Le vaisseau venait à peine de quitter l'atmosphère de Célur, que je quittai mon post de commandement. Nous avions un invité à bord et je me devais d'aller à sa rencontre le plus vite. Il s'agissait de Torn Djekiel, un agent infiltré de l'Alliance. Et je devais l'exfiltrer. Selon les instructions que j'avais reçues, je l'avais "arrêté" sur la planète-ville pour contrebande et recèle. Mais officieusement, je l'emmenais sur les lieux de sa prochaine mission. Je me rendis donc à sa cabine temporaire. "Bien le bonjour, M. Djekiel ! Et bienvenue à bord du Snowhunter."

À peine plus aimables que s'il avait vraiment été contrebandier, les soldats qui l'avaient embarqué défirent ses entraves et l'abandonnèrent dans ce qui ressemblait davantage à une cellule qu'à une cabine. Lorsqu'on lui souhaita la bienvenue, il leva les yeux. Un colosse en fourrure, que ses galons propulsaient commandant. Torn rangea donc la pique acerbe qu'il préparait et se réorienta vers une déférence de circonstance. "Mon commandant. Votre renom égale celui de votre bâtiment." Il massait distraitement ses poignets endoloris.

L'exfiltré n'avait pas l'air d'être spécialement content d'être là. "Je suis désolé de vous accueillir ainsi, mais je n'aurais pu faire autrement. Il s'agissait des instructions de ma missions." Je marquai un léger arrêt avant de reprendre. "Et bien entendu, vous êtes libre d'aller où bon vous semble à bord du vaisseau." J'observai alors le jeune homme tandis qu'il massait ses poignets, sans bouger de l'encadrement de la porte. J'avais quelques questions à lui poser...

Le Valeth l'incitait à explorer le vaisseau, mais refusait de quitter l'embrasure. Il voulait tailler une bavette ? Torn plongea la main dans l'une de ses nombreuses poches, la refermant sur un petit objet métallique. "Les... supérieurs qui vous ont briefé ont malencontreusement omis de me tenir informé." Il n'y avait aucun reproche dans sa voix. Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait embarquer, couverture ou pas d'ailleurs. D'habitude, il dégainait son badge avant qu'on lui passe les bracelets, cependant.

"Encore une fois, je m'en excuse mais les ordres que j'ai reçu stipulaient que je devais vous arrêter. Pour la forme bien sûr." Je plongeai alors ma main dans l'une de mes rares poches et en sorti une enveloppe toujours sous scellé. Je la tendis à Torn. "Voici votre prochaine mission. Nous nous dirigeons déjà vers la prochaine Planète bien entendu." J'hésitai pendant quelques instants avant de déclarai, d'une voix déterminée. "Que faisiez-vous sur Celur pour qu'on doive vous "arrêter" ?

Il décacheta consciencieusement l'enveloppe pour se ménager un temps de réflexion. Le papier, une lubie de bureaucrates, ça aussi. Comme le protocole et toutes les règles qui ne lui convenaient pas personnellement. "Mes contacts me permettent d'infiltrer les réseaux de trafiquants qui alimentent le marché noir. Mais une fois en place, il faut bien donner le change et prendre part aux livraisons si on ne veut pas être descendu. Pour la forme bien sûr." Sourire poli de subordonné.

J’hochai lentement la tête en entendant son explication, cela faisait sens. « Je me doute bien, Agent Djekiel. » Cependant ce n’était pas tout, j’avais encore une ou deux questions en tête. Mais pas ici, ni maintenant. « Suivez-moi. » Je fis alors demi-tour, sans m’assurer qu’il me suivait, et m’élançai dans les couloirs du vaisseau. Cela nous prit plusieurs minutes dans le dédale que représentait mon bâtiment avant d’arriver à destination. Je m’écartait pour qu’il puisse voir ses nouveaux quartiers.

Torn suivit sans faire d’histoire. Sa tête ballotait encore un peu, et les seules valises qu’il traînait se trouvaient sous ses yeux. Nuit trop courte. Les quartiers étaient plus spacieux, dotés de tout le confort dont un soldat puisse avoir besoin. Lit presque pas rigide, interrupteur et même -ô luxe suprême- eau courante. “Si vous me permettez une question, mon commandant, pourquoi nos chers ronds de cuir ont-ils jugé judicieux de dépêcher une pointure telle que vous pour exfiltrer un simple soldat ?” La lumière trop vive du vaisseau percutait ses rétines et lui rappelait qu’il avait encore une fois déjeuné liquide ce matin.

