L'autre fille lui avait dit qu'elle habitait au quartier de St Pétersbourg et c'était un graaand quartier. Heureusement, elle lui avait aussi donné son nom de famille : Tselikovskaïa. Après s'être fait disputé pour être revenu à la maison le pantalon couvert de saletés, le garçon avait repensé à sa rencontre avec cette fille si sure d'elle et encourageante. Elle l'avait abreuvé de compliments sur sa dextérité lors de leur rencontre. Alors naturellement, le jeune garçon mourrait d'envie de la revoir, n'était-ce qu'un peu.

Quelques jours passèrent avant qu'une nouvelle opportunité de la revoir ne présenta. Le jeune albinos chercha donc la fameuse maison dans les beaux quartiers. Pour l'occasion, il avait choisi son pantalon préféré, à la fois robuste et présentable. Il portait toujours ses lunettes teintés et la teinture censées dissimuler son albinisme qui effrayaient tant de gens. Mais pas elle, car elle était aussi bizarre que lui mais ne s'en cachait pas !

Il finit par trouver la demeure, restait à savoir comment entrer. Le pré-adolescent décida de faire le tour et d'observer toutes les entrées, surtout les plus modestes et discrètes. Et s'il pouvait la voir dans le jardin, ce serait encore mieux.

Puis le doute s'installa : elle l'avait peut-être déjà oublié. Si ça se trouvait, ses louanges n'étaient que paroles en l'air… Se souvenait-elle de lui ?

Elle n'avait pas oubliée mais s'occupait actuellement d'une autre jument dont son oncle avait conclu la vente. Le fait que la bête se retrouve dans les écuries de sa demeure tenait plus d'une question pratique que d'un caprice de sa part (uhm uhm), ses nouveaux propriétaires ne pouvant pas l’accueillir pour le moment. Et puis, c'était dans l’intérêt du cheval qu'elle continue de le monter et de s'en occuper ! Du foin plein son pantalon, Ineska se traina dans la cour puiser de l'eau au puit et prendre une pause devant les poissons du bassin.

Le pré-adolescent vit la jeune fille de la dernière fois, en pantalon cette fois ! Et sale en plus !! Elle n'était pas du tout féminine, à croire que c'était un garçon dans un corps de fille… Peut-être pour ça qu'il l'aimait bien. En tout cas, elle était à portée. Le garçon prit un caillou et le jeta par dessus la barrière (en essayant de ne pas viser la tête de sa cible).

Un petit impact sur le sol attira son attention mais rien d'inhabituel se démarquait, peut-être un oiseau qui avait fait tomber quelque chose. Elle allait reprendre son chemin des écuries quand elle remarqua une silhouette se démarquant à l'orée du jardin. "Montrez-vous ! Je vous vois mal" osa-t-elle exiger. S'il s'agissait d'un intrus, il s’enfuirait.

C'était elle, c'était sa voix !
"C'est moi !"
C'était bien lui.
"C'est Maksim ! J'ai monté un cheval, Neige."

"Oh, Maksim" s'adoucissa-t-elle en reconnaissant le garçon. "Un instant." Elle posa son seau rempli pour venir lui ouvrit. Exit la jolie robe de jeune fille de bonne famille, la blonde ne portait rien de sophistiqué si ce n'étaient sa coiffure élaboré et que ses vêtements étaient certainement du sur mesures. Et elle sentait le cheval. Vraiment. "Comment vas-tu ? Pas trop de soucis depuis la foire ?"

"Ça a été, j'ai l'habitude. Je peux entrer ? Ta promesse tient toujours, hein ?"
Ineska avait en quelque sorte promis à Maksim de lui fournir plus de leçons équestres, pas une promesse solennement portée à l'écrit ou faite avec le petit doigt mais une parole était une parole !
"Et toi ? On t'a pas trop grondée ?"

Le portail fut déverrouillé manuellement, sans clé ni rien (vraiment pas sécurisé...) et elle le laissa entrer avant de refermer derrière lui. "Je me fais souvent grondée et la moitié du temps pour des raisons injustifiées... à mon sens du moins. Donc si mais j'ai l'habitude également" haussa-t-elle les épaules en récupérant son seau. "Tu arrives à un moment amusant, j'allais laver Topaze ; tu ne crains pas l'eau j'espère ?" Le sourire était moqueur, elle voyait bien qu'il avait voulu se faire beau.

Maksim craignait l'eau mais pas pour les raisons que s'imaginait Ineska. L'eau ôtait la précieuse huile solaire qui le protégeait des rayons dévastateurs.
"Hum, je vais rester à côté, à l'ombre, c'est pas grave."
Et c'était vraiment dommage car il aurait voulu aider son amie aux yeux bicolores. Ils étaient si étranges, différents de couleur mais avec la même expression rieuse.

