Moscou avait beau être sous la direction du Vatican qui réprouvait toute assimilation avec les zootropes et donc par extension les animaux. Cela n'empêchait pas les plus riches d'organiser de grandes foires de bestiaux pour vendre et exhiber leurs plus belles bêtes. Le cheval de selle rimait donc avec prestige.
Les livres de guerre parlaient d'eux comme des biens nécessaires et glorieux, les histoires évoquaient des chevaux fantastiques comme dans l'Oiseau de feu, une bête aux sabots d'or capable de filer comme le vent.

Maksim ne connaissait pour ainsi dire aucune bête (hormis cette saloperie de chat qui lui avait filé de l'allergie). Le garçon désirait donc voir ces animaux imposants et majestueux de plus près. Il avait vu une annonce dans le journal, retenu la date et repéré les lieux. Il profita donc de ne pas avoir de cours pour s'y rendre et voir par lui-même. À cette époque, il n'aimait pas particulièrement traîner avec Slava, aussi n'avait-il pas pensé à l'inviter.

Toujours était-il qu'il déambulait maintenant dans la foire. Il traîna près des enclos et cherchait à se rapprocher le plus possible malgré l'odeur.

Parmi ces gens riches (ou qui faisaient tout comme), la famille Volynsky restait renommée pour ses trotteurs d'Orlov, une race encore relativement récente sur le territoire russe. L'éleveur de renom était accompagné de sa sœur cadette et la jeune fille de cette dernière.... disparue il ne savait où. Inessa, enfant de la ville mais déjà mordue de chevaux, désirait profiter pleinement de la foire et l'arpentait en prenant à peine à garder sa belle robe propre entre la boue et les brins de foin. Peut-être, si Dieu le voulait, trouverait-elle la monture de ses rêves.

Les chevaux ignoraient Maksim ! Ils ne venaient pas le voir, se contentant de ne rien faire. C'était ça les fameux guerriers ?
"Allez, viens ! Je vais pas t'manger !" dit Maksim à une belle jument à la robe grise, presque immaculée.
La garnement portait des vêtements communs, bien propres et parfaitement entretenus. La seule chose qui étonnait était les verres fumés qu'il avait sur le nez, destinés à cacher la couleur rouge de ses pupilles.

L'adolescente eut un petit rire bref à la vue du garçon qui essayait d'attirer l'attention d'un des destriers. Les citadins, vraiment. "Parle-le mieux, sinon elle ne bougera pas" se moqua-t-elle de son manque de savoir vivre. Ineska ne se voulait pas aussi autaines que les autres femmes de son rang mais le gamin s'y prenait vraiment comme un rustre.

Le garçon sursauta si violemment que la jument s'éloigna davantage, tout aussi effrayée.
"Elle ? C'est une fille ?!"
Citadin jusqu'au bout.

Le sourire de la blonde s'accentua et le regard vairon brilla d'amusement. "Oui, ça saute aux yeux. Je dirais même qu'elle ne doit pas avoir les cinq ans..." Son oncle lui avait bien appris quelques astuces et ses connaissances la rendait fière. Quel mal y avait-t-il à s'en vanter un peu ?

Max commençait à considérer la nouvelle venue. Elle se moquait de lui et il n'aimait pas ça.
"Je suis pas débile. Personne m'a vraiment parlé des chevaux."
Il y a une différence entre voir des chevaux attelés et pouvoir estimer le sexe et l'âge d'une bête.
"Comment tu sais qu'il- qu'elle a cinq ans ?"
À bien y regarder, l'animal était bien bien plus grand que lui même au même âge.

"Parce que je m'y connais, mon oncle est un éleveur de chevaux et je monte depuis que je sais marcher." Presque. Mais elle n'avait pas attendu l'autorisation de ses parents pour monter la premier fois sur le dos d'un cheval (et Yeva lui avait même fait la courte échelle). "J'imagine que tu ne connais que les chevaux de ville qui sont utilisés que pour la monte ou les calèches.... elle, c'est une race faite pour la course."

Bonus :

Faite pour la course ? Rapide comme le vent ? Et en plus, cette fille montait depuis petite, comme Maksim l'enviait. Bon, pas totalement, il n'enviait pas sa robe.
"Tu me montres ? Ou faut que tu changes de vêtements avant ?"
Subtilement, il ne laissait que deux options qui impliquaient toutes les deux qu'elle lui montre.

Elle avait vu le non-choix qu'il lui laissait mais Ineska jouait à ce jeu depuis longtemps... et il n'y avait guère que ses parents pour la faire obéir. "Il n'y a pas l'espace pour une vraie course ici" l'informa-t-elle mais cela ressemblait trop à une excuse pour se défiler. "Et il faut d'abord que tu saches monter sur un cheval avant de le faire courir... et sans tomber. Ça, je peux te montrer que c'est possible même avec une robe." Que croyait-il ?

C'était une première, Maksim n'avait même pas besoin de lui demander qu'elle offrait ses services pour lui donner exactement ce qu'il voulait. Ses yeux brillaient… derrière ses verres teintés. Il se rapprocha, se demandant soudainement où était le piège. Parce qu'il y avait un piège, n'est-ce pas ? Il s'arrêta à bonne distance de la fille.
"Très bien, je suis tout ouïe."
Quel vocabulaire pour un si jeune garçon !

