La trentaine de sièges de la classe étaient vides. Oriana, portant ce jour-ci son masque d'aigle, était en train de finir de tracer à la craie une grande liste récapitulative de la prononciation des phonèmes (sons) de la langue, vus avec les élèves la semaine dernière. Après tout, qu'est-ce qu'un cours de langue sans un récapitulatif du contenu vu précédemment ? Néanmoins, l'on pouvait distinguer malgré le masque des yeux marquant un léger cocktail de frustration et de fatigue chez la jeune enseignante. Ça m'apprendra à ne pas distribuer aux élèves des fiches récap'... Elle inspira, expira, et se réjouit du cours à venir. Bueno. C'est là que les Athéniens s'atteignirent.

Elle entendit soudain la lourde porte de la salle s'ouvrir, contente de voir de nouveau les élèves (du moins, la majorité d'entre eux) arriver tous ensemble en même temps, comme pour le cours d'il y a deux jours. Positionnée debout sur la grande estrade en bois, elle resta stoïque, les observant de côté tel un oiseau et prenant un air mystérieux, tel un aigle ou un corbeau toisant les passants ou jaugeant sa proie, tandis que les élèves s'installaient à leurs sièges peu à peu et que des retardataires se pressaient d'arriver avant que la porte ne se ferme.

Elina était toute excitée après avoir pris connaissance de son emploi du temps. Le cours à venir était celui de Langue d'Invocation, qui faisait parti de ses cours préférés avec l'Espíritologie. Elle fut dans les premiers élèves à entrer et prit place dans les premiers rangs. Et à peine fut-elle assise qu'elle avait déjà sorti de quoi prendre note du cours à venir, sans oublier ses feuilles des cours précédents.

Il ne passa que peu de temps entre l'entrée des élèves et l'occupation de l'ensemble des sièges. La prof remarqua entre autres la présence d'Elina Sterfield, une élève du campus de Nuruk, ce qui ne manqua pas de lui arracher un sourire sous son masque. Elle tapa le sol avec son bâton, d'un coup bref et sec, afin de réduire au silence les quelques bavardages restants et marquer le passage du divertissement à la concentration. ¡Bonjour à toutes et tous!

Le temps que les autres élèves terminent de s'installer, Elina passa rapidement en revue ses notes avec le récapitulatif qui était écrit sur le tableau, s'assurant par là qu'elle n'avait rien oublié ni fait d'erreur. Puis quand la professeure tapa le sol de son bâton, elle se redressa sur sa chaise et reporta toute son attention sur elle, avant de se joindre en choeur avec le reste de la classe.
❝ Bonjour, professeure ! ❞

Satisfaite de la réponse collective, elle poursuivit. J'espère que vous avez révisé, car ainsi, ce sera plus facile pour vous de suivre. Nous avons consacré la séance précédente tout entière sur la prononciation de la langue d'invocation, en nous focalisant sur les sons peu rencontrés dans les langues humaines dans le monde, et donc, potentiellement les plus difficiles. ¡À présent, mes petits oisillons, vous allez apprendre vos premiers mots, et comment les enchaîner!

Elina était attentive à ce que disait le professeur, organisant ses notes de sortes à s'y retrouver facilement pour toute la durée des cours. Elle se tenait également prête, avec une feuille vierge et un crayon à la main, prête à noter les mots qu'ils allaient apprendre aujourd'hui.

Oriana écrivit à la craie le premier mot. Avant d'apprendre à invoquer votre premier Esprit, plongeons-nous d'abord dans la fabuleuse lengua de invocación avec des mots simples. Comme le dit l'adage : "Si vous parlez à quelqu'un dans une langue qu'il ou elle comprend, ça lui va à la tête ; si vous lui parlez dans sa propre langue, ça lui va au coeur." Si vous faites l'effort de faire un peu de conversation avec l'Esprit dans sa propre langue, votre connexion n'en sera que plus renforcée. Elle pointa avec son bâton vers le mot au tableau : Udnem. Ça veut dire "bonjour". Repetid, por favor : Udnem !

Attentive comme toujours, Elina prenait immédiatement note de ce que le professeur disait, inscrivant le premier mot ainsi que sa signification, avec quelques annotations supplémentaire, avant de répéter en choeur avec la classe.
❝ Udnem ! ❞

Elina continuait de gratter le papier avec ferveur, notant tout ce qui lui semblait important et tout le lui paraissait. Son nez collé à la feuille, elle écoutait avec attention le moindre de ses mots, puis vint une question. Question face à laquelle elle resta muette. Bien qu'elle appréciait ce cours, elle se sentait toute nulle face à elle, sans réponse à lui donner, sans que même la moindre idée ne germe dans son esprit. Pourquoi ?...

Eh bien tout simplement car on s'excuse d'avoir amené l'autre à s'être donné la peine de nous rendre un service. Si je me souviens bien, on trouve également cette particularité en japonais. Un garçon et une fille asiatiques au fond de la classe, visiblement japonais, acquiescèrent timidement de la tête. Bien. Maintenant, comment dire "oui" et "non" ? Elle inscrivit au tableau les mots. Pour dire "non", on dit tout simplement ö. Quand vous ne savez pas quoi dire, ne dites donc pas "euh", l'Esprit prendra ça pour un "non" ! Dites mmm ou eee. Pour dire "oui", il existe bien des mots : un poli et courant est rötöm. Répétez après moi : rötöm, ö.

