Ludmilla avait été tenu au silence quant à l'escapade d'Oksana il y a quelques jours. Il n'aurait fallu qu'un seul regard de sa maîtresse pour comprendre qu'elle n'avait pas le droit de communiquer ses aventures à sa belle-mère. Cette dernière aurait trop facilement pu réagir de façon excessive, et Oksana avait absolument besoin de pouvoir sortir en vue de la réponse qu'elle avait reçu par télégramme.  

Le nombre de miliciens qu'elle avait repéré autour de la cathédrale lors de sa dernière sortie l'avait inspiré à prendre de nouvelles mesures pour l'investigation qui avait, jusqu'à présent, pas encore porté ses fruits. Vu que personne d'autre semblait intéressé par le sort de son mari, Sana allait encore une fois prendre les choses en mains. En toute discrétion, elle avait envoyé plusieurs lettres à l'office de la Milice où avait travaillé Ilya, jusqu'à ce qu'on prenne enfin pitié sur elle et lui offre un rendez-vous. Elle ignorait si on allait véritablement pouvoir lui donner des réponses satisfaisantes ou si elle allait encore une fois être remballé avec des condoléances sans signification, mais Oksana jugea important d'au moins faire l'effort de pointer son nez. Un rendez-vous n'était qu'un début.

Généralement, les veuves ne posaient pas beaucoup de questions à la Milice. Un petit : "Votre mari est mort au combat" et tout était réglé. Elisabeth devait en recevoir une ce matin et au vu du nombre de lettres dans le dossier qu'elle avait sur son bureau, elle ne voulait pas que de simples condoléances. Sauf que la Capitaine n'avait aucune idée de ce qui était arrivé. Il lui faudrait sûrement trouver une excuse bidon...

Oksana sortit du taxi avec l'aide d'un milicien. Elle n'était pas surprise par la présence augmenté des miliciens si proche de la caserne. Certains y débutaient leur patrouille, d'autres en revenaient. L'homme qui avait été désigné pour l'accompagner ne semblait pas enchanté par la tâche qui lui avait été donné. Il ne s'était sûrement pas ajouter aux rangs de la milice pour accompagner une femme enceinte.

Attendez ici.

Ici ? Elle glissa son regard sur les petits bancs en bois désagréables de la salle d'attente. En espérant qu'on allait pas la faire patienter trop longtemps...

Quelques coups sur la porte. Elle range le dossier rempli de lettres dans un tiroir et s'assure que rien de confidentiel ne traîne avant d'ordonner que l'on ramène son rendez-vous ainsi que du thé et des gâteaux. Son visage affichait cependant toujours cet air froid et impassible. Les fauteuils du bureau étaient clairement plus confortables que ceux de la salle d'attente et on ne faisait pas attendre une femme enceinte.

Quelqu'un lui ouvrit la porte et Oksana su passer dans le bureau du capitaine qui avait accepté son rendez-vous. Elle était surprise de voir une femme à l'autre bout du bureau, mais le laissa rien remarquer son visage, qui afficha qu'un sourire poli. Bonjour, madame. Merci de m'accueillir. Elle prit place sans attendre une invitation. Vous me pardonnerez de m'asseoir sans vous attendre. Elle appuya une main contre son ventre avec un autre sourire comme si sa grossesse excusait le manque d'étiquette.

Bon, elle s'installe. Elisabeth suit des yeux le soldat qui dépose deux tasses sur le bureau rangé. Il leur sert un thé avant de disparaître pour les laisser discuter.

- Enchantée, je suis le Capitaine Dersellman. Installez-vous à votre aise...

Ses doigts pinçaient doucement les gants blancs pour les enlever afin de savourer le thé. Son visage affichait toujours un air un peu glacial.

- On m'a fait part des nombreux courriers que vous nous aviez envoyé.

Oh, vous savez, commença-t-elle en battant des cils, il y a tellement d'erreurs qui peuvent se passer avec la livraison de lettres ; certainement à une office qui en reçoit sûrement une centaine par jour. Vu la non-réponse de vos bureaux, j'ai préféré renvoyer les miennes, vous m'en excuserez. Elle jouait bien le jeu de l'innocente, même si en vérité elle les avait harcelé par colère. Merci pour le thé. C'est bien aimable.

- Du coup, qu'est-ce qui vous amène ici aujourd'hui ?

