{Que fais-tu Trésor ? Ce n'est pas la bonne direction.}

La réflexion l'avait figé en plein milieu d'un couloir, surprenant les enfants plus jeunes dans son dos. Le petit brun cligna plusieurs fois des yeux en constatant qu'il se rendait machinalement à l'armurerie chercher ses dagues alors que Pavel l'attendait sûrement devant les cibles de tirs.
Toujours comme un rocher au milieu d'une rivière (donc à gêner au milieu du passage), Klyde eut un soupçon de lucidité à la vue d'une bure au loin et s'activa à rapidement faire demi-tour rejoindre son mentor. Ses pas doublèrent le rythme mais sa tête restait lourde, comme si elle était à moitié dans les nuages avec la Sainte.

Klyde était en retard. Que de cinq minutes pour le moment, mais en retard quand même. Ce n'était pas dans ses habitudes. Vadim aurait-il encore tenté quelque chose ? Pasha était un homme patient. Pas nécessairement pour lui-même, mais il ne s'apprêtait pas à partir à la recherche du garçon qui était supposé connaître son horaire d'entraînement.

Il avait finit par retrouver la bonne porte pousser et entra avec un "Bonjour Pavel" hésitant - il était au bon endroit hein ? - et sans l'entrain habituel que le roux lui connaissait. "Ma faute pardon" s'excusa immédiatement Klyde. "Je... je me suis perdu." Il gardait les yeux rivés au sol, bien conscient du ridicule de son erreur.

Tu... t'es perdu, répéta Pasha, incrédule. Il arqua un sourcil involontairement, ce qui souligna à quel point il était sceptique de son excuse. Comment un gamin qui vit ici depuis le quasi-début de son existence peut s'y perdre ? Pasha pourrait parcourir se bâtiment à l'aveuglette.

Le caneton hocha la tête puis leva vers son mentor un regard suppliant qui criait "crois-moi", les yeux bleus larmoyants (classique) et les joues rouges (... moins classique). "C'est Sveta qui m'a dit que j'allais dans la mauvaise direction" avoua-t-il, ne parlant de la Sainte uniquement quand ils étaient que tous les deux. Et ils étaient bien que tous les deux, n'est-ce pas ? Klyde vérifia la salle que maintenant.

... pas le bon réflexe. Regarde au moins s'il y a quelqu'un avant de dire des choses que tu n'es pas supposé mentionné hors de ma présence, remarqua-t-il en passant les yeux sur son visage. Tiens... ses joues n'étaient pas un peu trop rouge ? C'était l'embarras ? Tu pensais à quoi encore pour te rendre si distrait ?

"Ma faute pardon" recommença Klyde. Il cligna plusieurs fois de ses petits yeux fatigués, ressentant bien qu'il avait de plus en plus de mal à faire le point. "Je... je sais pas, à rien." Et ça, c'était une nouvelle ! Lui avait toujours quelque chose en tête, que ce soit les mots qu'il trouvait de plus en plus rassurant de la voix, une chanson ou une récente leçon qu'il cherchait à mémoriser. "J'ai un peu de mal à la tête..."

Ce n'est pas que Pasha n'avait jamais été malade, mais il avait du mal à reconnaître les symptômes d'un début de fièvre avec Klyde. Tu te sens bien ? demanda-t-il quand même parce qu'il se doutait bien qu'il y avait un problème. Il n'avait simplement pas encore pigé quoi.

S'il se sentait bien ? Étrange question... Il lui fallu réfléchir sur lui-même pour le savoir, la réponse classique - et attendue- était souvent oui mais avec Pavel... le Frère Owen l'avait encouragé à s'ouvrir à l'autre garçon et à ne rien lui cacher. Il était son mentor maintenant, même si le petit ignorait encore la portée de ce mot. "Non, pas très bien. J'arrive pas à réfléchir, je mélange ce qu'elle dit et il fait chaud."

Il ne faisait pas chaud. Il faisait même très frais. Pasha avait l'habitude des courants d'air dans ses vieux bâtiments, mais il n'irait jamais jusqu'à dire qu'il y faisait chaud. Mhh... viens. Il lui fit signe de se rapprocher. Tu me laisses vérifier ? L'envoyer à l'infirmerie pour rien pourrait être mal vu aussi.

Klyde hocha mollement la tête et avança jusqu'au roux à petits pas. A ses côtés, il cligna de nouveau les yeux, comme si la pièce (ou le garçon) était trop lumineuse pour lui, et resta immobile en attendant le verdict du grand.

Il posa sa main contre son front et constata assez rapidement que le caneton était en effet chaud brulant. Il ne fallait pas être médecin pour savoir que ce n'est pas la température naturelle du caneton. Comment tu as chopé une fièvre ? s'interrogea quand même le roux. Ca se trouve il allait se faire gronder pour l'inattention.

