Costume en queue de pie à la couleur magenta, haut de forme et lunettes tesla aux verres bleus. Un attirail qui, après plusieurs années passées à "Knigi i Bezdelushki", avait toujours le don de faire horreur à Matias. Fort heureusement, il se faisait tard, et les clients étaient déjà rentrés chez eux : plus personne pour le voir dans cet accoutrement ridicule auquel le directeur du magasin semblait étonnamment attaché.
Il a dû vouloir se lancer dans la couture, et comme ni les clients populaires ni le gratin moscovite ne lui ont ciré les pompes, il a appliqué ses créations au personnel de son nouvel investissement...
Poussant un soupir, un sourire s'esquissa néanmoins naturellement sur son visage. C'était l'un de ses moments favoris de la journée. Le soir et le silence du fait que ses collègues étaient tous rentrés à cette heure-ci lui rappelaient l'ambiance des soirs précoces dans sa Finlande natale.
Un silence brisé par quelqu'un qui venait de pousser la porte.
Allez, au travail...
En levant la tête, il s'arrêta net.

Derrière ses lunettes Tesla, Matias écarquilla les yeux. Lisa !! Ah, c'est vrai, je lui ai donné la carte du magasin... Bon, eh ben puisqu'elle a vu ma tenue, autant assumer... Il descendit de sa petite plate-forme pour aller voir son amie. Salut, Lisa ! Oh, euh... Il retira prestement son chapeau et ses lunettes, mettant les mains dans ses poches. Content de te voir. Et non, tu ne me déranges pas ! J'en suis à mes dernières heures, je m'occupe de tout ça, dit-il en désignant le grand espace et les étagères qui le parsemaient, tout seul à cette heure-ci. Tu es notre seule cliente, plaisanta-t-il. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

Matias soupira. Je sais, j'ai l'air un peu ridicule. C'est le code vestimentaire du magasin. Au moins, comme ça, on ne risque pas de nous confondre avec d'autres clients... Son sentiment de honte se dissipa néanmoins à une vitesse soulageante. Le long processus de guérison de son âme avait débuté par sa rencontre avec Lisa il y a quelques mois. De la jeune femme se dégageait une rare bienveillance, il savait qu'il ne subirait pas de taquineries méchantes.

Matias n'eut aucun mal à percevoir la nervosité de Lisa. Ainsi, après un bref instant de réflexion, il se rendit à la porte d'entrée du magasin, retournant le panneau "открыт" (ouvert) pour mettre "закрыт" (fermé). Retournant au côté de son amie : Il restait à peine une heure avant la fermeture, de toute façon. Et le directeur n'est pas là pour me passer un savon.

Voilà une demande à laquelle Matias s'était plus ou moins attendu. Au moins deux mois étaient passés depuis leur première rencontre au café de Lisa, une rencontre où Matias lui avait révélé (quoiqu'avec un léger manque de prudence) son appartenance à la Ligue révolutionnaire : elle qui aidait parfois des membres de la Résistance, il était naturel qu'elle veuille faire plus. Il revint vers la porte et la ferma à clef. Revenant auprès de Lisa, lui adressant un sourire : Suis-moi. Il se dirigea vers une porte au fond, celle des vestiaires.

HRP :

Fermant la porte derrière eux deux, Matias enleva ensuite - non sans soupir de soulagement - son costume pourpre, ses lunettes steampunk et son haut-de-forme. Par manie et précaution extrême, il vérifia que personne ne se cachait dans l'un des casiers. Et bien évidemment, personne ne se cachait dans les casiers.
Le Finlandais prit place sur le banc qui s'étendait au centre de la petite pièce. Les murs sont épais et parfaitement cimentés. Personne n'entendra nos paroles. En tapotant sur le banc, il invita son amie à s'assoir. Donc, tu souhaites faire plus. Et en savoir plus.

"Avant d'être". Le fait que Lisa s'interrompe avant de pouvoir finir sa phrase fit se serrer la gorge de Matias. Lui avait au moins choisi de vivre ainsi en rejoignant la LR. Ou bien l'avait-il vraiment choisi, vu son désir inextinguible de vengeance ? Quoi qu'il en fût, Lisa s'était retrouvée condamnée à cette vie de secrets et de cachettes dès sa naissance. Tu veux donc cacher des gens. Ça tombe bien, c'est ce qu'on fait principalement. En plus de voler et distribuer de la nourriture, récolter des informations, poser des affiches anti-propagande, entre autres. Mais moi, c'est différent. Je fais partie des... combattants. Des tueurs.

Je voulais juste te dire qu'il y a des gens qui ont plus d'expérience que moi dans la protection d'innocents. Je fais partie des rares du groupe à faire des attaques sur la Milice. Cependant... Matias tourna la tête vers Lisa. Je peux te présenter à l'homme qui m'a fait rejoindre la lutte. Tu n'as bien évidemment pas besoin de savoir combattre pour nous aider... mais il faut que tu apprennes un jour ou l'autre à manier une arme. Pour te défendre. Même en te cachant et en t'enfuyant du mieux que tu peux, ils savent traquer leur cible quand ils l'ont retrouvée.

Nous n'avons pas de centre d'entraînement, ni même de local fixe. J'ai été entraîné par mes camarades de combat. Droit dans les yeux : Je t'entraînerai à maîtriser les strictes bases du combat. Ainsi que le maniement d'une arme. Au cas où. Après un temps, il finit par soupirer. Je comprends que tu veuilles en faire plus, Lisa. Mais... tant que tu te caches, que tu ne nous aides pas et que tu contrôles ton pouvoir, rien ne pourra t'arriver. Je ne nie pas ton courage : je dis juste que faire partie de la LR ou même l'aider est plus dangereux que tu ne l'imagines. Il n'est pas trop tard pour faire marche arrière. Mener la vie que tu veux mener.

Oui... Je comprends. Je comprends tout à fait. Il aurait dû s'en douter. Bien que se mettre à la place d'un zootrope ne soit pas chose si simple. Il se passa la main sur le visage, puis sourit. Lui non plus ne pouvait pas faire marche arrière : Lisa était déterminée à rejoindre la LR. C'est ce qu'elle voulait faire de sa vie dorénavant : se battre pour un monde plus juste, plus compatissant. Moi aussi. Je veux que tout ça change. Et la LR a tout pour réussir. Il n'en était pas sûr, mais il estimait que croire était un premier pas vers la concrétisation. Il se leva, se tenant droit. À présent, lève-toi et tiens-toi devant moi. Pour le serment.

Est-ce que tu es prête à lutter à nos côtés pour faire d'un monde meilleur une réalité ? dit d'abord Matias. Il poursuivit : Est-ce que tu es prête à garder coûte que coûte le moindre secret de notre groupe ? Après un temps, il conclut : Et est-ce que tu as faim ?

Parfait ! Il enfila son manteau. Les quelques Miliciens qui ont vu mon visage sont tous morts avant d'avoir pu parler de moi à qui que ce soit. Personne ne sait qui je suis vraiment. Personne ne nous connaît. Le but, c'est de lutter en faisant en sorte que les choses restent ainsi. Là, pour l'instant du moins, on ne risque absolument rien. Il s'avança vers elle. Je connais un bon restaurant pas loin. J'ai bien gagné ce mois-ci, alors je peux me lâcher financièrement. Je t'invite ! Repas d'initiation. Il lui mit doucement la main sur l'épaule, et lui dit, non sans émotion en pensant à ses camarades disparus : Bienvenue chez nous, camarade.