Rencontre, Rencart

Il s’était réveillé tout simplement radieux. Il avait un rencart! Et pas un de ces rencarts où où un.e pote bien intentionné.e avait décidé de jouer l’entremetteur. Ici, aucune patte n’avait été graissée, on avait pas poussé le destin, on avait par partagé son OnlyFans. Non. Il avait passé la veille au bar où ses ami.e.s performaient et, à l’heure de fermeture, en les attendant à la sortie, il s’était mis à parler avec cet autre être humain qui, lui aussi, attendait après des potes, et ils avaient finis par tellement parler de tout et de rien que leurs ami.e.s respectifs les avaient plantés là et étaient rentré.e.s sans rien dire. Il réserverait tout jugement envers ses camarades qui l’avaient abandonné pour après le rencart, dépendant de comment ça irait.

Pour le coup, il s’était réveillé heureux, oui, mais autrement comme une roche dans le fond de l’océan. Ses yeux donnaient l’impression d’être encroutés, son visage collait sur sa taie d’oreiller, ses lèvres brulaient tellement elles étaient sèches et craquées. Ça ne pouvait dire qu’une chose : encore une fois, il s’était endormi sans préalablement enlever son maquillage -et que cela soit clair, il était du genre à en mettre épais. Pas question que son contouring fonde après la première heure de danse! Le petit soleil du printemps filtrait un peu à travers ses rideaux ultra compacts, et il pu constater des dégâts : la moitié de son visage était étampé sur sa taie, et le reste s’était perdu dans les draps.

Soupir

Première étape : la salle de douche. Il passa délicatement un coton démaquillant sur son visage et son torse, qui le haïssaient encore plus qu’à l’habitude. Il avait des zones irritées un peu partout, surtout au niveau des yeux et autour du nez. Dans une autre vie, il aurait eu une peau correcte, mais à force d’utiliser des produits maquillant et démaquillant tous les jours, disons que c’était son lot quotidien. Ça ne faisait qu’ajouter à la longue liste des choses qu’il n’aimait pas chez lui; sa peau, ses yeux tombants, son sourire trop large, ses dents trop petites, sa grande taille, sa maigreur, ses cheveux. Y’a de ces choses qu’on peut changer de manière permanente, comme les cheveux, et de manière temporaire, comme la peau. Le reste… valait mieux pas y penser. Il essayait d’apprendre à s’aimer comme il était, promis!

Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il avait un rencart. Avec quelqu’un qui l’avait trouvé intéressant, mais qui pouvait tout aussi bien disparaitre sans laisser de traces s’il se présentait avec la peste sur le visage.

Seconde étape : douche. Pas besoin de vous expliquer, y’a quand même des bonnes chances pour que vous en ailliez prit une avant dans votre vie.

Troisième étape : refaire le maquillage. Il retourna à sa chambre, s’assit au bout de son lit et posa son miroir sur son bureau pour se préparer, faisant fit des messages incessants qu’il recevait via sa plateforme de streaming. Par réflexe, il commença par tapoter un peu de crème hydratante dans sa peau, y allant doucement dans les zones irritées de son visage. Une fois que ça fût bien absorbé, il passa au primer, d’abord pour l’ensemble, puis un second produit pour les yeux, histoire que son fard à paupière soit impeccable. Après, le gros de la bataille, soit la fondation, qu’il appliquait liquide et épaisse. Par habitude, il plongea sa main dans le petit tiroir qui abritait l’ensemble de son maquillage et en sorti un gros cylindre qui, à force d’utilisation, avait l’air tout à fait déguelasse, les traces de doigts se mêlant à des restants séchés de produit.

Faudra qu’j’en rachète un bientôt…, se dit-il, pressant le bouton de l’applicateur.

Rien.
Fronçant les sourcils, il pressa encore.
Encore.
Et Encore.
Toujours rien.

Son rythme cardiaque augmenta drastiquement alors qu’il paniquait un peu. Le tube était vide. Et sans ce tube, il ne pouvait rien faire. C’était la base, c’est pas pour rien qu’on appelle ça une fondation! Peut-être qu’un.e autre pourrait s’en sortir avec un autre produit, mais pas lui. C’était là tout son secret : il se mettait un fond de teint couleur porcelaine, pour vraiment faire ressortir ce look goth-punk qui ne sort pas de chez lui. Mais sa peau, elle, était naturellement dorée, comme hâlée par un soleil qu’il ne croisait pourtant pas souvent. Sa peau était magnifique comme elle était, mais quand vous vous croyez laid de partout, ça devient difficile de penser rationnellement. Il regarda l’heure : aucune chance de recevoir son tube, même avec la livraison express.