"Je sais pas" se ratatina le garçon, persuadé que c'était lui qui se faisait gronder. {Ta main Trésor} intervint la Sainte et il la leva vers le roux sans comprendre. Le bandage était pourtant propre en apparence mais la blessure cachée restait importante : la dague manquée avait presque coupé sa main en deux en s'enfonçant entre les doigts, arrêtée principalement par les os de sa paume. Il se soignait bien pourtant, ça ne devrait pas se réinfecter. ...Si ?

Il ne savait pas, mais il leva quand même la main. Son instinct devait peut-être lui indiquer que le mal venait de là ? La confusion était visible sur le visage du roux. Il lui demandait de vérifier ou... ? C'est ta blessure ? Tu veux que je regarde ?

"C'est elle qui veut" lui répondit Klyde. Il aurait pu rire de la situation s'il ne se sentait pas si fatigué ; lui qui ne parle presque pas et Pavel qui pose les questions. {Tu ferais mieux de t'asseoir.} Et c'est ce qu'il fit, se laissant presque tomber au sol pour se mettre en tailleur, la main toujours levée. Oh mieux ! La pièce tanguait moins.

Et le caneton s'écroule. Ou du moins il se laisse tomber par terre. Comme d'habitude, Pasha n'a pas le droit à un avertissement. C'est comme s'il obéit docilement (et instantanément) les ordres de quelqu'un qu'il ne peut pas entendre.   Son Ange, il confirme. Mais... tu ne veux pas plutôt t'asseoir sur une chaise ? Plus facile pour lui de regarder sa main sans devoir se mettre accroupit aussi.

A la demande du grand, le regard bleu fut implorant mais il se releva tout de même. Seulement les vertiges le reprirent violemment et il manqua de perdre l'équilibre. Quelques pas en arrière pour se stabiliser mais le caneton n'était clairement pas en état de s'entraîner aujourd'hui. Et où était cette chaise ?? Il ne pouvait pas suivre l'ordre de Pavel s'il ne la voyait pas !

Non, ça n'allait vraiment pas. Klyde bascula de gauche à droite comme quelqu'un qui avait bu un peu trop de verres de vin. Avec ses gros yeux bleus larmoyants et son visage tout rouge, il faisait un tout petit peu pitié. Viens. Il posa ses mains sur les épaules du caneton et le guida lentement vers la chaise.

Une vraie poupée de chiffon entre les mains du plus grand. Klyde n'opposait aucune résistance mais frissonna malgré lui au toucher. Est-ce les doigts Pavel qui étaient gelés ou sa peau sous la chemise fine trop chaude ? Il dût agripper l'assise de la chaise pour être certain de ne pas se poser à côté, leva de nouveau la main et attendit. Et surtout, ne pas dormir, ne pas voir les formes bouger et n'écouter que Pavel et Sveta dans la pièce. Surtout.

C'est infecté, confirme Pasha en voyant la plaie ouverte en-dessous du bandage. Et pas qu'un peu. Cela faisait combien de temps qu'il se baladait, insouciant, avec sa blessure dans un tel état ? Tu ne l'as pas senti ?

"Non..." fit le caneton d'une petite voix qui sous-entendait le "ma faute, pardon" habituel. "Ça fait mal tout le temps. J'ai mal fait ?" Il ne s'y était peut-être pas pris correctement.

Bah... il n'avait certainement pas "bien fait", mais Pasha ne se voyait pas dire ça à un gamin qui avait déjà l'air de mal prendre les remarques banales. Tu aurais dû dire quelque chose, se contenta-t-il de lui répondre. Je pense qu'il vaut mieux qu'on aille à l'infirmerie à ce stade. Tu vas pas pouvoir t'entraîner.

Il avait froid maintenant. Ou chaud. Il ne savait plus trop mais entre les frissons et le vertige qui le prirent quand il descendit de la chaise, une chance que le roux était là. Par un réflexe umportin (merci les entraînements), il put attraper le bras de Pavel avant de tomber... mais ne le lâcha pas pour autant ; le temps de se stabiliser se disait-il.

Pasha se crispa une fraction de seconde au touché mais repoussa le dégoût en voyant la tête piteuse du garçon. Il n'arrivait même pas à se garder debout. Ils n'allaient pas arriver à l'infirmerie comme ça. Pasha soupira légèrement. Comment Klyde avait fait pour laisser sa fièvre le toucher si profondément sans se rendre compte qu'il était malade ? Il secoua la tête, puis décida de le porter pour gagner du temps. Heureusement, Klyde n'était pas très lourd et Pasha plus aussi mince qu'à son arrivée au camp. Il devrait pouvoir le porter à l'infirmerie sans problème.

Il avait dû tomber finalement, il ne sentait plus le sol sous ses pieds. Klyde ne savait plus vraiment où il en était, quelle moment de la journée ou ce qu'il devait y faire, s'il avait mangé ou non et s'il avait le droit de dormir un peu. Sa tête était une bouillie de pensées informes et son corps un gâchis. Seule la douce chaleur contre lui qui le berçait était une constante rassurante. "A l'abris !" lui criait son instinct. Et il se pelotonna un peu plus à cette source de réconfort.