"Il n'y a pas de simple soldat. Tout le monde est important et a son rôle à jouer. Pour répondre à votre question, je devais également me rendre dans le secteur et de ce fait, on m'a dépêché ici." Je réfléchis alors quelques instants à ma mission. J'avais récupéré l'agent Djekiel et je lui avait donné son nouvel ordre de mission. Il n'y avait plus qu'à le déposé sur la bonne planète. Ce qui signifiait que, pour l'instant, j'avais quartier libre pour lui pour lui poser quelques questions.

"Pas de simple soldat…" répéta-t-il pour lui-même. Ça avait le mérite de le faire se sentir important -il adorait ça-, mais ces cajoleries bien huilées ne le renseignaient pas le moins du monde sur le vrai tempérament de l’officier. Le gros chat voulait la jouer professionnelle ? Soit. Torn hasarda néanmoins une autre question, pour tenter de percer cette façade méditative : "Votre sens du devoir est probant, mon commandant. Mais ne vous arrive-t-il jamais de vouloir oublier un instant les missions ? Le Snowhunter est un bel engin, qui met toute la galaxie à portée de réacteurs..."

"Je prends cela comme un compliment. Mais sachez que le Snowhunter est principalement un outils de travail et non un vaisseau de gréement. À moins qu'on ne me le demande, je ne me rendrais pas à l'autre bout de la galaxie, comme vous dites." Ce n'était pas mon travail, ni mon envie donc pourquoi l'aurais-je fait ? En y réfléchissant, c'était certainement cet obéissance et ce dévouement qui m'avait fait monter en grade... "Pourquoi ? Vous seriez propice à détourner un bâtiment pour votre plaisir ?"

Le Valeth se faisait une armure de son travail. L’immensité de la galaxie, les myriades de possibilités, l’effondrement écologique imminent… Tout cela pouvait apeurer le quidam. Il y avait ceux qui noyaient leurs craintes dans l’alcool, ou l'acide. Et puis il y avait les obstinés comme lui, qui pensaient pouvoir donner un sens à ce chaos en se pliant à un code moral. Intéressant. "Oh, loin de moi l'idée de sous-entendre quoi que ce soit de la sorte. Mais une petite expérience de pensée n'est pas une trahison." Pas encore. Pas tant que le département de neurosciences de la CC n'aura pas perfectionné son système de puce cérébrale, en tout cas.

On était bien libre de penser ce qu'on voulait, mais il y avait certains cas où il valait mieux garder pour soi nos réflexions. Bref, je lâchai un petit soupir... "Sinon, vous avez une préférence pour l’atterrissage ? On ne m'a r..." Une énorme secousse m'interrompit dans ma question, et je dû me rattraper à la petite table pour ne pas tomber. Ce n'était pas normal, les stabilisateurs auraient dû empêcher ça ! Je m'excusai auprès de notre invité et me dirigeai vers le poste de pilotage pour avoir plus d'informations.

Et voilà. On osait émettre une mini demie-critique voilée indirecte pas-vraiment-sérieuse de la Confédération et on était aussitôt abattu en vol. Ça, ou le chasse-neige s'était mangé un petit caillou à la dérive dans le vide spatial. Torn se releva et emboîta le pas du Valeth. Un pilote allait certainement se faire tirer les oreilles, et son naturel moqueur lui commandait d'assister à la scène. "Votre barreur s'endort souvent comme ça, ou il a juste raté son créneau ?"

Je n'eus pas besoin de me retourner pour savoir qu'il m'avait suivi, le bruit de ses pas et son commentaire ironique le faisait pour moi. Il faut croire que l'humour était comme une seconde nature chez lui... J'arrivai rapidement au poste de pilotage et me tournai immédiatement vers mon second. "Que se passe-t-il ? D'où vient cette secousse ? Mon ton n'attendait aucune réplique et le jeune homme l'avait bien compris. "Nous avons été abordés par des pirates, Monsieur."

