Rappel du premier message :


C'était un rituel qui précédait toute chose. Qu'il soit seul ou non n'avait pas d'importance. Le soleil commençait doucement à descendre sous l'horizon, et la lumière faiblir entre les branches. Avant de commencer, il s'étira, et adressa un sourire aux arbres.
En douceur, des gestes longuement répétés prirent possession de ses membres, de son corps. Il ne faisait qu'un avec l'air qui l'entourait. Sa danse n'avait pourtant rien d'innocent. Il enchaînait les arabesques comme si tout était lié, changeait de rythme au fil de ses passes. Les lames dans ses mains tranchèrent le vide. Un mouvement rapide, qui ne perdait ni en fluidité, ni en charme. Elles retrouvèrent tantôt leur fourreau, sans que la danse ne cesse. Devenue plus lascive, plus voluptueuse, elle n'en restait pas moins dangereuse. Il tendit la main vers la forêt, comme une invitation. Il accusa un arrêt. Ses yeux se troublèrent, sa main trembla.

Tch.

Il fit volte-face, le sang battant à ses tempes, sa peau pâle rosie par l'effort et la passion. Cela durait déjà. Mais il continua. Il répéta des bottes à l'air aussi inoffensives qu'une aubade, dégageant la même flamme. Puis vint l'accalmie. Ses gestes ralentirent, jusqu'à s'arrêter. Il laissa ses bras reposer le long de son corps, légèrement fléchi. Puis il se tourna dans une direction bien précise, qui avait déjà vu partir son sourire. Il s'inclina avec légèreté, artiste signant la fin de son œuvre.

À l’opposée complète du calme de l’autre, Pim frétilla de plus belle en entendant sa réponse. « Trop bien ! Et c’est qui qui fait la musique ? » Partant du principe qu’un enfant (et une dragonneau est un enfant) qui ne réagit pas à de la nourriture est un enfant qui n’a pas faim, Moira continua à couper le bout de viande et jeta les morceaux dans la casserole.

Il n'a pas besoin de musique pour danser.

Le regard noir s'attardait à présent sur sa robe tâchée, sans paraître exprimer une émotion particulière. Il s'éleva pourtant dans les airs, ménageant ses mouvements par égard pour la cuisinière, tournoyant un instant sur lui-même avec cette fois, l'élégance d'un véritable danseur. Comme une hésitation, il ajouta à retardement.

Je le rejoins. Etait-ce un rire, ou de l'innocence pure dans sa voix ? Il danse mieux quand il est nu.

« Je peux venir voir ? » Plein d’innocence mêlée d’espoir, Pim s’envola à la suite de l’autre. « Pim, laisse-le, tu pourras demander une démonstration plus tard. » Elle ne connaissait pas spécialement le danseur et ne savait donc pas s’il serait ravi de voir débarquer le dragon-fée à l’improviste. « Tiens donc ? C’est pas un peu intéressé de ta part ? » Moira leva les yeux au ciel. « Une démonstration de danse, Aisling, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. »

La réponse fusa aussi vite que l'air sous les ailes du jeune dragon. Il ne semblait pas posséder la même réserve que Moira. Oui. Déjà il filait entre les arbres, mais à une allure qui invitait le dragon-fée à le suivre. Les réflexions suivantes n'avaient pu lui échapper.

« Il a dit que je peux ! », contra le dragonnet, avant de filer de toute la vitesse de ses petites ailes à la suite de son nouvel ami. Moira se pinça l’arrête du nez, sa vitesse de déplacement et sa vue (surtout de nuit) ne lui permettant pas de suivre les deux fuyards. « Navrée pour toi », persifla sa canne. « Vas-tu cesser à la fin ? » En espérant que le danseur prendrait la présence de Pim aussi bien que son compagnon de voyage et, surtout, qu’il ne leur arrive rien en cours de route.

La source formait une petite cascade qui se jetait dans une cuvette naturelle, et c'est à cet endroit que le jeune dragon le trouva. Sa peau humide luisait sous un rayon de lune, et comme l'avait promis son compagnon, il dansait. Yeux clos, il se mouvait dans l'eau, ses doigts frôlant la cascade comme si le son cristallin lui inspirait de nouvelles harmonies. Silencieux, le dragon blanc replia simplement ses ailes sur la bordure, à le regarder.

Bouche-bée face à ce spectacle qu’il n’avait encore jamais vu, le dragon-fée s’installa roulé en boule à côté du dragonneau blanc. Du côté du campement, le silence était retombé, Aisling ayant enfin cessé d’asticoter Moira.

Qu'il soit ou non aussi fasciné que le dragon-fée, le dragon ne bougea pas d'une écaille tant que le corps du danseur était en mouvement. Lequel finit par ouvrir les yeux. Les obsidiennes rencontrèrent aussitôt leurs semblables, sans qu'il ne manifeste avoir remarqué la présence d'un autre spectateur.

Tu les as trouvés.

Toujours habité par la grâce de la danse, il passa une dernière fois son visage et sa chevelure sous l'eau vivifiante, avant de s'extraire de l'onde.

Dès la fin de la danse, le petit dragon s’envola à nouveau, pour fondre sur le danseur et, s’il le laissait faire, se percher sur sa tête. « C’est trop beau ! Dis, Qil dit que tu danses mieux nu, c’est vrai ? Pourquoi ? Et pourquoi tu mets des vêtements alors ? » Des notions telles que la pudeur ou les conventions sociales lui passaient loin au dessus de la tête. À ses yeux, les vêtements étaient simplement quelque chose que les humanoïdes portaient, pour des raisons qu’il n’avait jamais creusées.