Autant jouer l'innocente aussi. Après tout, elle pouvait ne pas avoir eu accès aux lettres en questions. La tasse se porta quelques instants à ses lèvres, y laissant une marque rouge. Elle voulait connaître un peu plus des intentions de cette veuve, très peu éplorée et surtout beaucoup trop curieuse.

Ou bien elle n'avait pas lu les lettres, ou bien elle se fichait bien de sa tête. Pas grave, elle pouvait répéter l'histoire qu'elle avait rédigé tellement de fois. Une fois de moins, une fois de plus... Le décès de mon mari, répondit-elle donc. Le Capitaine Sidorov ? Un de vos collègues, il me semble.

Elisabeth eut un air semi-surpris. Pour quelqu'un qui côtoyait la mort tous les jours, elle devait prendre des pincettes avec cette femme.

- Oui, je ne le connaissais pas personnellement. Il me semble que vous l'aviez enterré non ? Qu'est-ce qui vous fait demander un entretien ? Vous vouliez récupérer des affaires personnelles laissées ici ?

Des affaires personnelles ? Oksana était venu suffisamment préparé pour réceptionner des questions peut-être indélicates au sujet d'Ilya, mais elle n'avait jamais été informé qu'il y avait encore ses affaires au bureau. Elle fut pris au dépourvu et son visage se décomposa une fraction de seconde avant de se rétablir. Je ne savais pas qu'il y en avait encore. Je voudrais bien, oui, mais ce n'est pas pour ça que je suis venu. Elle reprit ses esprits avant de continuer. Je voudrais savoir si vous connaissiez les circonstances de sa mort. On ne me l'a jamais dit ; pour épargner mes sentiments, j'imagine.

Bon, elle voulait récupérer le peu de ce qu'il restait. Elisabeth secoua la tête à la question. Tout le monde voulait toujours connaître les circonstances des morts.

- Non, je n'ai pas plus d'informations que cela sur la mort de votre mari.

Surement mort au combat comme tous les autres ? On donnait souvent la même excuse aux familles.

La réponse était rapide et radicale. Aucun moyen de mieux naviguer dans la conversation quand quand elle y coupait court si grossièrement. Vous ne savez absolument rien ? répondit Oksana, incrédule. Pas où est son corps, pas sur quel mission il a été envoyé, pas qui l'a tué ? Y a-t-il encore une investigation en place, déjà ? Ou est-ce que ça ne vaut plus la peine avec le nombre de victimes dans votre stupide g— Calme-toi. La chaleur était venu d'un coup ; sa colère, indéniable. ("Vous allez faire mal à votre bébé en vous excitant ainsi, madame.") Elle avait envie d'étrangler quelqu'un. Je vous demande pardon.

Elisabeth fronce les sourcils à la tirade. Elle les garde froncés même aux excuses... Certes, son mari était mort, mais est-ce que cela lui donnait le droit d'insulter la milice ? Si il s'était engagé, il connaissait les risques non ?

- Écoutez. Dans ces cas-là, c'est sûrement un zootrope ou bien un terroriste qui a agis. Nous sommes toujours en train d'enquêter sur le sujet et nous vous tiendrons au courant en cas de nouvelle piste. Nous ne pouvons pas faire plus.

Foutue chose dans son ventre. Depuis la grossesse ses émotions partaient dans tous les sens. Oksana, qui avait normalement aucun problème à les contenir, luttait encore contre cette nouvelle réalité. Peut-être qu'elle aurait dû inviter Yeva pour l'aider à garder la tête froide.

Oui, excusez-moi, c'est l'émotion. Elle afficha un sourire désolé (mais pas sincère). Puis-je récupérer ses affaires alors ?

Une excuse... Un semi-hochement de tête de la part d'Elisabeth avant qu'elle ne se lève. Ses pas se dirigent vers la sortie tandis qu'elle tient la porte à son invitée.

- Venez, le carton est dans un autre bureau.

Dans l'ancien bureau de son mari, mais en vue du deuil encore récent, pas besoin de le souligner.

- Il n'y a pas grand chose, je vous préviens.

Je serais heureuse de récupérer n'importe même le plus petit des objets, je vous assure. Elle déposa sa tasse de thé sur sa soucoupe et se hissa sur ses jambes. Son ventre était visible, mais pas encore assez large pour l'empêcher de marcher convenablement. Elle priait que ce jour n'arrive pas ! Est-ce que c'est loin ?