"Tu m'assisteras dans ce cas." Ladite Topaze était une jument plus âgée que Neige d'un gris si foncé qu'elle paraissait noire, laissant quelques zones vers la tête et la croupe plus claires. Elle était attachée dehors aux écuries familiales, dont les portes étaient grandes ouvertes avec des brins de paille un peu partout, et attendait patiemment la suite des événements. "Je vais voir si tu as bien retenu ta leçon et je vais te laisser te présenter à Topaze."

Maksim se souvenait de sa brève leçon et tendit la main vers la bouche de Topaze pour qu'elle le sente et l'accepte. L'animal tourna un œil intéressé mais Maksim ne recula pas. Il finit par frôler les naseaux.
"Topaze. Bonjour." dit-il d'une voix douce.

Elle montra son intérêt en soufflant sur la main tendue et releva la tête pour inspecter le reste du bonhomme. Du bout des lèvres, elle remonta son bras et lui souffla de nouveau plus proche du visage. "Je l'arrêterais si j'étais toi, à moins que tu veuilles qu'elle te lèche" s'amusait Ineska. Au moins, le petit était apprécié de la jument.

Le garçon s'éloigna vivement de l'animal-lécheur. Il ne voulait pas être mouillé et encore moins recouvert de bave par un animal qui ne sentait pas franchement la rose. Il regarda le dos nu de la jument et se demanda comment il allait monter dessus pour la leçon. Sa fameuse poussée de croissance spectaculaire tardait (trop à ses yeux) à venir.

"Bien. Maintenant, si tu pouvais me ramener une éponge douce qui se trouve dans la sellerie, je t'en serai grée. C'est une pièce au fond des écuries." Lui donnait-elle des ordres ? Oui, tout à fait mais il était là pour apprendre non ? "Je t'autorise à y traîner si tu veux observer le matériel mais ne touche à rien ; une selle, c'est très lourd." Et celle de Topaze était de qualité.

Maksim obéit, pour l'instant. Il avait eu la preuve que son professeur en jupe (sauf à ce moment-là) tenait ses promesses. Il prit donc le chemin des écuries, en profita pour observer ces outils dont l'utilité précise lui était inconnue (hormis le balai). Il prit son temps pour observer les fameuses selles trop lourdes que les cavaliers installaient sur le dos de leur monture. Contrairement aux indications, il tâta la selle par curiosité.

Durant ce laps de temps, Ineska brossait amoureusement la robe grise de sa monture et chassait le plus gros de la poussière. Un mouchoir de sa poche, en tissu fin et raffiné, fut sacrifié pour nettoyer plus en douceur les yeux, les naseaux et la bouche de la jument, celle-ci ne cherchant pas à la lécher durant le processus (mais tenta un coup de langue sur sa main sur la fin).

Durant ce laps de temps, Maksim continuait de toucher la selle et de l'examiner sous toutes les coutures, imaginant l'instant où il monterait pour de vrai sur SA selle personnel. S'il devenait milicien comme son grand-père, il pourrait sans problème obtenir une monture de fonction, un animal qui le porterait partout et qui écarterait les gens sur son passage avec lui, Maksim, en hauteur, plus grand que tout le monde.
Il finit par revenir avec l'éponge.

"Alors ?" lui demanda-t-elle soudainement, ne s'attendant pas à une réponse précise.

Alors il avait rapporté l'éponge, que voulait-elle donc savoir ? Se doutait-elle qu'il avait admiré les objets malgré l'interdiction ?
"Topaze est bien propre maintenant."
Son regard glissa vers la cendrillon au chignon sophistiqué en pensant que certaines personnes devraient faire de même.

Quelle réponse était-ce cela ? Rien de ce qu'elle attendait. "Tu as touché, n'est-ce pas ?"

Maksim renvoya un visage innocent très convaincant.
"Touché quoi ?"

Et en plus, il se moquait d'elle. Était-ce un trait de son caractère ou une pirouette de jeune enfant pour éviter de se faire gronder ? "Tu sais que tu as plus à perdre en me mentant qu'en étant sincère envers moi, uhm ?"

"Si tu veux une réponse précise, il faut une question précise. Evidemment : j'ai touché l'éponge, oui. Mais si tu parles de Topaze : non, je n'ai pas touché Topaze depuis que tu l'as nettoyée. Elle est belle maintenant en tout cas."
Logique et imparable.

"Je vois... c'est donc normal que tu ais des traces de cirage sur les doigts en touchant simplement une éponge ?" Bien sûr qu'elle ne voyait rien sans inspecter d'avantage ses mains mais encore une fois, c'est sa réaction qu'elle voulait.

Maksim avait des traces de cirage sur les doigts ? Il fronça les sourcils et regarda ses mains.
"Il n'y a rien. Qu'est-ce qui te fait penser ça ?"
Il voulait juste passer du temps avec une fille sympa avec lui, pourquoi se mettait-elle soudainement à lui chercher des poux ?!