Rappel du premier message :



Parfois les oiseaux lui manquaient. La vie à la campagne l'avait habitué à ces sons animaliers rythmant les journées. Mais en plein Moscou, les oiseaux se faisaient rares. D'autant plus aux abords d'une cathédrale reconstruite suite à un attentat des "démons".

Micha s'arrêta pour observer calmement les travaux en cours. Il avait débloqué une grosse somme de son héritage familial pour offrir un don à l'Eglise. Mais d'un autre côté, la paranoïa omniprésente le peinait, même s'il condamnait des actions aussi extrêmes. Des innocents avaient été pris dans l'explosion.

Quoique se sentait-il tiraillé par la situation, le prêtre avait passé trop d'années de prudence pour se découvrir aussi facilement. Le mot "zoothrope" ne quittait jamais la sécurité de son esprit et il s'interdisait toute ambiguïté sur l'utilisation du mot "démon" depuis son retour à Moscou, tâtant le terrain.

Alors, pour se tenir occupé, il avait insisté auprès de sa famille pour financer un gala de bienfaisance faisant intervenir des célébrités de violon venus tout droit de l'Opéra dont les retombées iraient aux miséreux. Il avait donc posé des congés pour venir assister Pétia. Un télégramme de Katioucha reçu la veille lui indiquait sans pitié à quel point leur frère aîné était stressé par toute l'affaire.

Peut-être le taquinerait-il au passage... Après tout, l'héritier de la famille Azarov se devait de savoir organiser de tels événements.

Yeva se contenta de hocher la tête aux commentaires concernant l’opulence de la fête. Pour sa part, elle aimait le confort qu’elle avait découvert ces dernières années, tout en sachant qu’un attachement trop fort à des biens matériels était loin d’être une bonne chose. L’un dans l’autre, elle était ravie que la discussion évolue vers la musique, sujet bien plus innocent. « Vous êtes donc violoniste ? » L’art d’énoncer l’évidence.

Luka parvint juste à placer un "Ce serait réellement un plaisir de vous entendre jouer, père Mikhail." ravi et touché avant la question de la jeune Yeva. Il aimait beaucoup la musique, bien qu'il ne soit pas musicien lui-même. Et la musique jouée dans une église... rendait toujours exceptionnellement beau.

"Oh non !" Micha agita une main gênée. "Je ne saurai être assez présomptueux pour me dire violoniste. Juste un amateur de musique." Une voix plus grave renchérit dans leur dos : "Mon frère est parfois trop humble. Nous avons tous fait un peu de musique dans la famille mais Micha a un don naturel. Je vous casserai les oreilles si je prenais un violon." Pétia se posta près du prêtre avec un sourire en coin. Micha haussa un sourcil. "Flatteur." dit-il simplement en reniflant, ce qui déclencha le rire de son frère à sa grande joie. Il semblait fatigué par la soirée.

Yeva avait vu suffisamment de démonstrations de fausse modestie pour soupçonner que celle du prêtre n’était pas feinte. Et, vu la remarque du docteur, il devait être un meilleur violoniste qu’il ne voulait bien l’admettre, soupçon confirmé par l’hôte de la soirée (quoiqu’il puisse manquer d’objectivité au sujet de son frère). Tant par politesse que pour laisser un moment de répit au prêtre qui ne semblait pas ravi d’être au centre de l’attention, Yeva se tourna vers l’avocat. « Quel instrument avez vous joué ? »

"Piano, orgue et violon." répondirent les frères d'une même voix. Pétia se mit à rire en s'en rendant compte tandis que Micha souriait en coin. "Mais je n'ai pas continué, au contraire de Mikhaïl." ajouta son frère. Le prêtre sourit à Yeva. "Je tiens une chorale dans ma paroisse et je joue de l'orgue le mardi, le jeudi et le dimanche aux messes. Vous pouvez toujours venir y assister. Quant au violon..." Il se gratta la joue d'un air gêné. "J'y joue pour mon propre plaisir et voilà longtemps que je n'ai pas pris le temps."

La réponse en simultané amusa d’autant plus la fille unique qu’était Yeva. Elle parvint toutefois à contenir son rire et à le limiter à un sourire plus spontané que les précédents. « Je serais ravie de venir vous écouter jouer. Où se trouve votre paroisse ? » Moscou était une grande ville aux nombreuses églises, après tout. Autour d’eux, un mouvement de foule s’amorça, signalant que le gala n’allait pas tarder à commencer.

Micha la remercia avec un sourire et lui indiqua comment se rendre dans sa paroisse périurbaine, quand même excentrée du centre-ville, mais reliée par le métro. Il dut ensuite s'excuser pour aller aider Pétia à faire converger leurs invités à leurs places respectives. Mais ils se reverraient sans doute, autour du son d'un orgue.