Plaine venteuse sous la grisaille : check. Eloignement à outrance de la civilisation : check. Chateau couvert de lierre réputé pour ses apparitions fantomatiques : check. Eibhlín tira de son sac à dos la lourde clef en fer et ouvrit la non moins lourde porte d’entrée en bois, qui eut l’amabilité de produire un grincement sinistre. Les gonds n’avaient apparemment pas été huilés depuis des temps immémoriaux. Un frisson parcourut la colonne vertébrale d'Eibhlín. Ces vacances s’annonçaient mémorables.

Une fois la porte refermée dans un claquement sonore, le silence retomba sur l’ancienne bâtisse déserte. Enfin, plus si déserte puisqu’Eibhlín se trouvait maintenant dedans. Elle rangea la clef dans sa poche, posa son sac à dos par terre, puis regarda autour d’elle. Elle se trouvait dans un grand hall d’entrée avec des ouvertures vers les différentes ailes du chateau. Face à elle se trouvait également un large escalier en pierre taillée qui devait mener au premier étage. Elle n’hésita pas longtemps avant de se diriger dans cette direction : logiquement, c’était à l’étage qu’elle trouverait les chambres et elle voulait s’installer avant de partir explorer les lieux. À nouveau chargée de son sac à dos, elle entama la montée des marches.

Dans la première chambre du premier étage somnolait justement Maureen. Etendue sur le lit à baldaquin, la mambo songeait aux temps anciens, à la magie, à l'orage qui arriverait très prochainement, au calme tranquille de sa solitude dans cette retraite.
Soudain, la porte s'ouvrit. La jeune femme se redressa à moitié, aussi détendue qu'un vieux chat.
"Qui vient là ? Je me croyais seule."
Et tranquille, pas la moindre once de peur dans sa voix.

Eibhlín, pour sa part, sursauta en entendant une voix. Oh, elle n’avait pas spécialement peur, mais ça surprend toujours d’entendre quelqu’un quand on ne s’y attend pas. « Eh bien moi aussi, quelle coïncidence », répliqua-t-elle. Rien de tel qu’un peu d’humour pour se remettre de sa surprise. « Mais je prends bonne note de frapper aux portes avant d’entrer dans une chambre à l’avenir. » Elle déposa toutefois à nouveau son sac à dos, parce qu’il commençait à se faire lourd.

Maureen jugea en silence ce geste désinvolte de la nouvelle venue. Cette dernière ne souhaitait visiblement pas quitter la chambre et la défiait presque de sa présence. Quelle audace !
"Il semblerait que tu te sois trompée. Ne sais-tu pas qu'il est dangereux de déambuler seule dans un vieux manoir comme celui-ci ?"
Ce qui ne devait pas concerner la Mambo qui était dans le même cas en ré… selon les apparences.

« Moins dangereux que de déambuler seule en ville le soir », répliqua Eibhlín du tac au tac. « Et, de toute évidence, je ne suis pas seule. » Une surprise, certes, mais il y avait certainement assez de place dans un chateau de cette taille pour deux personnes.

Ça, ça reste à prouver car tu es dans l'antre du loup et tu ne le sais pas encore.
"De toute évidence. N'es-tu pas justement allée chercher de la solitude ? Ma présence risque de compliquer ces plans. Sauras-tu t'en accommoder ?"
Sur ces mots, la lumière de la pièce commença à vaciller. Des rires sardoniques se firent entendre au loin, à moins que ce ne soit le vent.

Oh, donc les rumeurs disant le chateau hanté avaient raison. Eh bien au moins Eibhlín était fixée maintenant. Elle regarda autour d’elle, sur le qui-vive, mais pour le moment les résidents immatériels du chateau semblaient se limiter à un spectacle sons et lumières. « L’inspiration, pas la solitude. Je suis tout aussi capable de la trouver avec de la compagnie, pour peu que le lieu et l’ambiance s’y prêtent. » Etait-il nécessaire de préciser que c’était actuellement le cas ?

Maureen était la reine du poker. Si les hallucinations auditives l'avaient troublée, elle n'en montra rien. À la place, elle remarqua que son interlocutrice n'avait pas peur non plus.
"Comment t'appelles-tu ? Si l'on est amenées à se recroiser, il faudrait peut-être commencer par là."
Maureen ne se présenta pas, tout simplement parce qu'elle ignorait si l'autre fille y attachait de l'importance.
Elle cherche de l'inspiration…? Une carrière artistique, donc ?

Ah oui tiens, se présenter. Quelque chose que les gens civilisés font quand ils ne sont pas trop occupés à regarder autour d’eux d’un air ahuri. « Oh, bien sûr. Eibhlín Blake, enchantée. » Elle tendit la main droite pour faire bonne mesure.

