Domino n'a jamais aimé avoir le nez dans les bouquins. Sa mère lui avait dit qu'elle devait se faire tester pour le TDAH quand elle était gamine, mais finalement le test n'a jamais eu lieu. Elle avait réussi ses examens (pas toujours du premier coup, mais ça c'était un autre problème) et avait même chopé un taf à Bruxia après ses études. Son ennui pour les bouquins ne l'avait cependant jamais quitté. Si elle avait maintenant un cours avec le moins de paperasse possible, c'était bien pour une raison. C'est aussi pourquoi, quand elle avait rejoint la salle de profs il y a quelques heures, l'image de Furaha avec le nez collé entre les livres et une montagne de papiers et de notes à ses côtés était resté collé dans son esprit.

Pour quelle bonne raison une prof pourrait-elle prendre du plaisir à travailler autant ? Un vrai mystère.

— Hey ! Tu m'écoutes ?!
— Oui, oui, Sweepy. Je t'écoute.
— J'ai dit quoi alors ? L'Esprit du Ménage chatouilla son oreille avec un plumeau.
— (Arrête ça.) Tu parlais du fait que le balai était supérieur à l'aspirat- oh, c'est Furaha.

La prof de sport l'avait repéré à travers la fenêtre, malgré la poussière qui couvrait les vitres. Elle n'avait cependant pas de matériel de nettoyage avec elle. Que faisait-elle ici si ce n'était pas pour aider avec les travaux ?

Furaha n'avait plus qu'une chose en tête : découvrir ce qui était advenu des Brisemorts durant tous ces siècles. Pourquoi l'Histoire n'avait-elle pas retenu leur fin ? Pourquoi même, leur existence était si floue, si secrète ? Comprendre aiderait à les combattre, s'ils en venaient à une telle extrémité. Son petit lion avait été curieux de sa nouvelle fougue, plus encore de l'interdiction de regarder ses recherches actuelles, mais il avait reconu le regard de la lionne en chasse et avait cessé de poser des questions. La Nuru se retrouvait donc sur le campus Falveras, rouvert pour la nouvelle élève, décidée à effectuer de menus fouilles...

Heeeeeeeeeeeeeeey ! Fufu ! Elle avait ouvert la fenêtre et pendouilla à l'extérieur comme une grosse gamine. Sweepy s'excita derrière elle. Quelque chose à propos "la poussière qui se répand" et "d'arrêter ça tout de suite". Qu'est-ce que tu fais là sans ton équipement de nettoyage ?!

Furaha était trop engoncée dans ses pensées, à en marmonner à mi-voix, qu'elle fut surprise par l'appel. Quand elle leva la tête vers Domino, elle savait que le feu qui y brûlait ne s'était pas amoindri. "J'effectue un autre type de nettoyage." indiqua-t-elle en tapotant la sacoche qui battait ses hanches et contenant truelles, tamis et cie. "Je dépoussière les secrets." Son sourire se fit taquin. "Veux-tu venir, Domi, ou rester avec Sweepy ? Tu affoles ce pauvre Esprit déjà bien stressé par toute cette histoire. Ouvrir si soudainement un campus oublié depuis des siècles !"

A l'idée même que la shaman risquait quitter son boulot de femme de ménage, la rivière de larmes et de savon était de retour.

— Noooooooooooon. Ne me quitte pas ! Il faut nettoyeeeeeeeeeer !
— J'emmène le plumeau, d'accord ?

Elle n'attendit pas l'accord de l'Esprit (car soyons honnêtes, Sweepy Todd n'allait jamais être d'accord) et attrapa le plumeau avant de sauter par la fenêtre. Pas de panique. C'était le premier étage et en tant que bonne prof d'EPSNFME, elle savait comment rouler pour amortir sa chute.

Furaha était une enseignante, une chercheuse, un rat de bibliothèque... mais elle avait souvent, aussi, des rêves où elle explorait à la recherche de la vérité sur le terrain, et pas seulement dans les livres. "Le plumeau sera utile, Sweepy ! Nous avons de la poussière de secrets à épousseter." Elle sourit gentiment à l'Esprit affolé pour attrapa le bras de Domino pour lui parler à voix basse. Ses yeux luisaient d'un regard fauve. "J'ai trouvé quelque chose dans une vieille chronique d'archives. Il faut qu'on cherche la salle des archives du campus Falveras, je suis certaine qu'on y dénichera un indice plus conséquent !"

