Abram et Pasha n'étaient que deux, mais leurs lancées avaient plus de force. Chaque boule de Pasha qui marquait son but laissa une légère tâche rouge sur la peau. Celles de Abram étaient plus fourbes. Etant donné qu'il visa surtout la tête ou d'autres endroits où il pouvait vraiment faire mal aux enfants, même la meilleure défense ou le meilleur plan d'attaque ne faisait rien au long terme. Quand on n'est pas blessé, on peut facilement continuer.

"Qu'est-ce que t'as ?" lui demanda Nika en voyant qu'il avait cessé de bouger, sa bouille ronde déformée par une moue boudeuse. "Le grand avec les cheveux noirs, il triche" affirma le petit Klyde avec fermeté. "Il blesse les autres. Y'a pas le droit si c'est pas un entrainent." "Et tricher, c'est mal ! Viens, on va le punir, pour Notre Père !" affirma le blond en lui fourrant des provisions dans les bras.

Abram avait cessé ces lancées de boules de neige. Il voulait finir sa leçon d'une autre manière. Viens, on les plaque à terre ! cria-t-il à Pasha, qui avait encore les bras remplis, lui. Hein ? On va leur instruire les stratégies du Malin. Pasha n'avait pas le temps de répondre. Abram n'avait pas le temps d'instruire sa leçon non plus. Une voix ferme et effrayante les coupa dans leur élan. QU'EST-CE QUI SE PASSE ICI ?! Frère Ruslan.

Les enfants se trouvèrent à présent à genoux en rangée. Pasha et Abram avaient déjà le réflexe. Les plus jeunes ont dû les recopier. Qui est responsable ? Son regard sévère passa sur tous les enfant, un par un. Pasha avait rapidement détourné le regard, focalisant sur la neige devant lui. Le premier qui osa briser le silence fut Abram. C'est Pavel. L'accusé haussa les sourcils de surprise devant cette nouvelle.

Un "et moi" faillit faire redresser la tête bouclée de Klyde mais Nika lui fit signe de garder le silence. Frère Ruslan s'approcha du petit blond tout en fixant d'un air déçu l'autre garçon aux cheveux oranges. "Je voulais qu'on en profite pour s'entraîner à esquiver" tremblota Nika, plus par peur qu'à cause du froid. "Piètre tentative" répondit le prêtre encore bien agacé mais impossible de savoir à qui ou de quoi il parlait.

Il n'osa pas se défendre. Accuser son camarade de mensonge lui sembla pire que garder le silence. Vu qu'il avait du mal à s'exprimer, il craignit également de sonner faux dans sa défense. Pardon, tenta-t-il tout de même. Ce n'est pas à moi de te pardonner, mais au Seigneur. Il monta le regard vers le ciel comme pour prouver qu'une force divine les surveillait de là-haut. Il peut pardonner la naïveté des petits, mais vous n'aviez pas cette excuse, ajouta-t-il en regardant Pasha et Abram.

Pasha n'arriva pas à croire qu'il avait osé s'amuser pendant quelques instants. Le prêtre avait raison. Leur jeu n'était qu'une maigre excuse pour un entraînement d'esquive. L'intention était peut-être là, mais la réalité était trop éloigné du but. Il allait devoir se repentir pour avoir participé et pour ne pas avoir dénoncé Abram... et il savait ce que ça sous-entendait. Vous pouvez disposer, les enfants. Abram et Pavel, je vous attends dans le scriptorium.

Pasha entra dans la cuisine avec Abram, les sourcils encore plus froncés qu'avant (si si, c'est possible). Il se dirigea, comme on l'avait instruit, vers le plus âgé du groupe qui semblait superviser les travaux en cuisine. Voilà les renforts, leur dit-il, avant d'expliquer où se trouvèrent les couteaux et ce qu'il resta à faire. Pasha était déjà au courant. Ce n'était malheureusement pas la première fois qu'il se trouva à faire des corvées.

Klyde leva ses yeux bleus argentés devant les grands, heureux de les retrouver en état, mais le regard noir du brun le remit rapidement devant sa pomme de terre toute propre. Nika et Olya étaient absents, séparés du groupe avec en charge le nettoyage complet du réfectoire. A deux. De quoi les occuper longuement. Klyde revint à sa place à côté de Lazar pour continuer son épluchage en silence tandis que Vadim s'occupait de faire bouillir l'eau.

Et lui qui avait vraiment cru -naïvement- qu'il n'était rien arrivé aux grands. Lazar lui donna un coup de coude alors qu'il regardait les pauvres mains abîmées du garçon roux. Il voulait faire quelque chose pour l'aider, il savait que le jus des patates crues allait le brûler sur les plaies ouvertes. "Occupe-toi de tes affaires !" s'impatienta son compagnon de chambre, craignant que leur punition empire avec la compassion mal placée de Klyde.

Il y a toujours cette sensation d'observé quand un regard reste bloqué sur toi un peu trop longtemps. C'est ce sentiment là qui traversa Pasha et lui fit relever les yeux. Le petit nouveau (il ne l'avait vu qu'une ou deux fois auparavant) sembla un peu trop préoccupé de... Il suivit son regard vers ses mains. Ah. Ça n'fait pas mal. Ils allaient avoir des problèmes s'il n'arrêtait pas.

Lui aussi fut surprit. Jusqu'ici, seul Nika prenait sa défense, même si ça restait limité. Il ne pouvait pas dire que les autres enfants étaient méchants avec lui mais il recevait certaines remarques sur ses difficultés d'apprentissages ou, ce qu'il comprenait encore moins, ses yeux. Mais Abram, lui, il y avait quelque chose de méchant. Il détourna donc le regard, se faisait plus petit qu'il ne l'était déjà, tout en restant attentif.

Il avait du sang plein la bouche, il s'était bien coupé cette fois. Toujours son majeur entre les lèvres, Klyde murmura un "merci" tout candide en reprenant le couteau des mains du grand. "Je suis désolé, c'est ma faute, je sais pas encore faire bien..." Les deux autres de son âge voulaient surtout en finir au plus vite avec leur corvée, le petit brun préférait faire les choses correctement ; au moins pour épargner ses doigts et ne pas fâcher les prêtres.

Tu apprendras. Il avait intérêt en tous cas. Le camp pouvait être dur avec les enfants les plus lents ; ça passe ou ça casse. Pasha avait entendu circuler qu'à partir de son âge, l'entraînement allait vraiment passer en deuxième vitesse. Vu ce qu'il avait déjà fait, il pouvait que difficilement s'imaginer ce que ça pourrait donner. Toujours mieux que l'orphelinat, ça c'est sûr. Ou pas. Abram lança son couteau en l'air, regardant la lame tourner, avant de le rattraper par le manche.