Le poste de pilotage était spacieux, et particulièrement bien éclairé, ce qui amplifia le mal de crâne de Torn. Au milieu de tous ces sous-officiers en uniforme, il avait l'air d'un véritable contrebandier en transition carcérale. "...des pirates, Monsieur." Hourra ! Ses camarades se lançaient bravement à l'abordage pour le secourir ! Minute. Temps mort. Il n'était pas vraiment un criminel, il était de l'AAG. Ce qui signifiait que lesdits pirates n'auraient que très peu de scrupules à l'envoyer tutoyer les quasars. C'était fâcheux. "Ils n'ont pas ouvert de communication ?" Les pirates faisaient ça avant d'aborder, dans les holo-films.

"Ils préviennent rarement de leur arrivée dans la réalité... mais comment ça se fait que personne ne les ai repérés plus tôt ?" Évidemment personne n'avait de réponse à me donner, et tout le monde détourna le regard. Bref, je n'avais pas le temps de m'énerver. Nous devions nous débarrasser des pirates avant qu'ils ne voient l'Agent Djekiel ou sa couverture serait foutue. Je jetai alors un coup d’œil aux panneaux de contrôle. Ils étaient arrimés au sas 3 mais personne n'était encore rentré. "Verrouillez les portes du sas 3, je m'occupe de la suite."

Il regarda le commandant commander et les sous-fifres sous-fifrer avec empressement. Il aurait bien fait de même, mais on ne lui avait pas donné d'ordres, aussi se contenta-t-il d'observer le Valeth. Ce dernier ne semblait pas paniqué. Légèrement agacé, à la rigueur. Le vaisseau était sans doute suffisamment bien armé pour repousser l'assaut. Un choc plus violent ébranla la coque, et l'ordre de mission qu'il n'avait pas lu s'échappa des mains de Torn et fila se glisser dans l'interstice d'un conduit de ventilation. L'indic' se lança à sa poursuite, dans la cohue des soldats qui convergeaient vers le sas numéro 3.

Je m'élançai donc à travers les couloirs du vaisseau. Je n'avais pas une seconde à perdre : je devais me rendre au plus vite au sas numéro 3. Les pirates devaient être arrêtés avant de pouvoir pénétrer et infiltrer le bâtiment. Et surtout, il ne devait pas voir l'agent Djekiel ! Justement, je me demandais où il était passé... Il était encore derrière moi quelques secondes plus tôt... J'espérais juste qu'il n'allait pas faire de bêtises. J'activai ma radio. "Inverser la ventilation du sas et injecter le protoxyde d'azote. Je les réceptionnerai.

Les regards courroucés qu'il recevait ne le firent pas dévier de sa course, il suivit la conduite jusqu'à une grille assez large pour laisser passer un homme moyen. Une vis sauta, bientôt rejointe au sol par ses consœurs, et Torn put se couler dans le circuit d'aération, bien décidé à rattraper le fichu papelard. Dans la pénombre du conduit, les bruits des bottes frappant le sol et les ordres lancés par les officiers lui parvenaient avec moins de netteté. Une odeur sucrée flottait dans l'air, mais il ne s'attarda pas pour étudier sa provenance.

En moins de quelques minutes tous les pirates qui étaient déjà sortis de leur vaisseau s'étaient écroulés. Décidément, l'anesthésiant était plutôt puissant ! J'enfilai alors un masque à gaz et fis signe d'ouvrir le sas. Il était temps d'aller cueillir les dormeurs. Ils étaient cinq face à nous, mais il devait y en avoir plus dans leur bâtiment. Il fallait rester prudent. Tandis que mes subordonnés attachaient les criminels que nous avions capturés, je me plaçai sous la trappe, l'arme au poing, prêt à réceptionner les retardataires.

C'est un Torn secoué de spasmes qui finit par surgir de la ventilation, comme un diable sorti de sa boîte. Ses jambes demeuraient dans le conduit tandis que son torse se balançait erratiquement dans le vide. "Houhouhouuuh ! Hahaha !" Les larmes coulaient à l'envers, filant se perdre dans ses cheveux. L'agent brandissait triomphalement son ordre de mission, mais ne parvenait qu'à émettre des gloussements étouffés. En voyant les pirates au sol et le visage masqué du Valeth qui le toisait, son hilarité redoubla. "Mahahahahasque !"