L’aube blanchissait l’horizon à l’Est, et Cohbar se réveilla l’esprit embrumé mais le corps plus reposé que depuis un long moment. Il étira ses membres avec un étonnement confus, insensible aux perles de rosée qui se désagrégeaient à son contact, rafraîchissant sa peau nue.

Les souvenirs lui revinrent soudainement. Il se redressa, ses doigts fouillant instinctivement l’herbe tassée mais vide à ses côtés. Où… ? Des échos de la nuit s’entrechoquaient dans sa tête, réminiscences de plaisir et d’abandon. Troublé, il s’assit tout à fait et s’efforça de discipliner ses pensées. Il avait peine à croire que la nuit dernière avait été plus qu’un rêve agréable. Vaporeux et éphémère. Peine à croire, aussi, qu’il avait à ce point baissé sa garde devant un étranger. Ce qui avait semblé si naturel sous l’éclat de la lune lui apparaissait maintenant cruellement imprudent. Mais l’était-ce vraiment ? Il se massa les tempes de ses doigts, confus.

Quoi qu’il en soit, il aurait le temps d’y repenser plus tard. En vérité, s’empêcher d’y penser trop serait le plus difficile. Se levant souplement, Cohbar attrapa ses vêtements dispersés au sol, se figea en remarquant ceux du danseur mélangés aux siens. Son regard trouva alors ce qui lui avait jusque-là échappé : à quelques pas, adossé à un tronc, le danseur dormait. Un dragon était niché dans le creux de ses bras et le fixait.

Replié sur lui-même, le corps blanc enlaçait celui du dragon, lové dans la chaleur qu'il lui procurait. Tout aussi pâle. Les bras refermés autour de lui avaient abandonné leurs armes, lames jumelles reposant de chaque côté du corps endormi. Sinuant sur la peau diaphane, les cheveux blancs couvraient partiellement le visage posé, paisiblement, à la naissance de ses ailes. Queue enroulée autour du ventre du danseur, le long coup s'était redressé à l'éveil de l'elfe. Ses yeux le regardaient avec une intensité qui n'était pas sans rappeler deux autres perles noires.

L’urgence qui avait poussé Cohbar à rassembler ses affaires aussi vite - à fuir, même si le terme ne lui plairait pas - semblait avoir disparu dans un coin de son esprit alors qu’il contemplait le danseur endormi. Il dégageait une impression plus vulnérable quand il était ainsi immobile. Peut-être était-ce pour cela que le dragon s’était enroulé aussi étroitement autour de lui. Cohbar laissa son regard croiser calmement les deux pupilles noires et un moment passa sans autre bruit ni mouvement que celui de la brise agitant les feuilles au-dessus de leur tête. Cohbar finit par bouger le premier, se rapprochant doucement.