… top secret, j'peux pas vous dire.

Viktor discute tranquillement avec Lumi et son ami lorsqu’il est interrompu par des bruits dans leur dos. Des bruits de pétards. Ou peut-être des fusils ? S’interrompant, le garçon regarde derrière lui, vaguement inquiet. Il semble y avoir de l’agitation soudain. Des gens qui crient, certains qui courent. Viktor ne sait pas ce qu’il se passe mais son instinct lui souffle que c’est mauvais. Ils sont plus près de son dirigeable que de celui des filles, qu’il regarde l’une après l’autre.

Venez, on ferait mieux d’se dépêcher d’monter sur l’Anouchka. J’ai un mauvais pressentiment.

Et il a raison. Devant eux, venant de la gauche, apparaît soudain un peloton de milicien qui court vers la tribune où était prévue la remise des prix. Tout le corps de Viktor se crispe, même si aucun des soldats ne fait attention à eux.

Venez ! presse-t-il les filles en se mettant à courir vers son dirigeable et en faisant un détour pour éviter les miliciens.

Les filles n'ont guère besoin du conseil de Viktor pour s'écarter du chemin des miliciens et, réalisant que leur dirigeable est trop loin, se dirigent vers le grand dirigeable l'Anouchka. Il est bien plus luxueux que le leur qui est certes très beau dans sa sobriété mais qui n'est pas décoré ainsi. Lumi porte la main à son lance-filet personnel. Aura-t-elle besoin de s'en servir ? Il faut espérer que non.

Sitôt arrivé à portée d'oreille, Viktor siffle un grand coup, un son suraigu et puissant connu de tout le monde sur l'Anouchka. Quelques instants plus tard, une porte s'ouvre sur le côté de la nacelle sur un adolescent à l'expression méfiante. Laisse-nous monter, Vez ! crie Viktor. Vez n'a pas l'air particulièrement heureux de voir ses invitées mais il n'a jamais l'air heureux de grand chose. D'un coup de pied, il balance dans le vide la courte échelle de corde qui permet d'accéder aux quartiers de l'équipage. Après vous, mesd'moiselles, s'incline Viktor avec une courtoisie moqueuse un peu plus précipitée que d'habitude.

Lumi laisse passer Ilma en premier. Cette dernière n'insiste pas, elle sait que quand Lumi décide quelque chose, elle s'y tient, parfois longtemps. Lumi enchaîne, elle sent Hassel, son petit écureuil, remuer sous son manteau. "Bonjour, Vez !" Au loin, la jeune navigatrice observe l'agitation. Les bruits de pétard continuent mais les miliciens sont sur place et semblent contrôler la situation.

Viktor grimpe à son tour à toute vitesse avant de remonter l'échelle. Puis lui aussi observe quelques secondes l'agitation dehors. Pour une fois la situation a éteint son envie naturelle de faire le plaisantin. Il finit par refermer la porte alors que Vez répond à Lumi par un grognement avant de se tourner vers lui. A quoi tu joues, Vik ? demande-t-il avec colère. Il se passe quoi dehors ?

Heureusement pour Ilma que Lumi comprend la situation, elle peut s'en remettre à elle car Vez est en train de s'énerver contre Viktor et la raison lui échappe. Lumi de son côté est tranquille. Elle observe par le hublot l'intervention des miliciens. Pourquoi des zootropes s'en prendraient à une course ? Ça n'a pas de sens ! Ce sont forcément des agitateurs venus donner mauvaise presse aux parias de la société. "Nous sommes en sécurité, maintenant, non ?"

Du calme Vez ! s'agace Viktor en se laissant tomber sur une des chaises de la petite salle de repos. J'sais pas trop c'qui's'passe mais ça barde en bas. Des coups de feu et la milice. Il indique d'un coup d'oeil les deux filles qui sont restées près de la porte. J'pouvais pas les laisser en plan. Vez grogne mais n'ajoute rien et se laisse tomber sur la chaise voisine de Viktor. C'est lui qui répond à Lumi. Personne viendra vous chercher ici, non. Pourquoi ? Vous avez des choses à vous reprocher ? Vez !

Lumi voulait juste demander si la carrosserie arrête les balles perdues, elle ne s'attendait pas à la question de l'autre. "Non, pourquoi ? Qu'est-ce que les gens ont à se reprocher ?" demande-t-elle en toute innocence. Par chance, Hassel s'est calmé.

Vez plisse les yeux, pas convaincu, mais un coup de coude de Viktor l'empêche de poursuivre l'interrogatoire. Excusez-le, il a oublié comment sourire aujourd'hui. répond-il avec un regard noir pour son ami. Comment il était censé sympathiser (et plus si affinité) si Vez n'y mettait pas du sien ? Personne a rien à s'reprocher ici, poursuit Viktor fermement. Et même si c'était le cas, ce s'rait pas nos affaires. Il fait une pause, pas certain de savoir lui-même ce qu'il entend par là.

"Viktor a raison : il faut sourire, Vez !" dit Lumi en relevant les coins de sa bouche, offrant donc une bouille adorable aux deux garçons. "Nous allons pouvoir visiter ton dirigeable en attendant que ça se calme en bas alors ?" Elles étaient venues pour ça à la base.

Veseli, grommelle Vez, l'air toujours buté. Il n'y a que ses amis pour l'appeler Vez. Viktor secoue la tête d'un air amusé dans son dos. Lui aussi préférerait faire aux filles les honneurs de l'Anouchka plutôt que tourner en rond ici à s'inquiéter de l'extérieur mais ça ne serait sans doute pas aussi facile qu'à Tomsk. Il y a du monde à bord, Vez ? Aux machines et sur le pont de commandement, oui. Viktor se tourne vers Lumi. On peut, mais en restant discrets. Vous êtes pas supposées être là.

