti lors de la Guerre de la Grande Colère où les Valar jetèrent Morgoth le Maudit par-delà les Cercles du Monde. Les Eldar furent donc bien obligés de repasser les Monts Brumeux en sens inverse et se réfugier dans ces régions qu'ils avaient autrefois laissé aux Nandor...

Si Vaivilissë devait donner son avis, cette affaire relevait d'une amère déception. Certes, la menace de Morgoth avait été réduite à néant mais les Eldar avait perdu la joliesse du Beleriand. Mais on ne pouvait pas atterrer longtemps l'esprit ingénieux des Noldor ! Guidés par les Fëanorians de Celebrimbor, ils fondèrent Ost-in-Edhil dans la région de l'Eriador, et ne tardèrent pas à être prospères.

Avec les Nains de Khazad-Dûm à l'est, le royaume du Lindon au nord et les royaumes sylvains et sindarins plus à l'est encore, les relations étaient nombreuses et riches. A cela se rajouta, venus de l'ouest, les bateaux des Numénoréens, descendants des Edain, et du sang d'Elros, fils d'Eärendil.

Vaivilissë renifla d'un air méprisant. Ces Numénoréens, tout dotés d'une longue vie qu'ils étaient, ne restaient que des Humains. Et les Fëanorians n'oublieraient pas leur trahison devant Angband... même si on ne pouvait nier le courage des Edain lors de ce même jour.

Le Noldo soupira à nouveau. Il ne voulait pas accueillir la délégation numénoréenne. Mais le Gwaith-i-Mírdain l'avait dépêché pour les y représenter.

HRP :

« Et moi qui trouvais Armenelos un chef-d’oeuvre… » Pour la septième fois depuis leur arrivée à Ost-in-Edhil, Tarîkmagân s’extasia sur le savoir-faire de ses créateurs, au grand amusement de la doyenne du groupe. Heureusment, les autres eurent le bon sens de ne pas pouffer de rire, ce que leur guide (qui appréciait visiblement le compliment) aurait pu mal prendre.

HRP:

"Bienvenue dans la splendeur des Eldar." Vaivilissë avait capté la remarque du très jeune Numénoréen. Par les Valar ! Les emmenaient-ils au berceau, maintenant ? Les forges du Gwaith-i-Mírdain n'étaient pas un lieu pour promener des enfants ! Mais le Noldo roux se força un sourire sur les lèvres. Autant éviter un incident diplomatique s'il voulait assister à la prochaine conférence d'Annatar. Le seigneur Celebrimbor avait eu le bon sens de l'accueillir à Ost-in-Edhil, au contraire des méfiants seigneurs du Lindon et des royaumes sylvestres, quoiqu'en disent la Dame Galadriel et le Seigneur Celeborn !

Eh bien ce n’était pas la modestie qui l’étouffait celui-là. Enfin, bonne diplomate, l’Ancienne de Numénor s’avança avec un sourire chaleureux. « Merci pour cet accueil. Je suis Morilma, envoyée de Numénor. » Elle présenta ensuite un à un les membres de sa délégation à celui qui était venu à leur rencontre. Si elle avait utilisé le nom quenya qu'elle avait reçu il y a déjà bien des années, la plupart des autres qui l'accompagnaient n'avaient pas reçu de tel nom, et elle les présenta donc par leur nom numénoréen.

Les Noldor adoraient les langues, plus que tous les autres Eldar, et malgré toute sa bonne volonté à vouloir ignorer la délégation, Vaivilissë ne put s'empêcher d'analyser leurs noms adûnaic. Mais il n'allait pas leur faire l'honneur de leur dire. "Venez. Je vais vous mener aux forges du Gwaith-i-Mírdain. Que souhaitez-vous visiter en premier ?"

Etait-ce une lueur d’intérêt qu’elle lisait dans les yeux de leur guide ? Connaissant l’amour des elfes pour les langues en général et les mot en particulier (y compris les noms), elle n’aurait pas été surprise. « On nous a vanté les mérites de vos joailliers. » Un peu de flatterie ne faisait pas de mal quand elle n’obligeait pas à mentir.