"Suis-moi, on n'a pas le droit de monter ceux ici" lui fit-elle signe de le suivre. La tête haute, Ineska trouva son chemin dans la foire jusqu'aux abords du manège alloué pour son oncle. Autour se dressaient des stalles de fortune où étaient présentés les chevaux du domaine en vente, Ines les connaissant pour la plupart. "C'est moi Neige" s'adressa-t-elle d'une voix douce à une jument d'un blanc éclatant en tendant ses mains vers son nez. L'animal redressa la tête, son port altier mis en valeur. "Viens, nous allons faire un peu d'exercice." Quelques caresses et elle la détachait.

Max observa la fille dont il ignorait toujours le nom parler d'une voix douce et caresser l'animal Neige. Il trouvait l'animal réellement beau, plus que l'autre pimbêche dans son enclos.
"C'est un garçon ? Je peux monter un garçon ?"
Il aurait plus de points commun avec sa monture si elle avait le même sexe que lui, non ?

Elle leva les yeux au ciel de manière théâtrale. "Décidément... Non, c'est une jument également. On ne laisse pas un cavalier inexpérimenté sur un étalon et il n'y a pas d'hongre ici." La blonde plissa des yeux alors qu'elle les emmenait dans le manège. "Il faudra te contenter d'une gentille fille à ton âge." La remarque était misogynement voulue.

Je ne veux pas d'une gentille fille...
Maksim retint donc que les meilleurs cavaliers montaient les garçons.
"Bon, elle est belle au moins. C'est quoi un hongre ? Et comment la fais-tu obéir en étant si gentille ?"

"Elle est douée et intelligente surtout, c'est ce qui est le plus important." La jeune fille souffla d'agacement et monta aisément en selle malgré sa robe. La coupe de cette dernière n'était à priori pas faite pour cet exercice mais Ineska la réajusta, se moquant bien que ses jambes soient dévoilées. "Les hongres sont des étalons castrés. Ils ne peuvent plus se reproduire mais deviennent beaucoup plus dociles." Et l'idée serait bien d'être généralisée à l'espèce humaine parfois... "Être violent avec un cheval est la pire des manières pour qu'il ait confiance en toi et il ne t'obéira jamais."

Maksim ne voyait pas ce que signifiait "castrés" et "se reproduire" mais il n'insista pas. Il réfléchissait à pourquoi les gens étaient si violents avec les animaux si ces derniers obéissaient mieux avec la douceur.
"Est-ce que je peux monter maintenant ? Ou j'observe juste pour le moment ?"
Il avait conscience d'être à un cours et il espérait bien arriver à faire la course très vite avant que des adultes ennuyeux n'aient l'idée de l'écarter des chevaux.

"Tu es déjà monté sur un cheval avant ?" le fusilla-t-elle des yeux. C'était pas une bonne attitude pour apprendre d'être pressé comme ça ! [Note de Stan : c'est exactement le genre d’élève qu'est Ineska.] "Tu as bien vu comment je me suis placée sur la selle ?" Ce qui était un tantinet de mauvaise foi car la robe avait caché une bonne partie du processus.

Si la fille tentait d'intimider Max, elle se trompait lourdement. Le garçon lui rendit son regard défiant et croisa les bras.
"Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? T'as pas dit à l'instant que pour obtenir quelque chose d'un cheval, faut mieux lui parler ? Bah, avec les garçons, c'est pareil."
Et il lui aurait bien tiré la langue s'il était plus outré mais c'était son seul faux pas jusqu'à présent.

Sauf qu'en vérité, Ines savait mieux gérer un cheval qu'un garçonnet de 11 ans... ou n'importe quelle interaction que ne soit pas avec son voisin ou sa cousine. "Très bien monsieur le génie, je vais te laisser faire." Le mouvement pour remettre pied à terre était plus lent qu'elle ne l'aurait fait normalement mais elle voulait donner une chance au gamin ne pas porter préjudice à Neige quand il essayera à son tour. "C'est à toi, grimpe."

Le garçon se plaça sur la gauche du cheval-fille, juste à côté de son œil doux. Dooonc, pour maîtriser le cheval, faut être gentil…
"Retourne-toi, s'il te plaît. Je veux pas que tu regardes." dit-il d'un air gêné.
Ses lunettes cachaient ses yeux mais pas le fard de ses joues.

"Certainement pas. Je ne veux pas que tu fasses n'importe quoi. Imagine que tu tombes ou te prennes le pied dans l'étrier, tu auras l'air de quoi ? Et tu risques de blesser ou d'effrayer Neige." Elle se contenta donc de rester à côté, tenant les rênes de la jument aussi bien pour la stabiliser que pour la rassurer. Neige était de bon contact mais avait tendance à des écarts brusques par moment.

Max se mit sur la pointe des pieds et tira sur la crinière de la jument pour lui murmurer des mots gentils :
"T'es belle et t'es gentille, hein ?"
Il regarda la jument et cru qu'elle lui rendit un éclair de compréhension.

Ineska haussa un sourcil mais ne fit aucun commentaire. Les mots étaient peut-être naïfs mais le ton employé était assez doux pour fonctionner. Au moins Neige ne rejetait pas le garçon et tourna la tête vers lui, le bout de son nez butant son bras. "Elle cherche à te sentir, rien de grave" l'informa-t-elle pour éviter qu'il panique en croyant une attaque ; c'était un citadin ignorant après tout.

"Oh."
Il fallait espérer que l'animal aime bien l'huile solaire.
"Là, je peux monter ?"