Domino arqua les sourcils. Elle n'était pas venu ici pour nettoyer — enfin... techniquement elle était absolument venu ici pour nettoyer... mais la pression de l'autre comédien l'avait vite donné la motivation à trouver une excuse pour s'éclipser. Mais là... elle tombait de Charybde en Scylla ! Un indice sur quoi ? demanda-t-elle tentativement. Ca se trouve elle allait devoir regrimper par la fenêtre pour rejoindre Sweepy.

"Les Brisemorts." répondit très sérieusement Furaha. Elle paraissait nettement excitée par la recherche. "Les informations ne se volatilisent pas comme ça." Elle claqua des doigts pour illustrer son propos. "Il leur faut de l'aide. Et même la meilleure des aides va laisser des traces. Parfois, on n'oublie juste certaines choses... comme des archives d'un campus. J'ai trouvé dans un inventaire la mention d'une coupe offerte à, je cite, "Monsieur l'Archiviste du C. F., à la plume exacte.", et datant de l'époque des Brisemorts. La légende de la coupe indique que ce monsieur notait TOUT. Si je trouve ces archives..."  Elle prit un air rêveur.

Et merde. Elle était tombé sur Furaha alors qu'elle était dans son élan de recherche. Elle aurait dû s'en douter vu la scène dont elle avait été témoin dans la salle de prof. T'as besoin de savoir quoi de plus ? Ils sont mauvais et ils sont repartis quand Julio a été vaincu. J'vois pas ce qu'il y a d'intéressant à trouver dans le passé. L'actualité est plus intéressante, non ? Surtout vu les événements..... récents.

"L'auteur chinois Sun Tzu a écrit dans son Art de la guerre que pour gagner une bataille, il fallait posséder plusieurs connaissances : ses propres forces, le terrain et les forces de l'ennemi. Or nous manquons drastiquement de donnée sur ces derniers. C'est un avantage que nous ne pouvons pas leur accorder. Il en va de notre devoir d'enseignant : nous devons pouvoir protéger nos élèves si besoin." Le regard de lionne de Furaha avait réussi à se durcir. Mais elle finit par sourire, mutine. "Et personnellement, je me sens frustrée d'avoir donné des cours s'avérant faux durant toutes ces années. Je VEUX rétablir la vérité. M'aideras-tu, Domi ?"

Elle avait l'impression de se retrouver sur les bancs d'école. Gros flashback. Son cerveau s'était déjà endormi à la mention "Sun Tzu". Domino n'avait pas assez dormi pour suivre les discours de prof. Malgré son statut, elle ne s'était jamais senti comme un égal non plus. Je sais pas si je te serais très utile dans tes recherches. J'ai rien retenu de mes cours d'histoires  

Elle agita la main à cette remarque. "Pas grave, je n'ai pas besoin d'autres connaissances historiques." Furaha sourit. "J'ai besoin de ton habilité physique, comme tu viens de la démontrer. Ma petite virée en Egypte m'a un peu dérouillée mais l'époque des chasses en savane est un peu loin. J'ai fait ma part de ratte de bibliothèque, et suffisamment de sport pour être en forme. Pas pour être entraînée. Alors, t'es de la partie, Domi ? Je mets ma main au crocodile que le chemin de cette quête sera foutrement encombré."

Elle balança ses hanches sur le côté, le plumeau contre son épaule. Faut bien quelqu'un pour escalader les murs, non ? ricana-t-elle. Et pour te ramener les deux sur terre si tu t'emballes trop. Domino était moins convaincu qu'elles allaient trouver les réponses aux énigmes de Furaha. Si ces secrets étaient enterrés depuis toutes ces années, qui étaient elles pour croire qu'elles allaient signifier la différence ?

Avec un rire, Furaha acquiesça puis reprit le chemin que Domino avait interrompu. Elle suivait un carnet abîmé sur lequel elle avait marqué ses gribouillis intelligibles pour personne d'autre qu'elle-même, pas qu'elle en ait vraiment eu la volonté ; les chercheurs finissaient souvent par écrire aussi mal que des médecins. Leurs mains ne savaient pas suivre la cadence de leur esprit survolté ! Elle les mena directement vers une petite pièce perdu dans la broussaille qui avait recouvert le bâtiment...lui-même effondré en tas de pierre et de bois. "Prête à te remonter les manches, Domi ?"