Elina continuait de prendre tranquillement ses notes, restant concentrée sur celles-ci et la voix de son professeur, elle répéta un peu machinalement les mots en choeur avec la classe alors que son nez resté collé à sa feuille.

Bien, dit Oriana en espagnol. Maintenant, si l'Esprit vous remercie par un iish ubana, vous devez lui répondre ö lukrish. Cela signifie littéralement "pas de démon", et se traduit par "pas de problème". Et pour finir, pour dire "s'il te plaît" à un Esprit, dites-lui iib unga : "je demande". La connotation en langue d'invocation n'est pas aussi forte qu'il n'y paraît : l'Esprit ne s'en offensera jamais, contrairement, peut-être, à une situation où vous lui donneriez un ordre sans "s'il te plaît". Et maintenant... Elle s'éloigna, laissant le temps aux élèves de copier. Puis elle tapa au sol avec son bâton. Voici une petite demonstración.

Elina trouvait ce cours de plus en plus passionnant et avait hâte de pouvoir un jour converser convenablement avec un Esprit. Mais pour l'heure, elle avait encore beaucoup à apprendre et notait tout avec soin sur son cahier, un petit sourire aux lèvres. Uns fois qu'elle eut fini de prendre note, elle releva la tête vers le tableau et la professeure, curieuse.

Oriana fit tournoyer son bâton, avant de le "planter" au sol et de lever la main, baissant la tête, les yeux fermés (comme les élèves purent le voir par l'oeil visible dans le compartiment oculaire de son masque). Elle énonça sa formule d'invocation : Iishush ikarut, öwökiib, iib nönökuwömö ! (Esprit corbeau, mon ami, je t'invoque !) Un nuage sombre se forma promptement, tourbillonnant, avant de se dissiper comme il était apparu, révélant l'Esprit corbeau. Ce dernier avait opté pour une forme animale "normale", mais faisant la taille d'un humain. Oriana, souriant sous son masque, dit : Alors ? Qui veut venir dire bonjour à l'Esprit corbeau ?

Elina, toujours attentive et studieuse, fit son possible pour réécrire au mieux la formule d'invocation que venait de prononcer le professeur. Même si elle n'avait pas l'intention de s'en servir, elle estimait que l'information restait bonne à retenir. Après quoi, elle prit le temps d'observer l'esprit invoquait, qui ressemblait à un très gros corbeau. Puis vint ensuite la proposition du professeur. Bien qu'elle avait envie d'essayer, elle ne se sentait pas assez à l'aise pour prendre la parole devant toute la classe et baissa timidement la tête.

Une jeune fille leva la main. Oh, ¡qué bueno! Nous avons une volontaire, ¡applaudissez-la! Sous les applaudissements, l'élève s'avança timidement vers l'estrade, faisant face à l'Esprit corbeau, qui la regardait droit dans les yeux. Oriana lui mit la main sur l'épaule. Allez, dites-lui bonjour. L'Esprit lui sourit pour la rassurer. L'élève avala sa salive, et sortit un timide "Ovorod". Avant de se reprendre, rougissant : Udnem! L'Esprit lui répondit Udnem. ¡Bien! Maintenant, imagine qu'il est froissé. Mais je ne suis pas du tout offensé, dit-il. Sí, mais imaginons : comment lui dit-on pardon ? Iish ubana, dit-elle. Ö lukrish, répondit-il.

Elina relava timidement la tête quand une élève se porta volontaire pour aller parler avec l'esprit et regarda leur échange. Elle avait bien du courage pour se porter ainsi volontaire et parler devant tout la classe. De son côté, elle était bien incapable d'en faire de même, elle aurait été tellement intimidée qu'elle n'aurait pas réussi à prononcer le moindre mot.

Perfecto, complimenta-t-elle l'élève. Nous pouvons l'applaudir ! La classe s'exécuta. Le grand corbeau, souriant, s'inclina. Rougissant, la jeune fille retourna à sa place. Puis l'Esprit s'envola vers le plafond de la salle, prit une forme plus petite, puis fonça sur le bureau d'Oriana, prenant dans ses serres une pile de feuilles de papier, qu'il distribua habilement à toute la classe avant de se percher sur l'épaule d'Oriana. Muy bien.Et maintenant, rien de tel qu'un contrôle surprise pour voir ce que vous avez retenu ! Sur chaque feuille figurait toutes les expressions enseignées dans ce cours par Oriana : il fallait traduire chacune.

Elena regardait avec attention le corbeau et fut surprise quand celui-ci vint distribuer des feuilles à tout le monde. Elle pensait d'abord que c'était simplement une feuille de cours, avec des expressions à apprendre et retenir, mais il n'en était rien. Bien au contraire, c'était un contrôle de connaissances. Elle fut bien prise de court, bien qu'elle suivait toujours avec assiduité les cours, elle n'était pas très à l'aise avec cet interrogation surprise.

Oriana s'assit sur la chaise derrière son bureau, en croisant les jambes. Tel un faucon sur une falaise, elle scruta les yeux grand ouverts les éventuels tricheurs dans la classe, attendant que les élèves trouvent la traduction de chaque expression qui venait d'être abordée.