Rappel du premier message :



BOUM !

Presque aussitôt après le choc sourd d’un objet (très) imposant entrant en contact brutal avec le contact de la carriole, ladite carriole pencha en grinçant vers le côté quand l’objet en question poursuivit sa route brièvement interrompue vers le sol.

En temps normal, un événement pareil aurait immédiatement attiré l’attention de Moira. (Déjà parce qu’en temps normal, un événement pareil ne se produisait pas). Seulement là, elle venait en même temps de se prendre l’équivalent immatériel d’une lame de fond magique. Il était rare qu’une magie aussi puissante se manifeste brusquement (généralement on la sentait arriver), et elle en eut brièvement le tournis.

Une fois qu’elle eut récupéré ses esprits, elle parvient à reconnaître la nature de cette magie. Elle ressemblait étrangement à celle du dragon-mage qu’elle avait rencontré il y a pas si longtemps, seulement en bien plus intense, chaotique et… acéré, faute d’un meilleur mot.

Un fois ses points de repère retrouvés, elle regarda à terre… et dut retenir une exclamation de surprise. À côté de la carriole se trouvait un dragon extrêmement similaire à son visiteur précédent, mais considérablement plus grand et, surtout, en très mauvais état. Sans perdre de temps, elle mit le frein, et sauta (enfin, autant qu’on peut sauter à son âge) à terre munie d’Aisling pour aller constater l’étendue des dégâts.

L'Espoir gonflait d'un Feu Chaleureux dans son Coeur meurtri par ses Flammes de Haine. Mais Viholvärakuuna n'osait pas se jeter du haut de cette Falaise ; l'Ääni lui était silencieux, immobile, inaccessible, il avait perdu ses Ailes. "Pourquoi ?" grinça le dragon. "Pour quel Contre-Don ? Dans quel But ? Pourquoi se donner autant de Peine, supporter tant de Honte, et demeurer malgré toute ma Désespérance ?"

Voilà de bien grandes questions pour un si petit dragonnet. « C’est quoi un contre-don ? » Moira, elle, réagit au reste des questions : « Si c’est le but de la vie que tu cherches, j’aurais bien du mal à te donner une réponse concluante, puisqu’il varie pour chaque personne en fonction de ses motivations, sa personnalité et ses ambitions. Mais je peux t'assurer que le monde est plus complet avec toi dedans qu'en ton absence. » « Oui ! », renchérit Pim, « Tu es gentil et tu sais plein de choses et tu peux raconter plein d’histoires ! Et tu sais même des choses que Moira sait pas ! » Ce qui, pour le juvénile, était une sacrée référence.

Le dragon plissa des yeux ; ils ne répondaient pas à ses questions. Un mouvement de queue balaya quelques arbres fragilisés par ses Flammes, signe que sa Patience s'amenuisait, mais il garda ses Grondements dans son Coeur. "Non. Quel est votre But à me Sauver ? Quel Avantage en tiriez-vous ? Que souhaitez-vous en Contre-Don ? Rien n'est donné qui ne soit dû." Ses oreilles s'abaissèrent alors qu'il sifflait d'une lasse douleur. "Même Moribond, je connais cette Vérité."

Moira avait sa petite idée de la personne qui avait enseigné une telle vision du monde à son patient, mais elle repoussa une fois de plus son énervement. Il n’était de toute façon pas dirigé contre le dragon presque agonisant devant eux. « Le but est que tu vives, Viholvärakuuna. Ta mort serait une perte pour nous et pour ce monde, ça me suffit comme raison pour l’éviter. » Pim hocha frénétiquement la tête : « Oui ! Parce que si tu meurs on sera tristes, mais si tu meurs pas, on sera pas tristes ! Donc faut pas que tu meures ! »

Viholvä était décidemment perdu par tant d'illogisme. Il secoua la tête en grondant, une gerbe de lave sanglante coulant d'entre ses crocs ; la Souffrance de son Gosier lui rendait la respiration difficile. Et son Esprit flambait d'un Feu destructeur. "Ne pouvez-vous pas être plus clairs ?!" hurla soudainement le dragon, les naseaux évasés d'une Vapeur si chaude qu'il sentit ses écailles craquer. "Il y a bien d'autres Chante-Mages à la Voix plus Grande que celle de Viholvärakuuna l'Avorton. Je me suis Aveuglé bien trop longtemps. Voyez ma Folie ! Aurais-je vraiment cru pouvoir avaler le Coeur Brûlant du Monde ?!" Un rire froid le secoua.

