Si les prêtres ne l'avaient pas placé en isolation, Pasha avait certainement fait de son mieux pour l'arranger lui-même. Depuis son arrivée il y a deux petites semaines, le garçon n'avait pas ôté un seul mot. Il mangea quand il fallait manger. Il dormit quand il fallait dormir. Il écouta quand il fallait écouter. Il obéit quand il fallait obéir. Mais les frères n'avaient pas pu établir un taux de réussite pour le faire sortir de sa coquille.

En effet, les tentatives de rapprochement des instructeurs avaient viré dans la direction opposée jusqu'à présent. Isolé avec un adulte, le garçon devint absolument non réactif. Ce n'est pas une coquille, c'est une forteresse, avait soufflé un Frère, pensant Pasha assez éloigné pour ne pas entendre ce qu'il disait à son sujet. Il avait seulement loupé la partie où ils confirmèrent avoir besoin de percer les murs de sa forteresse, car un Guide doit avoir une foi aveugle dans leur système, une foi aveugle en eux. Et c'est précisément ce qui lui manquait : la confiance.

Il était temps pour une nouvelle stratégie.

Faire d'une pierre deux coups. Une stratégie qui vise les meilleurs résultats avec le moins d'efforts. C'était quitte ou double. Et si c'était quitte... Dieu l'aurait voulu ainsi. A l'heure actuelle, la plupart des enfants étaient occupés avec leurs leçons respectives. Seul Pasha et deux autres enfants, avec qui il était arrivé au camp, n'avaient pas encore débuté leur routine. Il attendit donc en silence qu'on vienne le récupérer pour la prochaine activité.

Ce n'était pas un des Frères cette fois-ci. Un garçon. Un grand. Plus que lui en âge et en taille. Pas aussi imposant qu'un adulte. Pas aussi intimidant. Mais clairement l'un d'entre eux. Alors qu'un des garçons salua le nouveau-venu avec un "bonjour" de retour et l'autre avec un sourire timide, Pasha ne dit rien. Il ne le quitta pas du regard, question de voir s'il allait garder sa distance, mais pour le reste la réaction resta zéro.

{Première étape réussie Trésor} le salua Sveta quand il devina de quel enfant il pouvait s'agir. Et pour que ce qui était de garder ses distances, ce fut vite loupé. "J'ai appris que vous étiez arrivés il n'y a pas longtemps" enchaîna le brun en se posant sur un des lits vides, parlant aux trois indistinctement. "Je suis venu voir comme vous alliez. Moi c'est Klyde ! Et vous ?" Nommer une chose permet de mieux la comprendre, non ? {C'est un début.}

Semyon, répondit le premier. Danyl, le deuxième. Pasha resta silencieux. Les prêtres connaissaient déjà son prénom. Ils ne lui avaient jamais demandé. Lui c'est Pavel. C'est Semyon qui répondit à sa place. Ils venaient tous de l'orphelinat et les deux garçons étaient déjà habitué à son silence.

S'il refusait de parler, ça va être compliqué de l'aider. A moins que le rouquin ne pouvait tout simplement pas parler ! "Tu es né muet Pavel ?"s'adressa-t-il directement au concerné. Klyde paraissait vraiment inquiet à cette idée, le pauvre. "Parce que ça ne va pas être pratique du tout pour chanter la messe le matin."

Il lui adressa la parole. Pasha eu une légère vague de panique qui se dissipa spontanément quand Semyon répondit encore une fois à sa place, en rigolant cette fois-ci. Il n'est pas muet ! Il parle juste très peu. Et il n'allait certainement pas chanter.

Oui, on sait lire. Et je sais écrire aussi. Encore Semyon. On a tous commencé à apprendre il y a quelques mois, monsieur, compléta Danyl. Monsieur paraissait étrange pour un garçon de l'âge de Klyde, mais c'était dur de trouver un mot qui décrivit correctement son statut envers les plus jeunes. C'est quoi une partition ?

"Je m'appelle Klyde, pas Monsieur. J'ai que 12 ans." Et il aurait du venir plus préparé en emportant son livret, tany pis. "Une partition de musique. Ce sont des lignes qui se lisent comme une histoire mais au lieu des mots, ce sont des notes de musique. Quand on connait les notes, on peut les chanter, les paroles à dire sont écrites dessous" essaya-t-il d'expliquer. "Faudrait venir dans la chapelle principale, y'en a toujours."

