Masses de journalistes se pressent, microphone en main. Est-ce une célébrité qui franchit ces pas ? Un héros de la nation ou un parangon de vertu ?
Que nenni.

Vincent Bates s'avance en souriant de toutes ses dents. C'est un sénateur de l'état de New York qui fait une apparition publique avant les élections. Il est brun, caucasien et porte des lunettes à moutures noires, exactement comme Aaron de Pietri, le costar noir en plus et la barbe de trois jours en moins. Mais la ressemblance s'arrête là car le journaliste à la masse n'a pas du tout envie d'écrire sur l'évènement.

D'habitude, c'est sa collègue Lucie qui se charge de la rubrique politique mais celle-ci est tombée malade comme un chien la veille de l'évènement et Aaron avait écrit un chouette article sur les dispositifs pensés pour le handicap. Allez chercher le rapport…

Robin, par contre, était parfaitement à sa place et savait exactement à quoi s’attendre. Les sujets politiques, et la problématique des mutants en particulier, étaient son domaine de prédilection. Elle ne s’étonna donc pas quand, une fois l’introduction faite, le sénateur Bates se lança dans un discours empli de grands mots mais vides de substance. Elle l’enregistrait tout de même au cas où il y aurait des citations intéressantes, mais elle comptait surtout sur le moment où elle pourrait poser des questions pour tirer des prises de position concrètes (ou du moins un peu moins vagues) de lui.

Aaron manque de s'endormir tant les phrases sont longues et vides d'informations. Il se sent comme un manchot au milieu d'une eau rempli d'arrêtes de poissons, parfaitement immangeables ! Mais qu'est-ce qu'il promet au final ce sénateur ?

Du vent. Voilà tout ce que Vincent Bates avait à offrir. Il risquait fort de récolter la tempête s’il continuait. Enfin, il finit de pérorer et les premiers journalistes levèrent la main. « Sénateur Bates, de nombreuses voix ont dénoncé le manque d’accessibilité des bâtiments publics pour les personnes en chaise roulante. Comment comptez-vous l'améliorer ? » « C’est une question très intéressante que vous posez là. L’accès aux bâtiments publics est bien sûr un droit fondamental de chaque citoyen américain et un aspect essentiel de notre belle démocratie… » C'était parti un bon moment de blabla creux. Robin, elle, attendait son heure.

Aaron tend un peu plus l'oreille, attentif à la réponse du sénateur mais celle-ci ne vient finalement pas. À sa place, Aaron serait bien en peine de répondre sans établir un dossier au préalable. Il décide donc d'intervenir, rappelant l'année limite d'application de la loi et le pourcentage de bâtiments publiques et collectifs respectant celle-ci. Il demande alors quelles sanctions encourront les bâtiments et quelles aides auront-ils. Oui, il n'aide pas le sénateur.

À réponse vague, question plus concrète. Robin approuvait la nouvelle question d’un autre journaliste, qui fit bafouiller un peu le sénateur avant qu’il reparte dans un magma de mots sans substance. Comment avait-il été élu ce bonhomme ? Elle laissa passer quelques questions et réponses creuses de plus, puis leva la main pour poser sa question : « Sénateur Bates, depuis qu’un accident avec professeur mutant a causé la mort de deux élèves, de nombreuses associations de parents exigent que les mutants dans le corps enseignant soient soumis à un screening poussé pour éviter qu’ils perdent ainsi le contrôle. Soutenez-vous cette cause ? »

Aaron tend l'oreille. Que signifie cette question ? Les mutants devraient être soumis à des contrôles… différents de ceux des non-mutants ? Le journaliste à la masse n'avait pas entendu parler de cet incident avec un professeur mutant non plus. Plus que la réponse, Aaron attend les questions suivantes.

« De tels accidents sont bien évidemment dramatiques, et mes pensées se tournent vers les familles des victimes à qui j’adresse mes plus sincères condoléances… » Abrège, ducon. Quelle plaie ce type. Et vas-y qu’il déblatère un baratin vide à propos de la sécurité, la liberté, le droit à l’éducation… Et a le culot de finir avec un sourire satisfait ! « Sénateur Bates, vous n’avez pas répondu à ma question. Êtes-vous pour ou contre un screening plus poussé des enseignants mutants ? »

"Eh bien oui, nous allons réfléchir à une analyse des professeurs des écoles plus assidue et bannir toute forme de violence."
"Moi aussi j'ai une question. Est-ce que l'on pourrait passer un screening plus poussé des journalistes ?" est malheureusement une question que Aaron gardera pour lui-même, outré par ce qu'il vient d'entendre de la part de la mère-épaulard, mangeuse de manchots.

Mouais. « Nous allons réfléchir à » n’était pas franchement une réponse tranchée, mais c’était déjà plus concret que de citer des passages de la Déclaration d’Indépendance et de la Constitution. Robin tenta de poser une nouvelle question, mais fut coupée dans son élan quand un autre journaliste fut désigné. Clairement, son temps de parole était écoulé. Tant pis. Elle écouta la suite des questions et des réponses (généralement le plus vagues et pompeuses possible) sans se manifester de nouveau.