"Enchanté, Veseli !" dit Lumi tandis qu'Ilma se contente d'un hochement de tête et d'un discret "Ilma". La visite du dirigeable semble prometteuse. "Ne t'inquiète pas, je sais être discrète ! Et mon équipement de travail ne va pas m'aider ?" C'est qu'elle porte le bon manteau et les bonnes goggles bien typées de mécaniciens et de navigateur.

Viktor rigole en détaillant Lumi de haut en bas. C'est pas la tenue l'problème, c'est qu'tout le monde s'connait ici. Crois-moi, impossible que vous passiez inaperçu toutes les deux. Mais c'pas grave, on va juste éviter de croiser qui qu'ce soit. Vez grogne mais Viktor se contente de hausser les épaules avec un sourire malicieux. Il a toujours aimé prendre des risques. Bon... vous voulez commencer par quoi ? Il hésite un instant puis se lance. Tu voudrais voir quoi, toi, Ilma ?

Là, Ilma se fige un instant, cherchant les mots russes pour répondre sans se trahir. "Je vais avec Lumi." Celle-ci décide donc de répondre : "Alors, j'aimerais voir la salle de navigation et les machines mais ce n'est pas possible, tu as dit. du coup, j'aimerais voir les couloirs et surtout le couloir axial principal." Elle parle de la partie supérieure du ballon, là où les gabiers vont le plus souvent.

Déconcerté par la réponse simpliste d'Ilma, Viktor préfère se retourner vers Lumi. La salle de navigation c'est sûr qu'ça va être compliqué, mais les machines j'connais des accès discrets. On pourra j'ter un coup d'oeil si tu veux. Il lui fit un nouveau grand sourire. Tu vas voir, les moteurs de l'Anouchka c'est que'qu'chose ! Vez, qui jusque là bougonnait dans son coin, ne put s'empêcher d'intervenir. Bon sang Vik, c'est une connerie tout ça ! J'suis sûr que tu les connais même pas ces deux-là !

En effet. Mais Lumi se tourne vers Viktor, des étoiles plein les yeux en attendant de le suivre jusqu'aux machines d'un aéronef de luxe. "Est-ce dangereux ?" demande Ilma, tout de même inquiète (et capable de comprendre le mot "connerie").

Calm'toi, Vez ! lança Viktor avec un sourire rassurant et un regard insistant. On s’attirera pas d'ennuis, promis. Vez bougonne quelque chose comme "Mais bien sûr. C'est toujours comme ça avec toi." mais il n'insiste pas. C'est peine perdue avec Vik. Il semble quand même déterminé à venir avec eux, histoire de garder un œil sur les deux inconnues. Viktor, lui, rassure rapidement Ilma avant de s'engager dans le couloir. Heureusement toutes les portes sont fermées. Avec un signe de la main il s'engage dans les escaliers en direction de l'axial principal.

Là où va Lumi, Ilma la suit toujours. Sans Ilma, leur petite équipe ne serait pas la même. Elles suivent donc Viktor vers les machines avec toute la discrétion dont des rebelles sont capables.

En guidant les filles vers le haut du dirigeable, Viktor ne peut s'empêcher de sourire. Les petites expéditions clandestines, c'est le pied. Surtout quand les personnes qui l'accompagnent sont douées pour ne pas faire de bruit. On dirait qu'vous avez fait ça tout'votre vie, les filles, jouer aux espionnes dans un dirigeable, chuchote-t-il malicieusement alors qu'ils atteignent un palier.

"Parce que tu crois que je suis devenue pilote en restant sagement à la maison à faire de la broderie ?" chuchote Lumi, totalement à l'aise. "J'entends des bruits," intervient Ilma.

Viktor allait faire une réponse très spirituelle à Lumi quand il se fige en entendant l'avertissement d'Ilma, puis c'est Vez qui les repère à son tour. Quelqu'un vient ! Derrière nous ! La vigie, vite, les presse Viktor à voix basse avant de reprendre l'ascension des escaliers, essayant de rester silencieux en accélérant le mouvement.

Les filles accélèrent donc pour suivre Viktor. Ilma a tout de même hâte de quitter ce dirigeable pour retourner aux Ailes d'argent. Dommage que Lumi ne l'entende pas de cette manière.

Ils arrivent sur la passerelle axiale principale, si impressionnante avec le vide et la masse énorme des ballons de chaque côté, mais Viktor ne leur laisse pas le temps d'admirer la vue. Le seul endroit où peuvent aller ceux qui les suivent, c'est ici, donc ils n'ont pas intérêt à traîner. Sans courir pour autant - avec le vide autour, la passerelle métallique ferait un bruit d'enfer - il se dirige vers l'échelle de la vigie, au milieu du ballon. Il prie alors qu'il monte les échelons à toute vitesse, mais heureusement elle est vide.

Viktor prend donc le risque de mener les filles à la vigie, poste d'observation du haut du ballon. Une longue ascension à l'échelle commence avec le risque grandissant que des employés de l'Anouchka ne les remarquent. Heureusement et par chance, la vigie est vide et personne ne les interpelle. "Fiou ! On a réussi !" s'exclame Lumi, peu essoufflée par l'effort. Plutôt que d'admirer la vue, elle observe la pièce.

Viktor a encore le cœur qui bat la chamade en refermant la trappe une fois que Vez les a rejoint. Haha ! C'était fun ! Il se renverse en arrière, s'adossant à la paroi lambrissée, les genoux relevés, et agite une main vers les deux confortables fauteuils de la petite pièce. Asseyez-vous, les filles, on fait une pause.