Un minuscule dragon perché comme une cerise dans ses cheveux, l'artiste ne put retenir un rire. Se savoir observé dans un moment d'intimité ne semblait pas le déranger le moins du monde, et la réponse fut aussi naturelle que la question.

Si Qil le dit. Je suis juste, plus libre.

Sans chercher à déloger le drôle d'oiseau, il se sécha sommairement avant de recouvrir son corps de vêtements propres.

Pour le regard des autres.

Ravi de s’être trouvé un nouveau nid qui en plus acceptait de répondre à ses questions, Pim s’enhardit : « Ah, ça change quelque chose le regard des autres quand tu mets des vêtements ? » Puis, il se rappela l’effet des rayons de lune sur la peau pâle et humide du danseur. « Parce que si t’en mets pas tu brilles trop et ils peuvent pas te regarder ? » Il était très fier d’être arrivé à cette conclusion tout seul.

Le nid qu'avait choisit le dragon-fée pouvait être plus confortable, les cheveux se prolongeaient en sillons humides sur la chemise nouvellement portée, faute d'avoir pu être correctement séchés. Mais faisant fi de son confort, les lèvres sombres laissèrent échapper un nouveau rire, dont la légèreté n'était pas sans rappeler l'eau de la cascade.

Ce doit être ça.

À la confirmation que son raisonnement tenait la route, le dragonnet-fée frétilla de plaisir et tourna en rond un moment histoire de se créer un meilleur nid. Heureusement, il avait déjà appris que quand il était sur la tête de quelqu’un, il ne pouvait pas cracher un peu de feu pour réchauffer le nid en question. « Et c’est triste s’ils peuvent pas te regarder. »

Ils ne le veulent pas. Pas tous.

Le dragon blanc tournait lentement autour de lui alors qu'il enfilait ses bottes. Il s'agenouilla pour remplir sa gourde d'eau claire. Aucun de ses mouvements n'était assez brusque pour déranger son étrange invité.

« Pourquoi ? » Aux yeux du petit dragon, ne pas vouloir regarder un spectacle comme celui auquel il venait d’assister par deux fois était tout bonnement incompréhensible. Et Moira aussi l’avait trouvé beau ! C’était une preuve de plus, non ?

Seul le dragon blanc pouvait voir le fin sourire du danseur, et l'éclat qui faisait briller ses yeux noirs.

L'intimité est réservée à un certain public.

Le nez du petit dragon se fronça, signe de son intensité réflexion (et incompréhension), mais il ne commenta pas, encore incapable d’articuler une question qui reflète son incompréhension. Ce n’était toutefois que partie remise, et une question à ce sujet suivrait inévitablement dans un futur plus ou moins proche.

Les gestes du danseur restaient toujours aussi mesurés quand il ramassa son paquetage, et il se mit en marche. Le jeune dragon se fit guide sans qu'un mot ne soit prononcé, et le trio arriva bientôt prêt du feu où mijotait le ragoût.

« J’espère que Pim ne t’a pas dérangé ? », s’enquit Moira en voyant arriver le trio. Ledit Pim tenta tant bien que mal de disparaître dans la chevelure du danseur, ce qui était quelque peu compliqué par l’humidité de la chevelure en question et le contraste entre ses écailles rouges et les cheveux blancs de son porteur.

Nullement.

L'artiste se délesta au pied de la roulotte, laissant ses yeux attentifs scruter ce nouveau décor. Puis, sans chercher à essorer ses cheveux dans lesquels le petit dragon tentait tant bien que mal de s'installer, il revint auprès de la cuisinière.

Puis-je aider ?

Rassurée que la curiosité de Pim ne lui avait pas attiré d’ennuis cette fois, Moira ne s’étendit pas plus sur ce sujet. Elle se contenta de sortir une bouilloire d’un de ses sacs et de la tendre à son invité en réponse à sa question. « Si tu pouvais la remplir, je pourrai nous faire du thé. »

Il ne se fit pas prier pour saisir la théière. Il s'était après tout, déjà désigné pour cette tâche.

Un thé ne serait pas de refus.

Son regard dériva sur le toit de la roulotte, où le jeune dragon blanc s'était allongé, profitant d'une vue imprenable sur ce qui se passait en contrebas.

Auras-tu besoin de plus d'eau ?

Aussi serviable qu’il était bon danseur, ce jeune homme. Eh bien Moira n’allait pas refuser une aide offerte spontanément. « Il y a une outre presque vide pendue au mur à gauche en entrant dans la roulotte. Si tu pouvais la remplir, ça m’épargnerait un allée-retour. »

Les yeux mi-clos, l'artiste opina. Il s'exécuta sans tarder, faisait visiblement preuve d'une courtoise discrétion quant à la vie privé de la femme.
Les obsidiennes levées vers le toit de la roulotte, il leva la main jusqu'à la racine de ses cheveux, sans que l'on puisse distinguer à qui s'adressait la question.

Tu m'accompagnes ?

« Oui ! », fusa la réponse quasi immédiate de son passager écarlate. Il faut dire qu’il n’était pas encore tout à fait sûr de ne pas se faire rabrouer par Moira, et il préférait donc éviter de lui en donner l’occasion.