On dit que l’humanité a eu ses meilleures idées dans des temps où elle n’avait pas d’autre choix que d’agir et d’innover.
Le reste de l’humanité ne devait pas avoir autant d’anxiété que lui.

Cisco se tourna vers ce que l’internet avait de pire à offrir, soit la chaine YouTube de DIY 5 Minute Crafts.

Tout de suite, il trouva une recette. Sans plus se poser de questions, il se dirigea avec son téléphone dans la cuisine pour suivre les instructions. Il mélangea ensemble de la fécule de maïs, de la poudre de cacao, de la canelle…

Il eut quand même bien le réflexe de rire. Il se faisait une fondation maison ou des biscuits?

Ensuite, de l’huile de jojoba…

De. Quoi? Il avait pas ça? Il entra une recherche pour un substitut, et google lui promit que de l’huile de sésame, ça ferait pareil. Désespéré, il ne se fit pas plus prier et continua son horrible mélange, comme s’il s’attendait à ce que ça se transforme en potion magique. La personne mettait ensuite de l’huile d’amande et, comme il était déjà à la cuisine, il se fourvoya entre l’huile et l’extrait d’amandes. On comprendra qu’à défaut d’avoir un bon fond de teint, il allait sentir délicieux. Après, «suffisait» de bien mélanger! La dame dans le vidéo lui assura que s’il voulait une application liquide, il suffisait d’ajouter plus d’extrait d’huile d’amandes, aussi c’est ce qu’il fit avant de s’en badigeonner le visage. Maintenant trop pressé par le temps, il ne s’arrêta pas une seule seconde pour se demander si la couvrance était bonne, si le ton était vraiment ce qu’il cherchait, et encore moins pour se poser des questions quant à la sensation légère de brulure qui gagnait son visage.

Il s’attela au reste de son look : le concealer, qui malgré son nom ne pouvait absolument pas cacher ses erreurs de jugement; un peu de bronzer pour avoir l’air pâle mais quand même pas ressembler à un clown; pas de blush ce soir parce qu’il avait peur que sa peau en feu ne vienne y ajouter de la rougeur de toute manière; un highlighter légèrement nacré pour bien faire ressortir les zones de lumières pour un look plus masculin. Je sais, vous vous dites : le nacré, vraiment, c’est masculin? Mais si, parce que ça donne l’illusion d’une peau plus naturelle -un maquillage plus mat, sous la lumière, devient trop évident! Il déposa ensuite les pigments de son fard à paupières préféré, bleu, puis s’étala un rouge à lèvres de la même couleur. D’une main experte, il passa sa brosse à mascara sur ses cils pour les rendre bien noirs et bien longs, puis finalisa le tout en pulvérisant un spray fixateur sur la surface de sa peau qui hurlait.

Avec tout ça, il n’avait même pas eu le temps de se choisir une tenue; pantalon noir, débardeur blanc, son kangourou de tous les jours, et hop, il était dehors en train d’essayer de se rendre à leur point de rencontre. Pour bien faire, la pluie attendit qu’il soit à deux minutes de son rendez-vous pour s’abattre violement sur le pavé, le forçant à trouver refuge sous son capuchon. Il s’enfonça dans le café pour se sauver et, souriant à toutes dents, passa une excellente soirée.

Quand vint l’heure de se quitter, l’autre insista pour faire une partie du chemin ensemble. Puis quand il fut devant sa porte, une main se posa sur son visage, accompagnée pas longtemps après d’un baiser qui s’éternisa, leurs corps se pressant dangereusement. Quelques minutes plus tard, quand il entra enfin chez lui, le cœur qui battait à tout rompre et la tête pleine de cochonneries, il passa devant un miroir, et ce qu’il vit le fit s’arrêter. La fondation, qui n’avait de fondation que la lubie du nom, avait été effacée avec la pluie, emportant avec elle tout le maquillage qui avait été ajouté par-dessus, ne laissant derrière que son fard à paupière et son rouge à lèvres bleus.

Ce soir-là, il se coucha le cœur plein d’amour et la certitude qu’au fond, en amitié comme en amour, l’apparence ne fait pas tout.