Positif : il se secouait. Négatif : il relançait le feu qui le consumait. Patience. « Et quel âge ont ces mages que tu dis plus grand ? Tu en es à ta huitième vie humaine, combien de chantemages de ton âge pourraient plonger plus d’un millénaire dans le passé et au Coeur du Monde, absorber son Feu et survivre ? Parce que tu as avalé ce Coeur Brûlant, c’est la digestion le problème, mais tu peux le résoudre. Et tant mieux, car peu importe combien de chantemages il y a, il y a un seul Viholvärakuuna. Tu es Unique et c’est pour ça que tu es Précieux. » « Oui ! Parce que toutes les vies sont importantes et en plus parce que tu es notre ami ! »

"Il est Vrai que Viholvärakuuna est un Nom Unique, dans le Passé comme dans l'Avenir. C'est de la Grandeur de ce Nom qu'il est Question." Le dragon souffleta quelques flammèches. "D'Illustres Noms, je pourrais en citer... Un seul suffit pour m'Ecraser de sa Grandeur : Valkulohikäärme. Et devant Elle, je ne suis Rien. Une Goutte dans l'Océan. Une Cendre dans les Flammes. Une Brise dans le Vent. Je ne puis être surpris d'avoir Echoué à maîtriser le Coeur brûlant du Monde. Encore une fois, pour la dernière fois, aurais-je ainsi été sa Déception." Il se chuchota un Secret : "Qu'aimerais-je qu'elle vienne, même pour me Punir de mon Déséquilibre."

Et on en revenait une fois de plus à sa mère. Moira n’avait même pas encore rencontré cette fameuse dragonne, et elle bouillait déjà intérieurement de voir les séquelles de son éducation. « D’une, tu n’as pas encore échoué et tu es encore capable de ne pas le faire, de deux, quand bien même tu échouerais, c’est d’aide que tu as besoin, pas d’une quelconque punition. » « Ben oui ! C’est à ça que ça sert une maman ! » Pim s'interrompit et pencha la tête, songeur. « Enfin, je pense, moi j’ai pas de maman. Mais j’ai Moira ! C’est presque pareil ! Et toi aussi elle peut t'aider et moi je vais aider à t'aider ! »

Que quelles inepties pouvaient-ils donc bien parler ? Viholvä en hoqueta de surprise ; il ne comprenait rien. "Mère m'a enseigné la Chante-Magie, et je ne cesse de la décevoir. Mère m'a envoyé sur ma Quête, et voilà que ma Folie m'en a fait dévier. Ces échecs méritent bien un Châtiment." Il leva une dernière les yeux au ciel avant de baisser la tête, manquant de force. "Ainsi aura-t-elle donc choisi le Silence."

Moira secoua la tête, désolée : « Il me semble qu’en terme de châtiment, tu es déjà bien assez (trop) dur avec toi-même sans que quelqu’un d’autre s’en mêle. Et quand bien même tu aurais échoué (ce dont je ne suis toujours pas convaincue, mais passons), un échec n’est pas une fin. Tant nos échecs que nos réussites nous font grandir et nous donnent plus de sagesse et d’expérience. Personne ne passe sa vie entière sans échouer parfois, pas même ta mère, quoi que tu sembles en penser. » « Même toi ? », s’étonna Pim. « Bien sûr. Et j’en ai tiré des leçons pour éviter de commettre deux fois la même erreur. »

Ecouter était déjà devenu une tâche ardue, entre sa Douleur et les Murmures des Hiisi qui vrombissaient toujours dans son Esprit, mais entendre ce que lui disait Moïra relevait presque de l'Impossible. "L'Echec d'un Chante-Mage est une Conséquence de Destin. On ne peut lutter contre..." marmonna-t-il à moitié dans la poussière cendreuse dans laquelle son museau reposait. L'envie de fermer les yeux et de se reposer devenait de plus en plus pressante.

"Pathétique résidu de ma Puissance." siffla soudainement une voix plus froide qu'un Blizzard et plus mordante qu'un Brasier. "Combien de Temps encore demanderas-tu ma Présence ?"

En règle générale, Moira était une personne très calme et tolérante qui perdait rarement son sang-froid. Il y avait toutefois quelques choses qu’elle ne supportait pas et qui étaient donc capables de la faire sortir de ses gonds et la cruauté gratuite était l’une d’elles. « Tiens, serait-ce la voix douce et mélodieuse de Valkulohi-Carne ? » Moira se releva et reprit Aisling en main en ignorant son commentaire. « Si tu es incapable d’avoir une parole aimable, ou même constructive, je te saurais gré de dégager illico presto. » L’énervement qui s’accumulait depuis un moment déjà teintait sa voix d’un grondement grandissant.