J'suis pas le Hulk, mais je devrais pouvoir gérer un minimum. Et elle se remonta littéralement les manches pour le montrer. Le plumeau fut mis de côté temporairement alors qu'elle s'aventura au déplacement de quelques grosses pierres. Faire travailler ses biceps, il n'y avait rien que Domino préférait plus ! Avec les manches retroussées comme ça, ses muscles devinrent encore plus visibles. Malgré sa vieillesse son âge, ils étaient toujours extrêmement bien développés. On cherche quoi exactement ?

Les années n'avaient pas amené que des rides de vieillesse mais aussi pas mal d'expériences de sagesse. "N'importe quoi qui pourra nous renseigner. Ne jette RIEN avant que j'y ai mis un oeil dessus." répondit Furaha en sortant un carnet pour lister tout ce qu'elles déblayaient et faire un plan des fouilles. Elle avait été suffisamment traumatisée par le massacre à la pelleteuse que les sites de Troie, de Mycènes et de Cnossos, parmi tant d'autres, avaient subi à une époque où les archéologues étaient des barbares.

Il n'y avait qu'une seule barbare ici et c'était Domino. Elle balançait des cailloux et rochers de gauche à droite, la sueur se formant lentement sur son front au fur et à mesure. Genre... ça ? Elle venait de soulever une brique qui avait écrasé un livre. Non... un journal ? Il y avait un prénom inscrit dans le deuxième de couverture.

Furaha courait d'une pierre à une autre à mesure que Domino les balançait, juste au cas où. Elle manqua donc le moment où elle trouva le livre et faillit s'écraser le pied en lâchant prématurément le débris qu'elle tenait pour se précipiter vers sa collègue. "Oui ! Ceci est tout à fait un indice probable." Elle le prit délicatement entre ses mains pour l'inspecter. "Un élève ? Ou notre ami l'Archiviste ?... Mmh. La coupe ne mentionnait pas son prénom." Elle chercha un sceau ou une signature identifiant l'objet comme document officiel.

Domino regarda à moitié au-dessus de l'épaule de sa collègue. Furaha avait l'air de bien s'exciter pour un objet qui avait pourtant l'air si banal. Hmm.... Il y avait un petit logo sur la couverture que Domino reconnu. Ah ! Non, c'est sûr, c'est juste un journal intime. Elle pointa le logo. L'Esprit du Secret pose ça quand tu lui demandes de cacher le contenu de ton journal. T'as un sac en plastique qui peut servir de poubelle ?

"De poubelle ?!" Dans un geste instinctif de défense, Furaha serra le livre contre lui. "Ce journal détient peut-être des indices, pourquoi le jetterais-je ?"

Quels genre d'indices un journal intime peut-il bien cacher ? demanda Domino, les bras croisés et le sourcil levé. Qu'Antonio est juste trop beau, Maria est une emmerdeuse et Prof Rodrigo fait chier avec le nombre de devoirs qu'il exige ?

"Ce journal a survécu aux affres du temps, il ne finira pas à la poubelle." s'entêta Furaha. "Qui te dit qu'il y a pas des informations pertinentes entre les amourettes et les râles de son auteur." Elle haussa un sourcil. "Pendant longtemps, les historiens ont méprisé la microhistoire. Sache que TOUT peut être objet d'Histoire, et qu'on trouve souvent des trésors là où on ne les attend. Tout ce qui or ne brille pas." Sur ces mots, elle ouvrit le journal pour tâcher de le lire.

Silhistorienne:

C'est pas comme si elle allait la contredire. Elle en savait trop peu sur le sujet pour avoir un point de vue vraiment établie (et... pour être tout à fait honnête... les gens avec une passion enflammée comme celle de Furaha lui foutaient les boules). Ok, ok, alors t'as trouvé quoi ? L'impatiente qu'elle était lui avait à peine laissé deux minutes pour finir sa lecture.

"Mmh... Deux secondes..." marmonna Furaha en essayant de déchiffrer la première page. Son sourire tomba peu à peu. "En fait, je n'arrive pas à lire. On dirait que le sort de Traduction est encore à plat." Elle haussa soudainement un sourcil, fixant le logo que Domino avait pointé plus tôt. "Je crois qu'il va falloir invoquer l'Esprit du Secret."

Il est pas très coopératif quand il s'agit de les dévoiler, remarqua Domino, qui semblait déjà avoir eu l'expérience de rencontrer la créature. Vu son visage ce n'était pas une rencontre qu'elle avait hâte de refaire. Mais Furaha était beaucoup plus diplomate que Domino. Elle serait sûrement capable de caresser la bestiole dans le sens du poil.