Martievna Tchernova est une femme adulte depuis bien longtemps. Alors pourquoi hésite-t-elle tant devant les portes de l'hospice ? Elle n'est pas frêle, ses bras sont fins mais un squelette solide se devine sont la large tunique noire, constitution bien pratique pour porter un enfant turbulent sous chaque bras. Vêtue de son voile noire et de sa guimpe blanche, elle paraît aussi innocente qu'une petit colombe. Elle se décale pour laisser passer les arrivants avant de discrètement reprend sa place.

Elle recule ensuite, ne sachant que faire. Elle fait déjà tant de choses pour la communauté, elle s'occupe d'orphelins, elle coude des vêtements pour les pauvres, cuisine pour les pèlerins, fait la quête pour les démunis, répare des objets quand la mère supérieure n'a personne d'autre. elle voudrait faire encore plus, développer des dons que le Seigneur lui aurait peut-être donné. Elle voudrait donner chaque minute de sa vie à son Sauveur.

Mais elle manque de courage.
Et elle reste là devant la porte, sans oser se présenter et décliner son envie d'aider. Comment présenter cela ? "Bonjour, je suis Sœur Ruf, enchantée de vous rencontrer, j'aimerais soigner des malades même si je n'ai qu'une vague connaissance des rhumes et des bobos d'enfants. Ouhlala… Non, elle ne peut tout simplement pas.

Pardonne-moi, ma sœur...

La jeune femme vit l'homme qui l'avait interpelée comme une égale, vêtu d'une soutane. Blanche, certes, mais il s'agissait bien d'une soutane. Un étrange contraste avec sa peau et ses cheveux sombres. Plutôt jeune, il avait un regard très doux.

Un peu d'aide ne serait pas de refus.

Le prêtre commençait surtout à peiner à soutenir un jeune homme dont l'état s'était dégradé en chemin. S'il avait été capable de marcher au départ, la fièvre avait gagné du terrain et son bienfaiteur devait maintenant quasiment le porter. Il arrivait lui-même à ses limites au seuil de l'hospice.

Ruf a un mouvement de recul en s'entendant interpellé de façon familière. Un inconnu adulte -homme qui plus est- vient de la tutoyer ! Un homme bien étrange d'ailleurs, sa peau est mate, son visage est atypique mais son regard est doux. Son vêtement blanc semble être une soutane mais ce qui change la donne c'est le jeune homme mal au point qu'il porte à bout de bras et il demande de l'aide. Ni une, ni deux, Ruf soutient le malade de l'autre côté de l'étrange prêtre.

Grâce à l'aide bienvenue de la nonne, le jeune prêtre put faire entrer le malade dans l'hospice. Guidés par les infirmières, ils le déposèrent dans un lit. Il allait être pris en charge rapidement. Il se tourna vers la jeune femme venue à son secours, et inclina humblement la tête dans sa direction.

Dhanyavad. Je craignais de le lâcher.

Un peu de culture :

C'est malgré elle que Ruf entre dans l'établissement, elle réfléchit à comment en sortir sans éveiller les regards. Toutefois, le garçon a l'air mal au point, elle a bien fait d'aider pour le faire entrer. Grâce au Seigneur ! L'homme à la peau mate s'incline alors devant elle comme si elle était une idole en tenant des propos étranges. Ruf ne sait plus où se mettre, ni quoi répondre à quelque chose qu'elle ne comprend pas. Elle tente :
"Dieu fait ce qui est juste."

Un sourire compatissant s'accorda à cette réponse générique. Et nous suivons Sa volonté. Son visage contrit montrait tout de même que le prêtre était conscient de l'étrangeté de ses propos. Il tenta lui aussi un rattrapage. Je voulais simplement dire... "merci". Merci ma sœur.

Ruf n'est guère à l'aise. Elle se trouve visiblement face à un étranger avec ses coutumes, elle sent qu'elle l'a froissé et ignore comment réparer son erreur.
"Mais c'est normal, je ne pouvais pas laisser ce malheureux tomber sur le pavé. Comment s'appelle-t-il ? Enfin si je puis me permettre. Je m'appelle Sœur Ruf, mon… père," ajoute Ruf, contrite de ne pas s'être présentée plus tôt.

Il s'appelle Danil. Il devait chanter à mon église, mais n'a pas pu rentrer seul chez lui. Cet hospice était sur le chemin.

L'expression désolée du prêtre ne pouvait être plus sincère alors qu'il regardait l'adolescent. Je préviendrai sa famille.

Faisant à nouveau face à la nonne, le jeune homme lui adressa un sourire bienveillant. Je ne qu'un prêtre, ne te sens pas emb... si gênée. Après cette petite hésitation, il joignit les mains. Je suis Shaun.

Shaun, un nom ordinaire. Ruf s'était attendue à ce qu'il ait un nom de pays lointain comme Babylone. Elle n'est guère experte en géographie et poser la question pourrait sembler impoli.
"Pauvre enfant, espérons que les médecins de l'hospice comprendront ce qu'il a, père Shaun."
S'ensuit un silence gênant ou la nonne se retient de se tortiller sur place comme elle le fait d'habitude en présence d'inconnus.

Les infirmières virent bientôt prier les deux religieux de libérer la place afin qu'elles puissent travailler. De retour dans le couloir, le sourire du prêtre se fit rassurant.

Je n'en doute pas un instant, ma sœur. Ils sont tout à fait capables.

Le silence qui suivit n'avait pour lui pas la même signification. Il finit cependant par le rompre.

Tu restais devant la porte sans entrer. Il oscilla la tête avant de continuer, semblant peser ses mots. Je ne veux pas être indiscret. Tu hésitais...

