Les jeux de cartes sont une bonne manière de renforcer l’amitié et la solidarité entre aviateurs (à l’exception de ce  collègue que Eir déteste). Ils jouent pour faire passer le temps quand ils sont cloués au plancher des vaches.  Quand le temps interdit les vols, quand ils bénéficient d’un temps de repos.  Pour Eir, ce temps d’escale est le bienvenue, elle peut s’assurer que la petite passagère clandestine et son chien vont bien.  La pilote a pu trouver des gens de confiance pour s’en occuper quand elle n’est pas là, le boulanger de son quartier. Ce dernier s’est plaint de la gourmandise de la jeune fille, sa tolérance ne durerait pas. Eir sait qu’il faudra trouver quelqu’un d’autre le temps de pouvoir arranger le retour de la petite à son village natal.

Pour le moment, elle est physiquement en train de jouer aux cartes avec ses collègues dans un bar aux environs de l. Malheureusement, la fiente de collègue qu’elle déteste  participe aussi. Et comme ils ont convenus que le vainqueur choisit un gage pour le perdant,  la pilote fulmine, car elle vient de perdre face à cette fiente d’oiseau.  Le gage ? Promener en avion un type pris au hasard dans le bar.  Eir cherche sa victime. Sa fierté lui interdit de se planter devant la fiente de collègue !

Maksim Andréiévitsch est posé, tranquille dans le bar. Il sirote sa boisson alcoolisée en observant les alentours en silence. Un œil acéré peut remarquer la béquille dissimulée sous son manteau. Son regard vert rencontre celui de la femme qui vient de perdre à ce qu'il a pu juger de la gestuelle du groupe de pilotes. Il n'a pas entendu ce qui s'est dit.

Eir se lève de sa chaise, la mine mi-sourire, mi ronchonnante, encouragée par ses collègues. Elle accepte de bon coeur d'accomplir son gage (tout en bouillant de rage intérieurement contre le vainqueur). Sans énumérer les noms d'oiseaux qui tournait dans sa tête à son intention, la pilote choisit une statue d'albâtre aux yeux verts. Son choix a peut-être à voir avec les éraflures de son visage. Un relent d'instinct d'infirmière ? Salut, j'espère que tu n'as pas peur des tours en avion. Parce que je t'invites à voler dans mon coucou. Elle jette un regard à ses collègues à l'expression ravie à leur table.

Il aurait dû détourner le regard pour fuir la compagnie de cette "dame" trop grande et sans allure mais elle avait clairement choisi de s'adresser à lui. Sa proposition l'étonne. Les "bonnes occasions" ne sont pas offertes par des inconnus, bien souvent elles cachent même des pièges.
"Qu'est-ce que t'y gagnes ?"
Direct, le Max.
Et méfiant.

Qu'est-ce que t'y gagnes ? Comme il y va le bout de chou ! Elle y gagne qu'elle prouve à ses collègues qu'elle a fait son gage. Qu'elle ne s'est pas défilée devant le défi et, surtout, ce pigeon de collègue ! Tu as peur ? Ou... Tu penses être trop blessé pour ce tour en avion ? En s'approchant, elle a pu relever le bandage de ce petit homme. Trop blessé pour monter dans l'Anoushka ? Son avion a deux noms, Mouton et Anoushka. L'explication : Un mouton a besoin d'un nom.

Les yeux de Max s'étrécissent. Il n'est pas peureux et il est encore assez vif d'esprit pour voir que la femme éludait complètement sa question ! Puis ensuite, la femme nomme son appareil "Anoushka", comme le nom de la petite bergère si joyeuse.
"Cela n'a rien à voir avec la peur ou une blessure. Je te demande pourquoi tu me le proposes et si tu t'obstines à ne pas répondre, je vais devoir en déduire que tu n'es pas honnête."
Personne ne fait les choses gratuitement !

Si tu y tiens, c'est pas grand chose, je prouve juste à mes collègues que je tiens parole quand je dis que j'offre un tour en avion. Sans contrepartie.   Ils pouvaient témoigner en plus ! Maintenant, elle se lavait les pieds de ce qu'il répondrait. Il prend l'offre ou il la prend pas. Elle a horreur qu'on mette en doute ses intentions. Elle demanderait à quelqu'un d'autre. Qu'il s'en morde les doigts d'avoir gâché une belle occasion ! Allez, gâche-la cette occasion, tu lui feras plaisir !

Maksim observe du coin de l'œil le groupe en train de se bidoner devant les difficultés de la femme.
"Tu cherches donc à les impressionner. Très bien, je prends. Si tu es pilote, montre-moi donc ton attestation et je monte dans... l'Anouska."

Elle était en panoplie complète d'aviateur et il osait en douter ? C'est le genre d'oiseau à ne croire personne sur parole. Il fallait sortir documents et tout. Tant que tu y es, réclames son diplôme d'infirmière. Eir ouvre sa veste et en sortit son attestation de pilote durement acquise. La pilote jette même un regard foudroyant à ses collègues. Bandes de marcheurs du ciel !

En effet, Maksim pense (à raison) que l'habit ne fait pas le moine. Il regarde les documents et concède avec sa rigidité de milicien que :
"C'est bon. Je te crois et j'accepte l'offre. Montre-moi ton coucou."
Et pour illustrer ses dires, il pose les pieds sur le sol en s'aidant de sa béquille pour marcher à l'aise.

