Poulpe ne comprend pas. Il se trouvait sur le Neph Fou avec l'équipage, et il était de réparer... De réparer... Oh un truc qui bouge !

Dans le bar la lumière flash, multicolore, les corps se déhanchent, de multiples formes, de multiples tailles. Dans cette antre obscure où tout bouge au son de la musique, il y a un grand mur faiblement éclairé, à travers lequel on peut voir une petite multitude de créatures aquatiques se mouvoir, nager doucement dans leur grand aquarium. Ces poissons aux multiples apparences se côtoient sans heurt... A l'exception du poulpouïde. C'est un prédateur... Mais pour un si petit spécimen, l'énorme poisson mâle armé d'un bec, très territorial, n'est pas un ami.

Poulpe est confus. Il a peur, il a faim, il est perdu. Plus grand il écraserait sans peine le grand poison, ses blessures seraient minimes, mais une seule morsure lui couterait la moitié de sa masse actuelle. Il est petit. Et seul. Pourquoi est-il seul ? Livré à lui-même, il se glisse dans les décorations faisant office d'environnement dans ce lieu clos. Le coup de bec n'est pas passé loin. Tout en surveillant régulièrement les mouvements de son ennemi, le poulpoïde tente de comprendre son environnement. Il y a une parois, et de l'autre côte... Des choses bougent, difficiles à voir clairement.

Il ne sait d'où, lui vient la certitude que ces choses sont intelligentes. Sans réfléchir, sans savoir d'où il le sait, il plaque ses minuscules et fines tentacules sur le verre. Pour communiquer. Ces créatures peuvent le "toucher" à travers la paroi ?

De l'extérieur, on peut lire, formé par les petits muscles longilignes d'un jeune poulpoïde noirâtre les lettres suivantes :

Une face s'approcha de la faible lumière de l'aquarium géant. Visage. Humain. Les informations lui venaient sans qu'il ne s'y intéresse, frétillant énergiquement afin de conserver l'attention de la créature. Tout en la surveillant - ainsi que les mouvements du gros poisson -, Poulpe monta la parois. Logique : ouverture en hauteur. Sortie. Cependant, il s'avéra bientôt que l'aquarium était très haut, plus que la créature asexuée. Le petit poulpoïde ne baissa pas les bras tentacules, et ces dernières se mobilisèrent afin d'obtenir une nouvelle forme :

Le bidule fait des trucs bizarres, avec ses bras. On dirait... Un flèche ! Haan, t'es trop fort ! C'est bien beau de trouver ça chouette, mais la ptite, elle pige pas tout de suite que c'est un message. Pourtant, une flèche, c'est pas dur à comprendre, si ? Puis elle regarde en haut. Sauf qu'en haut, y a le plafond. Elle regarde le poulpe. Elle regarde à droite, rien. A gauche, r... Ah si ! une porte ! Elle y court et tourne la poignée. Ça s'ouvre, les mecs ! 8D Derrière, y a un escalier qui monte...

Incapable de savoir ce qu'il était advenue de la créature, Poulpe préféra agir en fonction de la possibilité la plus stimulante : elle cherchait, voire trouvait un moyen de monter. Aussi en fit-il de même. Discrètement. En restant à l'abri. Il y avait des poissons partout... Soudain, des vibrations bien particulières se propagèrent dans l'eau, et toute la nuée écailleuse se rua vers le coin lointain où, le poulpoïde le comprit, l'ouverture devait se trouver. Et désormais, elle était gardée par une armada affamée, à la limite de la frénésie.

Siv atteignit le haut de l'escalier. C'était une petite salle avec un tas de matériel bizarre. Enfin, bizarre pour une gamine qui a l'habitude des vaisseaux spatiaux et qui n'entend rien en bidules marins. Au moment où elle remarquait l'aquarium à droite, il y eut une vibration. Ça venait d'un gros tube. Il était transparent et on pouvait voir un tas de machins filer vers la flotte. Nourriture ? Sûrement. Elle voyait plus qu'un mur de poisson. Elle s'approcha et toqua à la vitre. Monsieur Pooouulpe ?