Un grand sourire entendu dérida le visage du Noldo qui se redressa de toute sa haute taille avec un air entendu. "Je n'en suis pas surpris. Nos artisans sont des parangons de l'Art. Rares sont mêmes les Maîtres-Nains qui dépassent leurs créations." Son regard se tourna vers l'orient où on devinait les hauts sommets des Montagnes de Brume. Il prit un air rêveur en songeant aux forges souterraines de la Moïra. A la prochaine visite de Maître Narvi, il essaierait de se trouver un maître disposé à lui partager son Savoir. Mais, pour l'heure, Vaivilissë devait s'acquitter d'une autre tâche. "Par ici." dit-il en ouvrant la marche.

D’un côté, ce compliment avait eu l’avantage de mieux disposer leur hôte à leur égard, ne fut-ce que parce qu’il avait l’occasion d’étaler ses compétences. D’un autre, Morilma n’était pas tout à fait sûre que flatter l’égo déjà considérable des Noldos soit une bonne idée. Enfin, pour le moment, cela jouait en leur faveur. « Vous avez l’art de piquer plus encore la curiosité de vos visiteurs » , commenta l'Ancienne avec un sourire amical.

Un sourire suffisant dansa sur les lèvres du Noldo. "Il y a plus d'un Art où j'excelle, Ma Dame." Et s'il y avait une pointe d'arrogance dans sa voix, qui viendrait lui reprocher l'orgueil de la vérité ? Vaivilissë mena rapidement ses invités à travers la chaleur tonnante des forges du Gwaith-i-Mírdain. Les burins et les marteaux claquaient clair contre les métaux, les fresques des murs étaient vivifiées par les lueurs d'or, d'argent et de cuivre, et l'âcre du feu se mêlait aux fragrances plus douces des fleurs ; y avait-il plus beau tableau ?

Une pointe d’arrogance seulement ? Plus que ça, mais Morilma n’offenserait pas leurs hôtes en faisant la remarque. Entre la chaleur, les éclats du feu sur le métal, les odeurs variées et entêtantes et le bruit assourdissant des marteaux, elle mit un moment à s’habituer au changement de décor. Le spectacle des artisans au travail, était impressionnant, pas de doute là-dessus. « Quels autres arts pratiquez-vous ? »

"Je pratique la poésie, le chant, la musique, bien évidemment." répondit Vaivilissë avec suffisance. "Et l'escrime et le tir à l'arme, les arts équestres également." Son menton se redressait à chaque ajout sur sa liste. "Je travaille les métaux de guerre et les métaux précieux, les pierres précieuses, le verre et le cuir." Dans un geste désinvolte, il fit glisser sa tresse dans son dos. "Et je n'ai que mille ans. Mes pairs louent mes talents, et ils ne feront que croître avec les années." Pas comme ces Mortels limités par leurs années dérisoires... le Noldo garda pour lui cette dernière ligne de pensée.

Dans son dos, elle crut discerner des grommellements peu enthousiastes ressemblant à « crâneur ». Sa canne se posa sur le sol avec un peu plus de force qu’aux pas précédents, faisant taire les râleurs. Elle devrait leur rappeler plus tard le sens du terme mission « diplomatique ». Tarîkmagân, lui, était trop époustouflé pour avoir remarqué la grogne et lâcha un sifflement admiratif : « Ca doit vous faire des journées bien remplies. » Ignorant l’arrogance de leur hôte, Morilma poursuivit la conversation : « Y a-t-il un art que vous préférez pratiquer ? »

L'ouïe des Elfes était la plus aigüe qui soit sur Arda et le Noldo ne put manquer les réactions des Mortels. Loin de s'en outrer, il se tourna lentement vers eux en ourlant ses lèvres dans un sourire arrogant, une lueur prédatrice au regard. Que croyaient-ils ?! Il les surpassait en tout point. "Mon coeur balance entre la joaillerie et la poésie. Je ne sais ce qui est le plus Beau entre les irisements des Papillons ou la forme des Mots." répondit-il diligemment.

