"Bonsoir Madame" répondit Lyov en levant à peine les yeux de son dossier. "Puis-je m'enquérir de votre santé ?"

"Comme toujours"... évidemment. Comme sans doute le soir où elle l'avait trouvé agonisant devant sa porte. Elle n'insista pas néanmoins, l'état du Médecin était assez clair pour la dispenser d'une insistance malvenue. Elle s'assit légèrement sur le fauteuil laissé libre, son ouvrage à la main, prête à reprendre l'aiguille où elle l'avait laissée sur la toile.

Ils restent en silence un moment tous les deux. Elle brodant, lui lisant, sirotant par intermittence son verre d'eau. Un whisky aurait été meilleur. Et à défaut... il pose ses papiers sur le sol près de lui et se lève soudain, regardant la veuve, sage et appliquée. "Je vais au Samovar me faire une tasse de thé, êtes-vous intéressée ?"

"Non non, j'y tiens. Je ramènerais des chandelles en passant. Celles-ci ne font pas assez de lumière et vous vous abîmez les yeux." Parce que oui, il l'avait regardée se pencher sur son travail d'aiguille. Il s'approcha du Samovar et lança les préparations en homme peu habitué à utiliser un tel ustensile. "Et puis cela me permet de réfléchir autrement à mon problème."

Elle resta droite, l'observant en silence. Il n'était définitivement pas à son aise, mais il eût été malséant de lui ôter l'ustensile des mains à présent qu'il s'y affairait. Elle ne demanda pas non plus quel était le problème - des affaires d'hommes, de démons, de médecins peut-être, rien qui la concernât ni où une intervention de sa part pût avoir la moindre pertinence.

Bon. L'eau semblait prête à présent. Il suffisait donc de la verser sur le thé. Un truc d'anglais que les russes avaient élevé au rang de torture comme ils savaient si bien le faire. Evidemment, il ne fit pas attention et attrapa la poignée en métal à main nue. Evidemment il la retira rapidement avec un sifflement de douleur, secouant la main bien inutilement comme pour la refroidir.

Tout était donc aussi parfait que possible. La veuve hocha la tête avec l'ombre d'un sourire poli et se rassit à son tour une fois son propre thé servi. "Ce thé est issu d'un nouvel approvisionnement. Qu'en pensez-vous ?" Il ne vaudrait jamais celui qu'elle prisait tant dans sa première vie, mais elle le trouvait nettement plus buvable que le précédent, qui valait encore moins cher.

"En effet." Quoi dire d'autre. Il retint cependant la mention des thés chinois et nota à part lui de se renseigner auprès de leur contact à l'Ambassade. Si cela pouvait passer pour un geste de bonne volonté et qu'il pouvait faire plaisir en passant...à réfléchir. Il n'était pas vraiment en état ce soir de prendre des décisions objectives. Il aurait donné beaucoup pour que la soirée ne se termine jamais. "Avez-vous tout ce dont vous avez besoin ? Un meilleur fauteuil ?"