Tenant soigneusement la porte, Elisabeth la referma avant attention derrière la veuve.

- Non, à peine quelques mètres.

C'est vrai qu'elle aurait peut-être du ramener les affaires dans son bureau... Est-ce que c'était un manque d'attention flagrant ? Ses pas s'approchèrent d'une porte un peu plus loin tandis qu'elle réfléchissait à la condition de l'invitée. Elle aussi aurait du être comme ça a son age. D'ailleurs, c'était ce qu'elle avait feint pour cacher sa zootropie.

Comme promis, le trajet ne fut pas très long. Oksana attendit qu'on déverrouille la porte du bureau d'Ilya, déjà surprise qu'ils ne lui avaient pas encore trouvé un nouveau occupant. Ou bien ils leur manquaient de capitaines, ou ils avaient trop d'infrastructures. Ou la paperasse ; elle avait bien vu à quel point l'administration pouvait prendre son temps. Quand elle franchit le pas de la porte, son regard passa sur la pièce avec hésitation. Il n'avait rien de personnel. Quelqu'un semblait déjà être passé pour nettoyer et rassembler ses affaires. Elle pouvait à peine imaginer son mari dans la chaise derrière le bureau. Froid, vide, étrange.

Elisabeth récupéra le carton posé sur le bureau et regarda rapidement le contenu. Une tasse, de l'encrer et apparemment une plume personnelle. Elle le garda sous le bras tandis qu'elle rejoint son rendez-vous pour la raccompagner à la sortie.

- Je vous raccompagne. Comme je vous l'ai dit, nous vous contacterons dès que nous en aurons plus. Est-ce qu'il reste des papiers liés au travail de votre mari chez vous ?

Elle aurait voulu rester dans le bureau encore un moment. Elle aurait pu prétendre avoir eu besoin d'un moment seul avec ses pensées pour fouiller la pièce, mais la Capitaine semblait urgemment demander son départ. Oksana lança un coup d'œil rapide au-dessus de son épaule avant que la porte se referme, puis répondit.

Possiblement. Je ne suis pas encore rentré dans son bureau. C'est trop... difficile, vous comprendrez.

Quel mensonge ! Elle avait retourné chaque tiroir et lu chaque lettre qui traînait encore dans les environs, oui. Les recherches n'avaient simplement pas porté ses fruits. Pas encore.

Si personne n'était rentré dans le bureau, peut-être qu'Elisabeth pourrait passer avec ses hommes récupérer les papiers en questions.

- Il faudrait poser un rendez-vous pour que nous puissions les récupérer. Nous reviendrons vers vous pour convenir d'une date.

Son mari était déjà enterré, mais personne n'avait récupéré ses dossiers. Quel manque de professionnalisme !

Quoi ? Ce n'était pas assez qu'ils avaient vidé le bureau de toutes traces de son passage, maintenant ils voulaient s'y prendre à son bureau à domicile ? N'avaient-ils pas déjà assez pris ? Oksana inspira calmement et offrit son plus beau sourire à la milicienne.

Je pense qu'il y a notamment la paperasse de son deuxième boulot. Ilya aidait son père pour reprendre les affaires familiales, vous voyez. Je lui demanderai de vous transmettre ce qui ne lui appartient pas.

- Je vois...

Elisabeth parut dans ses pensées quelques instants. Bon, à priori, leur entretien était terminé. Il restait beaucoup de zones sombres autour de toute cette histoire. En tout cas, il fallait qu'elle fasse ses petites recherches de son côté. À ce moment, la, un troufion passa à côté.

~ Mes condoléances, Capitaine.

Elle eut un moment d'arrêt avant de continuer sans ne rien dire. Toujours la même expression froide.

"Mes condoléances" ? Oksana lança un regard curieux au Capitaine en question, mais même si elle brûlait d'envie de lui demander pourquoi elle avait droit aux condoléances, la question lui semblait déplacé vu la raison pour laquelle elle était là. Peut-être qu'elle s'expliquerait toute seule si elle restait silencieuse. Les gens avaient tendance à vouloir remplir les vides dans les conversations et elles avaient au moins encore cinq minutes à marcher au rythme qu'elles allaient.