La débandade culinaire fit passer inaperçu le drame de quelques poissons mis à l'écart, qu'un minuscule poulpoïde en mode furtif prit en otage tour à tour, alors que le gros mâle était bien trop occupé à s'accaparer la part du lion. Un petit poison multicolore s'agitant dans son étreinte, Poulpe se ventousa à cette nouvelle paroi, utilisant sa victime comme rempart visuel. L'humain était bien là. Une sortie bloquée. Autre ? Perplexe, Poulpe essaya encore de communiquer, la créature s'étant montrée réceptive jusque là. Un intuition lui souffla le message suivant :

Oooooooooh, trop mignon ! Siv est en extase. Le poulpi est trop choupi. Surtout avec son poisson coloré, là. Siv en a les yeux qui brillent, elle en oublierait presque pourquoi elle est là. Et puis elle a envie de faire un "high five, bro" et elle peut pas. La vitre, tout ça. Ok. Solution ? Elle regarde partout à nouveau. A droite, y a une alcôve avec un escalier en colimaçon qui monte encore. Eukééé, je monte ! Bouge pas, Poupli ! Ses petits pieds font un bruit d'enfer sur le métal des marches.

Cet étrange message semblait avoir fait son effet. Très appréciable. Merveilleux. Même si le gros poisson repéra, il ne sait, comment son manège, rappliquant en moins de deux. Et ce fut la panique : la foule de poiscaille fut complétement perturbée par le dérangeant poulpoïde qui se ventousait à tout ce qui se trouvait à portée de tentacules, tandis qu'un grand mâle en colère faisait claquer son bec non loin derrière, envoyant valdinguer sans vergogne les petits gabaries qui n'avaient rien demandé. Viiiiiiiiiite ! Viiiiiiiiite !

À l'étage, la salle est immense, cette fois. Et puis il y a plein de bidules sur les côtés et rien au milieu. Il est où, l'aquarium ? Siv s'avance et tape de son petit pied sur le sol. Ça fait un drôle de bruit sourd. Alors elle cherche un bouton, un levier, quelque chose. Et elle trouve une sorte de grosse télécommande qui pend à un câble. Elle actionne le bitoniau et le sol commence à coulisser : c'est une énorme trappe. Et en dessous... l'aquarium ! 8D

Poulpe aux commandes. Direction : vers le haut. Vitesse maximale. Blop blop blo-blo-blo-blob-b-b-b-b Et sssssssssssssssplach ! Le dernier otage en date du poulpoïde s'invente fusée aquatique, jaillissant de l'eau, s'écrasant dans un bruit mouillé sur le vêtement de l'enfant. Le poisson glisse tandis que, réactif, Poulpe s'y ventouse aussitôt, tel un bébé orang-outan - en plus collant - accroché à sa maman tandis que, dans l'aquarium un gros poisson sans adversaire se fait sermonner par son harem pour la pagaille.

Et ben même pas dégueu. Siv éclate de rire. Et comme si la situation n'était pas déjà assez incongrue, elle ferme ses petits bras autour du poulpe, fait un tour sur elle même... et dégringole au sol dans une jolie chute à peine gracieuse. Pas du tout gracieuse, même. Puis, dans une non-maîtrise absolument parfaite, elle roule sur le côté (heureusement du bon côté – Eh ! y a des poissons fâchés, dans la flotte !) et tous deux cognent une machine qui se met à vrombir.

"Qu'est-ce que tu fais là toi ?" maugréait un nouveau venu. Un Poulpe encore humide s'empresse de glisser des mains de la petite humaine, afin de se faufiler par son col sous son vêtement, s'étalant dans son dos afin de ne pas attirer l'attention par une bosse incongrue.

"Mouais... En tout cas t'as pas à resté là. Qu'est-ce que tu fais toute seule." Qu'il fait en la poussant vers la sortie avec une tape dans le dos. Surpris, le petit poulpoïde frémit de toute sa surface noirâtre. Une seconde l'homme se fige regardant sa main puis l'dos d'la fillette. Dans le doute, il la retient pas une épaule... Une innocente tentacule égarée de ce côté-là frétilla de plus belle. Tirant sur le col brutalement, il la mit au jour. "Une bestiole !"