Ruf s'éloigne avec gêne du lit du jeune homme. Elle est maintenant dans l'hospice mais ne sait que faire, rester ou partir ? C'est là que le prêtre Shaun lui pose une question terriblement gênante qui fait rougir la nonne.
"J'attendais un signe de Dieu, juste ça," répond-elle évasivement.

Comprenant son impair, le jeune prêtre recula légèrement, autant physiquement que verbalement.

Pardonne-moi. Je ne voulais pas être indiscret. J'ai... encore beaucoup à apprendre.

Il ferma les yeux, avant de reprendre d'une voix plus douce. As-tu vu le signe que tu attendais ?

Aussi fragile qu'un papillon, le courage de Ruf ne se pose sur un arbre d'attente.
"Je l'ignore encore..."
Elle certes rentrée dans le bâtiment mais elle n'a pas encore trouver la foi de demander ce qu'elle voulait. Elle concentre son courage et tente :
"Je souhaitais proposer mon aide aux médecins et..."
Prendre des cours.

Le silence de Ruf ne donnait aucune suite, aussi le prêtre hasarda une conclusion.

... et tu n'oses pas.

Sa voix était compréhensive, sans prétention ni jugement. Il semblait très bien connaître ce sentiment.

Je peux te proposer mon aide... si tu le veux.

"NON !" s'exclame la sœur avec effroi avant de s'apercevoir qu'elle a haussé le ton. "Je veux dire, c'est très gentil de vouloir aider son prochain mais je suis tout à fait capable de le faire par moi-même... C'est mon épreuve. ... Ce n'est pas trop ridicule...?"

Surpris par le ton soudain, le prêtre ouvrit les yeux, mais resta silencieux un moment.

Non, je... Il secoua lentement la tête. Ce n'est pas ridicule. J'ai vécu cela. Sa voix restait sereine, incitant la religieuse angoissée à garder son calme. Je peux t'aider... Après une brève hésitation, le mot suivant lui revint finalement. Autrement.

Ruf ressent de la reconnaissance envers cet homme. Il ne hausse pas la voix, ne se moque pas d'elle, il semble tout à fait bon comme prêtre et comme un homme devrait toujours l'être.
"J'aimerais demander aux médecins de m'apprendre à soigner les blessures et les maladies… pour me rendre utile."
Je sais ! Je vais demander aux infirmières !
"Je vais le faire !" dit Ruf en espérant que l'étrange prêtre acquiesce sans se moquer.

Cette fois la nonne réussit à exposer entièrement ses intentions, et le jeune prêtre eut un sourire d'approbation.

C'est généreux de ta part.

La voir s'affirmer fit naître une expression joyeuse dans les yeux noirs. Veux-tu que je t'accompagne ?

"Euh..."
Cette remarque prend un peu à court Ruf qui ne s'attendait pas à autant d'intérêt d'un inconnu envers sa personne. Dire "non" serait considéré come malpoli, n'est-ce pas ?
"Si le cœur vous en dit, mon p... frère."
C'est tout de même un autre prêtre et il semble bien plus jeune qu'elle. Vingt-cinq ans serait généreux. Elle se dirige donc vers les infirmières mais toutes semblent occupées…

Un léger dodelinement répondit à la sœur. Il ne souhaitait visiblement pas s'imposer, juste être présent, en soutien. Il se tint en arrière quand elle s'avança d'un pas décidé, assez loin pour qu'on ne lui adresse pas la parole à sa place, assez proche si elle avait besoin d'être rassurée.

La sœur se lance finalement à interrompre une infirmière qui semblait davantage plongée dans ses pensées que sur une quelconque blessure.
"Bonjour ma bonne âme, j'aimerais aider à l'hospice si cela ne vous dérange pas. Je sais faire des bandages et après quelques observations, je pourrais venir régulièrement aidé," dit-elle pleine d'espoir.

Relevant la tête à son approche, l'infirmière écouta la requête de la religieuse. Elle lui sourit, son visage fatigué expliquant son air absent.

Au contraire, vous ne manquerez jamais de travail ici, ma sœur. Nous avons un registre à l'entrée, si vous voulez vous inscrire.

La femme semblait vraiment ravie d'accueillir une volontaire.

Quand l'occasion se présentera, vous pourrez revenir me voir pour me montrer ce que vous savez faire. Je suis Esfir.

La religieuse se dirige donc vers le fameux registre pour commencer à aider de suite. En venant régulièrement, elle pourra apprendre rapidement et aider aussi tôt que possible. Le poids sur ses épaules s'est évaporé, elle se sent plus légère et un grand sourire s'affiche sur son visage pâle.

L'infirmière Esfir la laissa aller, restant à disposition si elle souhaitait revenir vers elle. Alors que Ruf signait le registre, le prêtre se rapprocha légèrement, juste assez pour que sa consœur se souvienne de sa présence.

Tu as réussi.

Bien qu'elle lui tourne le dos sa sincérité et son sourire rayonnaient dans sa voix, sans ironie ni jugement.

Si le prêtre avait pu la voir, il aurait vu ses yeux bleus s'écarquiller après sa remarque. La bonne sœur respire de son mieux. Tout va bien, le Seigneur me protège. Je ne crains rien tant que je crois en lui et que je fais ce qui est juste. Car Ruf n'aime pas tourner le dos aux hommes. Elle lui fait face avec un sourire composé, son voile s'élevant légèrement sous l'effet de l'élan.
"Oui, grâce à Dieu ! J'espère qu'Il veille également sur votre protégé Danil."