Terre et ciel furent couverts par la Grandeur de Valkulohikäärme. Sa Blancheur écrasait l'Ecarlate noircie de Viholvärakuuna. Faire face à la Puissance de sa Mère lorsqu'il était Sain de Pouvoir relevait déjà d'un Chemin Ardu. Moribond comme il était, il tremblait à s'en faire entrechoquer les écailles.

Son Appréhension se mua en Terreur aux Insultes qu'émirent Moïra et sa canne imprudente. Mais il n'y eut pas l'Incencie qu'il craignait... juste un Reniflement. Qui se mua en un Vent d'Humeur. Moïra, sa canne, et le petit Pimarimponil furent balayés ; il rassembla ses dernières forces pour amortir leur Chute, gémissant sous l'impact.

Difficile de dire à quoi Moira s’attendait, mais étonnamment pas au vol plané dont elle ne réchappa que miraculeusement (enfin, magiquement). Elle perdit quelques précieux instants, le temps de retrouver Pim : « Va te mettre en sureté chez Ninian », lui murmura-t-elle. « Mais… » « Pas de mais, va ! » Il obéit et elle se releva péniblement, tant à cause de son corps meurtri qu’à cause du tourbillon de magie qui lui donnait le tournis. « Tu es complètement cinglée », glissa sa canne, alors qu’elle avançait vers l’immense dragonne qui venait d’apparaître. « Tu dis ça comme si c’était une surprise », rétorqua-telle.

Viholvä se remettait encore d'une vague de bile quand il vit que Moïra avait la Folie... de continuer dans sa Folie ! Il l'enserra vivement de ses anneaux pour arrêter sa Marche vers les Hiisi. "Ne lui fais pas face, Moïra, si tu veux finir ta Mortalité sans Malédiction." Il ne quittait pas sa Mère des yeux, le corps frissonnant.

"Lâche ces Insectes, Fils." gronda la dragonne. "Nous avons à parler de ta Sottise. Je t'ai envoyé Quérir le Pouvoir du Feu, et te voilà à Cheminer vers un Destin de Mort. Idiot... J'ai dû user de plus d'un Chant pour apaiser les autres Voix de Pouvoir, et voilà que tu gaspilles mon Temps, et mes Desseins."

Pourtant bien partie, Moira fut coupée dans son élan par un obstacle imprévu. Ce n’était pas l’envie de couper la tirade de l’insupportable parasite gigantesque qui lui manquait, mais elle avait pour le moment un problème plus immédiat à régler. « Ta sollicitude me touche, l’ami, mais j’aimerais décider moi-même de comment je mène cette mortalité. Et j’apprécierais également de ne pas finir cuite à point, si ça ne te dérange pas. » Elle commençait déjà à sacrément chauffer et Aisling se mettait même à grésiller. L’autre montagne gueulante ne perdait rien pour attendre, mais pour le moment la voix de Moira était à nouveau avenante et posée.

A la remarque sur ses écailles surchauffées, Viholvä sursauta et desserra vivement ses anneaux de Moïra. Mais il ne comptait pas la laisser s'entêter dans sa Folie. D'un pas pesant, le dragon la contourna pour se dresser entre elle, et la Grandeur de Valkulohikäärme ; il se sentait comme une petite colline surmontée d'une vieille Montagne arrogante. Viholvä déglutit dans un coup de bile, ce qui le fit amèrement tousser.

Mère le regarda froidement et ses naseaux soufflèrent un autre Blizzard rougeoyant. "Regarde ta Sottise, Fils. A accorder autant de Complaisance aux Mortels, ils oublient leur place." gronda-t-elle d'un air mauvais.

Bien que ravie de voir le dragon bouger à nouveau (et ne pas la cramer), Moira était moins ravie qu’il s’expose à nouveau à la colère d’une mère qui le terrorisait clairement. Elle étouffa le départ de feu sur la manche de sa robe, tandis qu’Aisling répliquait à la pique de la giga-dragonne : « Oh, je peux t’assurer que Moira a pas attendu de rencontrer ton fils pour être folledingue. C’est inné chez elle. » Ladite folledingue entreprit de contourner son patient (ou d’essayer). « Et à n’avoir que des reproches et du mépris pour ton fils, tu vas finir par le perdre et tu n’auras que ce que tu mérites. »

Les yeux de sa Mère devinrent deux Fournaises où étincelaient des stalagmites. Viholvä se tassa instinctivement devant ce regard. "Moïra... Veuille bien reconsidérer mon Conseil." siffla-t-il vivement, la voix enrouée par sa Maladie de Feu, et par la Peur qui tétanisait ses maigres forces. "Il semblerait qu'il y ait des Insectes à balayer sous tes Pattes, Fils. Je me lasse de perdre mon Temps." L'immense dragonne s'avança de son pas lourd de Montagne et léger de Vent. Viholvä glapit en s'aplatissant au sol. "Il n'y a pas besoin, Mère. Indique ton Châtiment, je suis Prêt. Tu n'as pas à t'attarder dans ma Honte."