C'est pas gentil d'me traiter d'bestiole ! C'est pas parce que chuis pas comme toi qu'chuis une bestiole, okay ? Ouais, Siv a du répondant. Déjà. Et elle tient à garder son poulpi, alors la grande banane, là, elle a intérêt à pas faire de vague. Me prends pas pour un con, hein, t'as un truc dans le dos ! Ouais, ben c'est pas une bestiole, okay, c'est mon corps ! Là-dessus, elle se met à pleurer. Pour de faux. Méchant monsieeeuur ! Larmes de crocodiles. Très réalistes. L'entraînement !

Le bonhomme enrage, mais il veut pas rameuter toute la boîte pour de la marmaille en larme. "Saleté d'gosse." L'air de rien il la choppe par le col, la trimballe jusqu'en bas puis la jette dehors. Retour dans la pièce sombre aux lumières clignotantes. Le poulpoïde hasarde une tête hors de sa planque. Libre ! Même si ça ne veut pas dire grand chose quand on est une petite chose noirâtre incapable de communiquer avec les autres.

Siv a arrêté de pleurer aussi sec. Elle a plus moufté jusqu'en bas et maintenant... Maintenant, elle a un sourire plus grand qu'elle étalé sur le visage. Elle tourne la tête comme elle peut pour voir celle du poulpi qui sort de sa tunique. On a réussi ! lance-t-elle, triomphante. Il y a à nouveau du monde, dans la salle, mais les gens regardent les aquariums et personne ne remarqué la môme et son nouveau copain. Perfecto dito. T'aime la glace ? Elle a vu un stand, près de l'entrée, et elle en a très envie, là tout de suite.

Le poulpoïde sait vaguement ce qu'est de la "glace", mais lui, c'est plutôt le drôle d'humanoïde à la masse débordant de son siège à propulsion, discutant avec une ribambelle d'autres spécimens. En fait Poulpe lorgne surtout son masque électronique. Sa combinaison étant ouverte, il n'est pas question d'avoir un milieu gazeux plus adapté mais peut-être... De traduction ? Sortant un peu du col de la fille, Poulpe fait à nouveau un signe dans la direction du guss : ↑ .

Siv regarde le groupe de gens. Les adultes sont d'un tel ennui ! Elle ne comprend pas pourquoi poulpi les montre du doigt tentacule. Leurs conversations sont mortels et ils ne comprennent jamais rien. C'est bête, ces choses-là. T'es sûre que tu veux aller les voir ? Indécise, elle les regarde d'un air découragé.

La réponse de Poulpe fut sans appel : ↑ ↑ ↑ dans la même direction (merci les multiples tentacules). Les "bêtes" il n'en avait rien à faire. Mais le micro... Traducteur ? Traducteeeeeeeeur !

Rien à faire, Siv ne comprend pas. Mais elle est disposée à accéder à la demande de poulpi juste parce qu'elle est trop contente qu'il soit avec elle. Aussi, elle avance jusqu'aux grands bêtes et balance en plein milieu de leur conversation, sans s'excuser ni rien de les interrompre* : J'crois qu'mon copain veut vous parler. Et de pointer poulpi du pouce (en tout cas l'endroit où il se trouvait deux secondes avant). Et de comprendre dans la foulée ce qu'il montrait vraiment. Là-bas, ajoute-t-elle vite-fait en pointant une direction au hasard pour faire diversion.


* Siv parle en trisite.

La diversion de la fillette s'avère inutile, le poulpoïde s'étant jeter de son col pour s'accrocher au gros spécimen. Aussitôt ce dernier se débat d'une manière parfaitement ridicule, tandis que Poulpe se contorsionne pour atteindre le traducteur. Alors que tout ce beau monde paille en de multiples langue, il atteint le gadget électronique. "Je pense donc je suis." Dit la voix synthétique. Satisfait, il se glisse dans le dos du gros lard et pouuuuuusse. Hisse ! Une fois dégagée, il indique à l'enfant de prendre la place.

Ne comprenant pas le geste de l'humaine - high five ? What else ? -, le poulpoïde n'y réagit pas, préférant diriger le fauteuil à travers la foule de danseurs, droit vers le puits de lumière qu'il supposa être une sortie. "Où sommes nous ? Pourquoi sommes-nous là ?" débitait sur un ton affreusement neutre la voix synthétique du traducteur.