Aaron doit se forcer à poser encore des questions, il est journaliste après tout (non ?). Il choisit de poser une question sur le budget et les objectifs d'amélioration à moyen terme et se mord les doigts de ne pas se sentir aussi compétent que sa collègue. Ça n'allait pas être l'article du siècle. Pourquoi faire de la politique un sujet si… confus et opaque pour l'amateur de manchots ?

Après trois bons quarts d’heure de questions (et avec un orateur qui s’écoute parler sur les réponses, on case pas spécialement beaucoup de questions dans ce laps de temps), le sénateur remercia les journalistes présents, signala qu’ils pouvaient toujours contacter son bureau de campagne, et prit congé. Robin arrêta son enregistrement et feuilleta un instant ses notes avant de se lever et de se diriger vers la sortie de la salle.

La revue est terminée, les journalistes sortent donc l'un après l'autre. Aaron reste un instant à relire ses notes. Que va-t-il pouvoir en tirer ? Il finit par se lever et prendre le chemin de la sortie. Il reconnaît la femme juste devant lui, c'est celle qui a posé la question sur les professeurs mutants.

La vibration de son téléphone attira l’attention de Robin et elle ouvrit le message qui venait d’arriver. Sa prochaine interview venait de tomber à l’eau. Tant pis. Ca lui permettrait de commencer le compte-rendu de cette conférence de presse plus rapidement.

Boum !
"Oh, pardon, mes excuses, j'avais la tête ailleurs," dit Aaron en réalisant bien trop tard qu'il a heurté la journaliste devant lui en dépit du fait que, fait exceptionnel, il a fait attention à elle. Comme quoi…
"vous n'avez pas de café, c'est bien."
Sinon, ça signifierait qu'elle aurait renversé du café par sa faute. Merci, Capitaine Evidence !

Evidemment, s’immobiliser dans une foule mouvement, c’était risqué, et la loi de Murphy finit par frapper. Mais heureusement, comme l’homme qui venait de la bousculer l’avait fait remarquer, elle ne portait pas de café, ou autre liquide d’ailleurs. « En effet, il n’y a pas de mal. » Elle tendit la main vers l’inconnu, ayant remis son téléphone en poche. « Robin Noel. »

"Oh euh, enchanté, dit-il avec un air un peu lunaire. Je suis capitaine Aar-- Je veux dire Aaron di Pietri."
Le journaliste à la masse serre alors la main de la femme en tenue d'affaire.
Comment fait-elle pour être aussi sérieuse ? Lui, fait presque pitié en comparaison avec sa chemise grise froissé et ses cheveux en désordre (sans parler du manchot à sa ceinture). Pourquoi ne fonce-t-elle à sa prochaine intervention ?
"Que dites-vous d'aller au café pour reprendre nos notes ensemble ?"

Capitaine ? Un militaire reconverti en journaliste ? Il n’en avait pourtant ni la carrure ni l’air psychorigide, sans parler du manchot à sa ceinture en guise d'arme. Un surnom, peut-être ? Elle creuserait si l’occasion se mettait. « Avec plaisir. Une préférence pour le lieu ? » Si ce n’était pas le cas, elle connaissait suffisamment de cafés agréables dans ce coin de New York.

"Eh bien, j'aime beaucoup la librairie McIntosh Jolly qui est juste à deux rues d'ici."

* inspiré de la librairie McNally Jackson à NY, le wifi en plus

« Excellent choix. » Robin avait vécu à New York suffisamment longtemps pour connaître certains quartiers comme sa poche, et celui-ci était l’un d’eux. Elle s’était fréquemment réfugiée dans cette même librairie pour parcourir ses notes après l’une ou l’autre interview ou conférence de presse. Elle se mit donc en route d’un pas décidé. « Vous êtes affilié à un journal particulier, ou vous êtes indépendant ? »

En voilà une question digne d'un journaliste !
"Affilié, le-- Oh, je vais vous laisser deviner. Et vous, affiliée ou indépendante ?"
C'était plus instructif de voir ce qu'elle avait pu conclure de leurs quelques échanges que de simplement voir sa réaction. Et si elle lui retournait la blague, tant pis.

Oh, il voulait jouer à ce petit jeu ? Eh bien ils pouvaient y jouer à deux. « Hmm, là tout de suite je manque d’informations pour deviner, mais je soupçonne que la rubrique politique n’est pas votre rubrique habituelle. » Un coin de sa bouche esquissa un sourire amusé : « Je vous laisse deviner mon affiliation. »

Les pieds du journaliste le guident sans effort vers le bar.
"Je vous assure que mon journal a une rubrique politique ! Et je ne vais pas deviner votre affiliation. Je devine seulement que vous devinez ce que je cherche à deviner de vous. Et j'ai deviné que la politique est votre rubrique préférée, me trompe-je ?"

« Je n’ai pas dit qu’il n’en avait pas. Simplement que la politique n’est pas votre rubrique habituelle. Mais oui, vous avez raison, c’est un de mes sujets habituels. » Quant à dire si c’était un de ses préférés… Il y avait plus enthousiasmant, mais d’un autre côté c’était un domaine dont il était important de suivre les nouvelles évolutions, que ce soit en tant que journaliste ou en tant que simple citoyen.