« Je suis la première surprise, mais j’approuve le dragon. » Et Moira, elle, ignora entièrement l’un et l’autre. Elle finit son contournement d’un pas décidé et vint piquer le bout d’Aisling dans un doigt de la taille d’une colline de tout sa force de septuagénaire arthritique. « Oh ça suffit ! », rugit-elle. « Si ta seule réaction quand ton fils est blessé est de venir l’engueuler et rajouter une couche à ses souffrances, peu importe la liste longue comme le bras de titres ronflants que tu te donnes, ça ne fait de toi rien de plus qu’une mère indigne ! Et si tu es incapable de voir les qualités de Viholvärakuuna, tu es aveugle en plus ! »

Dans un nouveau gémissement, Viholvä s'aplatit au sol : il ne pouvait plus rien faire pour Moïra. Pourquoi n'avait-elle pas écouté ses avertissements ?! Valkulohikäärme se redressa de toute sa Grandeur et gonfla ses poumons d'un Vent de Tempête. Elle ne balaya pourtant pas la fragile Mortelle qui lui faisait face, pas encore du moins. "Quel Courage... Si fort qu'il en confine à la Folie. Tu te tiens devant Valkulohikäärme Qui Parle aux Puissances, pathétique Mortelle ! J'ai vécu plus d'années que tes os pourris ne pourraient en supporter, et j'en vivrais encore plus de mille fois ces dix mille années sans vieillir. Comment oses-tu ?!"

Oh, une tirade grandiloquente, quelle surprise. Quel dommage que Moira soit absolument hermétique aux fanfaronnades (ou aux insultes qui n’en étaient pas, puisqu’elle était, en effet, mortelle avec une durée de vie bien plus limitée que son interlocutrice). « Eh bien, tu l’ignores peut-être, mais il n’est pas nécessaire de vivre plusieurs millénaires pour développer une conscience. Et cette conscience m’en voudrait si je ne m’interposais pas. » C'était d'une simplicité enfantine. Cette même conscience avait jadis poussé Moira à voler au secours de blessés à l'article de la mort alors que la bataille faisait encore rage.

Un ricanement secoua la dragonne, et le sol sous ses pattes. "Que m'importe ta conscience mortelle, Vieille Rabougrie, ma Conscience s'étend à l'Espace-Temps." Sans plus s'attarder dans cette conversation qu'elle jugeait visiblement une perte de temps inutile, Valkulohikäärme contourna l'Humaine pour se pencher au-dessus de la forme prostrée de Viholvärakuuna. "Lève-toi, Fils. Tu es un Dragon. Dresse-toi face au Ciel auquel tu appartiens." Viholvä tressaillit, les naseaux frémissants, et essaya d'obéir à l'Injonction qui tirait ses muscles fatigués, en vain. Dans un grognement las, sa Mère le saisit par la nuque pour le redresser de force.

Clairement, elles ne parlaient pas de la même conscience. Là où Moira parlait de moralité, l’autre la ramenait avec sa science. Vieille bique arrogante. Et voilà qu’elle retournait ses foudres vers le dragon toujours faible et sanguinolent! « La délicatesse, jamais entendu parler ? » Non, probablement pas. « Ce n’est pas en le secouant dans tous les sens que tu vas le soigner. » Il serait pourtant ô combien plus facile de soigner certains patients si c’était le cas.

Mais Valkulohikäärme s'entêtait visiblement à ignorer ce Moustique qui enquiquinait ses oreilles. Ses crocs épais comme des arbres serraient le cou de Viholvä qui n'osait pas opposer à cette poigne une quelconque forme de lutte. Mais sa Mère était étonnamment délicate, quoi qu'en pense Moïra ; les crocs n'égratignaient même pas ses écailles fragilisées par sa condition.

Elle ne l'en obligeait pas moins à se relever. Le dragon se tint bientôt sur ses pattes tremblantes, la tête basse et haletante. Sa Mère le lâcha alors et il banda toute sa Volonté pour ne pas retomber. "Maintenant... Cesse tes Sottises. Tu sais ce que tu dois faire. AGIS !"