Leur guide avait beau faire un multiple de son âge, entre son arrogance et le comportement tout aussi puéril des membres de sa délégation, Morilma avait l’impression d’être entourée d’enfants. Eru Illúvatar, donne-moi de la patience. « Deux arts bien différents, et pourtant fort complémentaires. Avez-vous déjà envisagé de les mêler ? » Une ode au savoir-faire des joailliers, un bijou orné de vers… Les possibilités ne manquaient pas.

"Bien évidemment." répondit Vaivilissë en retenant un reniflement méprisant. Cette vieille femme aux années si vertes pensait-elle lui apprendre quelque chose ? Il sortit de sa tunique sa montre à gousset et le lui tendit. Au bout de la chaînette dorée pendait une petite horloge confectionnée avec soin et dont le rabat s'ornait d'un papillon irisant de couleurs qui étincelaient de nuances selon la lumière. "Un de mes plus beaux chefs d'œuvre. J'ai mis une année entière à obtenir ce résultat. Elle est unique."

Le plus énervant avec l’arrogance des Noldos comme leur guide était que souvent elle était bel et bien fondée, du moins quand il s’agissait de leur art. Le bijou était splendide, délicat et, en effet, unique. Enfin, au moins elle n’aurait pas à mentir pour faire plaisir à leur hôte : « Remarquable ! Et le jeu de lumières est particulièrement fascinant. Le papillon est là pour une raison particulière, ou simple préférence personnelle ? » Il ne serait certainement pas le premier elfe à s’inspirer de la nature pour son art, mais elle ignorait s’il y avait là une référence qui lui échappait.

Pour la première fois depuis le début de l'entrevue diplomatie, le Noldo parut gêné et incertain. Son déséquilibre ne dura qu'un instant avant qu'il ne renifle d'un air suffisant, reprenant sa morgue. "Les papillons sont de magnifiques créatures aux formes et couleurs diversifiées et bien souvent aussi délicates que fragiles. Qu'est-il besoin de plus pour en faire de l'Art ?"

Oh, le Noldo était capable d’autre chose qu’une suffisance arrogante ? Les autres membres de la délégation n'avaient sans doute pas vu le léger vacillement de leur guide, mais Morilma était assez âgée et avait fréquenté assez d’elfes pour le remarquer. Elle sourit en réponse à sa question : « C’est vous l’artiste, à vous de me le dire. »

"Et bien, je viens de vous le dire." Vaivilissë grimaça aussitôt à son propre emportement et se tança mentalement. Par les Valar ! Si Celebrimbor avait vent de ce faux pas, il ne le laisserait sans doute pas assister à la conférence d'Annatar, en le jugeant trop jeune. Il adoucit donc son ton pour ajouter : "Mais je peux aussi vous montrer."

Leur hôte était-il même un diplomate ? Si oui, il avait encore des progrès à faire dans ce domaine : la courtoisie ne semblait régulièrement lui venir que dans un second temps. Enfin, Morilma ne tenait pas à le décourager et ne refuserait certainement jamais une occasion d’admirer le savoir-faire des Noldor. « Je serais ravie d’en voir plus. » Elle était pour sa part une diplomate suffisamment expérimentée pour faire abstraction de l’arrogance de son interlocuteur et ne se concentrer que sur sa curiosité.

Un sourire sincère ourla les lèvres du Noldo. Ses yeux pétillaient aussi d'une lueur enfantine, de cette espièglerie qui précède les gentils tours. "Il faut s'éloigner des forges si vous voulez le voir... Suivez-moi." Il les mena vers des ruelles plus calmes de la cité où le chant des oiseaux se faisait entendre. Là, dans une petite place où la Soleil se déversait soudainement sans timidité, une petite clairière de verdure était nichée dans un écrin de marbre. Elle brillait des mille couleurs du printemps comme autant de fleurs où butinait une foule de papillons bigarrés. Vaivilissë dédia aux Mortels un sourire arrogant.

Même les Numénoréens les plus exaspérés par la suffisance de leur hôte ne purent retenir leur admiration face à la beauté de cette clairière hospitalière, si différente de la beauté (considérable) de la ville qui les entourait. Les Noldor avaient leurs défauts, mais le manque de goût n’en faisait clairement pas partie. Peu désireuse de rompre le charme de l’endroit, Morilma ne dit rien, mais son sourire admiratif était suffisamment éloquent.