Pasha non plus ne pouvait pas cacher la confusion sur son visage. C'était clair qu'aucun des garçons comprenait véritablement ce qu'il venait d'expliquer, mais même Semyon n'osait pas l'avouer par peur de se faire punir ou de paraître ridicule. Des vieux réflexes qui restèrent malgré tout intégrés dans les trois garçons, faute à l'éducation dont ils avaient profité à l'orphelinat.

Au moins il avait réussi à obtenir une réaction de Pavel, même si ce n'était pas celle espérée. "Je sais mal dire, ma faute, pardon" s'excusa Klyde par réflexe. Même devant des enfants plus jeunes, il gardait à l'esprit qu'il avait mal fait et qu'il ne fallait pas. "Si vous n'avez rien de prévu, on va à la chapelle" enchaîna-t-il en se levant du lit.

Nous tous ? s'interrogea Danyl avec incertitude. Ils avaient été informé d'attendre ici pour leur prochaine leçon, mais la lecture de partition avec un enfant de... qu'avait-il dit ? 12 ans ? n'était pas dans leurs attentes.

Ah, la question n'était pas innocente. "Vous avez eu des autres ordres des prêtres ?" se renseigna-t-il avec une moue. "Tous les trois ?" Lui on lui avait demandé de prendre soin de Pavel, il ne savait pas s'ils avaient des projets pour Seymon et Danyl.

Les garçons (sauf Pasha) hochèrent la tête. Lui n'avait pas eu les mêmes ordres que ses frères et soupçonna de plus en plus qu'il était la supposée victime du garçon bavard. De la musique ? Que Dieu ait pitié de lui. Il n'aimait pas chanter.

"Je ne peux pas tous vous emmener alors si autre chose est prévue." Dommage, les deux autres aussi auront besoin de savoir chanter correctement la messe le matin. Klyde eut la confirmation des hochements de tête quand Frère Ruslan vint à son tour dans le dortoir, satisfait d'y retrouver le jeune brun déjà tout à sa tâche.

Il accorda un petit hochement de tête à Klyde, puis parla directement aux deux garçons. Semyon, Danyl, vous venez avec moi. Les petits s'activèrent dès l'ordre prononcé. Et toi, continua-t-il, son regard sévère posé sur Pasha. Klyde s'occupera de toi. On a toute confiance en lui. Dur à dire s'il était sincère ou si ce n'était qu'un autre moyen de mettre la pression sur le plus âgé.

Sveta préféra le rassurer que les mots étaient sincères, pas besoin de faire paniquer -en plus- son protéger. Une fois le prêtre et le deux enfants partis, Klyde se contenta d'un joli sourire pour le rouquin. "Chapelle !" Et reprit les pas de Frère Ruslan devant la porte, en attendant que Pavel le suive.

Il était beaucoup trop joyeux. Et Semyon et Danyl n'étaient plus là pour traduire son silence. Pasha prévoyait une lourde journée, mais même les journées les plus difficiles ici n'étaient rien comparé à celles de l'orphelinat. Donc il suivit, garçon obéissant, dans le silence qui lui était familier.

Ce n'est pas une bible. Beaucoup trop fin comme livret. La Bible avait genre... 1 000 pages. Et 1 000 c'était beaucoup. Plus loin qu'il pouvait compter en tous cas. Il avait bien sûr déjà participé aux messes, même à l'orphelinat, mais n'avait jamais eu l'occasion de tenir entre ses mains un parolier d'hymnes. Il n'était pas fort en lecture, de toute façon. Ca lui aurait servi à rien.

Le jeune brun s'avança dans l'allée centrale pour rejoindre les premiers bancs, un livret à la main. Klyde chercha un chant à la mélodie simple et le montra au roux. "Ça ressemble à ça. Là les notes et là les paroles qu'il faut chanter selon la notes" lui expliqua-t-il en désignant les petits points noirs sur les lignes rayées.

Une note. Pasha voyait juste une boule avec des jambes. Comment étaient-ils censé de savoir ce qu'une boule représentait ? Et puis les paroles ne semblaient pas être en Russe. Un autre alphabet. Du latin, sûrement. Il avait du mal à le lire. Son visage trahit sa confusion et quand il leva la tête vers le garçon, il avait même un sourcil légèrement arqué. C'était plus que l'expression vide qu'il avait eu jusqu'à présent, même s'il n'avait toujours pas ôté un mot.