La rigidité, très militaire, du personnage l'horripile mais elle ne dit rien. Elle se contente de le penser, nom d'oiseau compris. Après tout, quelqu'un qui monte dans un coucou a le droit d'avoir la certitude que le pilote ne l'écrasera pas dans le premier bâtiment venu. Heureusement que le bar ne se trouve pas loin de l'aérodrome, sinon il aurait fallu marcher longtemps. Ses collègues continuent de se bidonner et de lui lancer des pouces levés. Mission accomplie ! L'aérodrome, c'est par ici.

Heureusement pour Maksim qui ne demandait rien à personne, faut-il le remarquer. En son fort intérieur, il se demande ce que cela fait de voyager dans ces choses dénuées de ballons d'air pour la portance. De ce qu'il en sait, l'hélice fait avancer l'appareil, la portance des ailes sur l'air fait le reste.
"Pourquoi as-tu baptiser ton appareil "Anoushka" à propos ?"

Bonne question. Pourquoi elle l'appele l'Anoushka ? Au début , je l'appelai Mouton parce que c'est un mouton parmi les moutons dans le ciel. dit-t-elle en regardant spontanément le ciel. Puis je me suis dit qu'un mouton avait un nom. Je lui ai trouvé le nom d'Anoushka. Rien à voir avec cette petite bergère. Elle soupire (affectueusement). Une passagère clandestine, qui lui cause bien des tracas.

Une petite bergère nommée Anoushka ? combien y a-t-il de chance qu'il s'agisse de l'Anoushka que je connais ?
"Une petite bergère rencontrée du côté de… Tomsk ?"
Il reste encore du temps pour atteindre l'aérodrome.

Comment il l'a su ? Il a des capacités télépathiques ? Démoooooon ! Oui ? Une petite qui ne jure que par les avions, les dirigeables ?

... Des moutons !, finit-t-elle pour lui. Il doit pas être si mauvais s'il connaît la petite bergère.

"Euh non, un chien du Caucase ! Et comment l'avez-vous connue ? Elle a voulu monter dans votre avion, je parie."
Aurait-elle laissé des indices ?
"Elle allait bien, j'espère."
Première chose à demander ça, de s'assurer que la fillette allait bien.

Tu l'as bien parié, elle l'a fait sans permission et elle est restée coincée dans la soute avec son chien jusqu'à qu'on ne la découvre au retour de Tomsk. Ce qui lui cause beaucoup de tracas. Comment s'occuper d'elle ? Qui solliciter pour la garder ? Quels disposition prendre pour la renvoyer à Tomsk. La pilote a déjà fait la première étape : prévenir ses proches à Tomsk. Plus de frayeur que de mal.

Quoi, elle est arrivée à Moscou récemment, et seule avec cette "femme" ?!
Maksim essaye de mesurer sa réaction de surprise et d'effarement pour ne pas brusquer son interlocutrice et conserver la sympathie qu'elle semble lui avoir alléguer depuis peu.
"Ses grands-parents ont dû être morts d'inquiétude. Est-ce que tu l'as ramenée chez elle ensuite ?"

Si elle avait su le contenu de ses pensées, elle l'aurait frappé d'un bon coup de poing dans son visage d'albâtre. Non mais, cette "femme" ! Cette "femme" est ce que veut devenir la petite, l'adorable Anoushka. Ils le sont certainement. Je les ai prévenus... Mais elle est encore ici. Je cherche un arrangement pour la ramener chez elle. S'il commence à critiquer, elle aimerait bien le voir s'occuper d'une petite énergique et d'un chien de la carrure de Sobaka.

"Je veux la voir !
"Je peux m'occuper d'elle si tu veux, elle et Sobaka. Cela te soulagera d'un grand poids."
Personne ne fait les choses gratuitement et là, Max le fait dans l'intérêt de la petite.

La confier à un type qu'elle vient de rencontrer ? Qu'il la connaisse déjà est un bon point mais elle ne fait pas confiance aux inconnus à ce point ! Surtout quand il en va de sa responsabilité ! Elle ne sait même pas s'il saurait s'occuper correctement d'une petite malgré sa bonne volonté. Qu'est-ce que tu y gagnes ? , demande la pilote en le dévisageant de la tête aux pieds, comme pour l'évaluer. As-tu une idée de ce que ça implique de s'occuper d'une enfant ? Avec sa taille exceptionnelle pour une femme, c'est encore plus impressionnant.

Bizarrement, Maksim s'attendait à la question. Il soutient fermement le regard de la femme.
"L'assurance qu'Anoushka va bien. Je la connais, je ne veux pas qu'elle traîne loin de sa famille. Moscou n'est pas faite pour elle. Si c'était dans mon avion qu'elle était allée se cacher… Ne pas contrarier la femme. Ce serait déjà fait ! Demande-lui si elle connaît un Maksim Bounine, elle me reconnaîtra."
Bon cela faisait deux ans qu'il ne l'avait pas vu mais il se souvenait encore bien d'elle.

Pour une quelconque raison, elle s'attendait à quelque chose sur le fait que ce serait déjà fait si c'était lui. Ce qui l'amuse légèrement (pas du tout, en effet). Son monde a l'air si simple ! Pas de boulot exigeant à prendre en compte, pas d'inquiétude pour un retour confortable de la petite. Pas d'inquiétude pour trouver une personne de confiance qui accepte d'aller à Tomsk.   À t'entendre, cela semble si facile de la renvoyer. Suggéreriez-vous de la remettre dans la soute d'un avion postal avec son chien ? Ou de l'obliger à mettre son chien dans la soute pendant qu'elle monte sur la place du copilote ?