Se lever ? Ouh…
"Jolie main. Quant à moi, tu peux m'appeler Maureen. Tu comptes t'installer dans cette chambre ? demanda-t-elle en désignant le sac à dos. Le lit est assez grand pour deux."

Bon, ben pas de poignée de main alors. Eibhlín redescendit sa main sans se formaliser. Et esquissa un sourire amusé à la question de Maureen. « Je ne voudrais pas empiéter sur ta solitude. » C’était apparemment la seule objection qu’elle ait à s’installer dans cette chambre.

Maureen haussa un sourcil face à cette réponse. La jeune femme posait au calme son sac dans la chambre d'une inquiétante inconnue mais ne veut pas "déranger" ? La Mambo se lève finalement du lit.
"Tu dois avoir faim. Je peux te montrer les cuisines, Eibhlín."

À la décharge d'Eibhlín, elle se croyait réellement seule en entrant sans frapper dans la chambre. Et son sac était trop lourd et elle le portait depuis trop longtemps pour le garder sur son dos tout en parlant pendant une durée indéterminée. Autre signe qu’elle était en route depuis un moment, l’estomac de la jeune femme gargouilla avec enthousiasme en réponse à la proposition de passer voir les cuisines. « On va prendre ça pour un oui », s’amusa Eibhlín. Et si ce chateau n’était pas aussi désert qu’elle le pensait, peut-être les cuisines étaient-elles elles aussi mieux approvisionnées que prévu ? Que de perspectives alléchantes.

Maureen se saisit d'une chandelle. Les deux femmes marchent en silence dans le couloir obscure. Il n'est pas question pour la Mambo de chercher un interrupteur qui gâcherait l'ambiance vieillotte. Si elle voulait voir comme en plein jour, elle aurait choisi un hôtel quatre étoiles.

Son sac à nouveau sur son dos, Eibhlín suivit sa guide. L’ambiance mystérieuse de la vieille bâtisse éclairée à la bougie (d’aucuns diraient « lugubre ») convenait parfaitement à Eibhlín aussi. Si elle ne trouvait pas l’inspiration ici, elle ne la trouverait nulle part.

L'hôte auto-proclamée se retourna pour juger le sac.
"Tu ne vas pas t'encombrer avec ça, si ? Tu es arrivée à bon port. Mets-toi à l'aise. Laisse tomber tout ton faix."
Maureen se décida à prendre les choses en main et à ôter le sac à dos à même les épaules de sa visiteuse, ce faisant, elle se rapprochait beaucoup d'Eibhlin.

Ah ben si l’autre insistait, Eibhlín allait pas se faire prier. Certainement pas si son hôte se montrait aussi serviable : « Oui, j’imagine qu’il ne peut pas aller bien loin. » Elle se tourna ensuite vers l’autre femme avec un sourire taquin : « Tu es toujours aussi serviable avec les inconnues qui entrent dans ta chambre sans crier gare ? »

"Seulement les plus jolies et agréables." répondit Maureen sans ambages.
L'intensité de son regard pouvait aussi signifier que si Eibhlin lui posait problème, Maureen pouvait se mettre très en colère mais sans doute que l'autre jeune femme ne se doutait absolument pas de ces arrière-pensées.
Tandis que les filles marchaient, un vent taquin s'incrusta dans un trou et souffla la seule chandelle. Seule la lune ronde et pleine donnait formes aux ombres.

En effet, vu leurs interactions jusque là et la dernière réplique de son interlocutrice, la forme que pouvait prendre sa colère était bieeeen loin des pensées d’Eibhlín. « Serviable et charmeuse », répliqua-t-elle avec un sourire en coin. Ces vacances s’annonçaient bien. Même la chandelle soufflée avait des airs de promesse d’aventure plutôt que de sinistre présage.

La femme mystérieuse répondit avec un sourire. Le couple continua de progresser dans le couloir sans se soucier une nouvelle source de lumière. Après tout, Maureen avançait comme s'il avait toujours habité ici. Le vent souffla dans les fentes des fenêtres, produisant un rire imaginaire des plus inquiétants. Soudain, une porte s'ouvrit.

Preuve que les écrivains ont souvent un grain, Eibhlín était ravie de l’ambiance mi-mystérieuse, mi-sinistre de la bâtisse. Voilà qui la changeait de son appartement au milieu des jardins bien entretenus et des maisons de brique rouge d’Oxford. Ca ne l’empêcha pas de sursauter quand une porte s’ouvrit sans prévenir… Mais même ce sursaut n’effaça pas de son visage son sourire ravi.

"Nous sommes arrivées aux cuisines !" déclara théâtralement Maureen.
La jeune femme leva la main et l'ouverture des cuisine s'éclaira d'une chaude lumière, effet à la fois rassurant et inquiétant quand on y pensait. Les interrupteurs n'étaient pas dans l'air et invisible d'habitude.