Furaha ne put s'empêcher de grimacer en arrivant devant les Pyramides. Non qu'elle ne soit pas impressionnée par ces édifices qui avaient survécu aux siècles mais... leurs parois étaient présentement recouvertes de couleurs chatoyantes et de hiéroglyophes dansants. Un coyote se mêlait joyeusement aux farandoles.

Un coyote en Egypte. Trickster allait devoir revoir son bestiaire.

Les mains sur les hanches, Furaha secoua la tête. Connaissant l'Esprit, elle savait qu'il connaissait pourtant les formes animales qu'il revêtait dans cette partie du monde. Araignée, chacal, lièvre... elles ne manquaient pas. Mais il avait préféré signer son oeuvre par la forme qu'on lui connaissait mieux à Bruxia.

Et elle n'était pas étonnée qu'il utilise cette crise pour jouer une farce. Il était l'Esprit de la Farce après tout. L'aubaine avait été trop belle pour passer à côté. Et elle avait suffisamment d'expérience avec l'Esprit malin pour qu'on l'ait nommée experte en la matière de le calmer. Quelle joie ! Elle avait hâte de se retrouver dans les filets espiègles de Trickster.

La pyramide de Khéops semblait être la demeure qu'il avait choisi, si elle devait en croire les flèches qui convergeaient vers elle sur les parois des autres pyramides. Trickster savait qu'il avait des invités.

Oriana, envoyée en dernière minute pour aider Furaha, avait bien choisi l'endroit pour se téléporter avec l'Esprit Corbeau. Elle avait visualisé et mémorisé l'endroit via Google Maps : une petite maison en pierre antique jouxtant le parking, où affluaient les autocars. Par discrétion, Oriana avait échangé sa tenue de shamane contre un jean et t-shirt rouge, et son masque d'oiseau par une écharpe bleu foncé recouvrant sa bouche et son nez. Gracias, amigo. Il s'inclina, et elle le révoqua en chuchotant. Prenant des raccourcis, elle finit rapidement par retrouver sa collègue et amie. Furaha ! dit-elle, espérant qu'elle reconnaisse sa voix.

Heureusement que la voix ne lui était pas inconnue car Furaha ne comprit rien au mot qui l'appela, même si elle se doutait qu'il s'agissait de son nom. Elle dédia un large sourire à Oriana en secouant la main pour la saluer. Puis ses yeux dérivèrent à nouveau vers la pyramide colorée qui les narguait et elle soupira avec emphase en secouant la tête, les mains sur les hanches. Trickster, ce vieux filou... toujours aussi tapageur. Ses doigts s'agitèrent vers l'édifice alors qu'elle haussait un sourcil ; Oriana était-elle prête à y aller ?

Oriana regarda Furaha droit dans les yeux. Ce n'était pas son premier rodéo avec l'Esprit farceur, à elle non plus. Ce jour où un élève pas si sage l'avait invoqué pour se venger d'un camarade, et l'Esprit n'en avait fait qu'à sa tête et était allé faire des dessins sur toutes les copies du dernier contrôle qu'elle avait imposé à sa classe... Un jour mémorable. Elle leva le pouce, affichant détermination et expérience sur son visage (dont on ne pouvait toujours voir que les yeux), prête à se lancer dans le nouvel antre de Trickster.

A son grand étonnement, les autorités égyptiennes les laissèrent accéder à la pyramide sans faire de simagrées. Il n'y avait pourtant que les Shamans qui pouvaient voir le bazar de Trickster. Elle vit alors leurs airs hagards. L'Administration leur avait en envoyé l'aide de l'Esprit de la Distraction, libérant la place de toute présence gênante. Notamment les nombreux touristes se massant sur le plateau de Gizeh. Il leur éviterait aussi les questions quant à leur entrée dans la pyramide... D'ailleurs, le Fripon n'avait pas lésiné sur la décoration de la Grande Galerie : des hiéroglyphes colorés dansaient sur ses parois.

Oriana soupira. Depuis un certain temps, l'Esprit du Code ne répondait pas à ses invocations. Ce qui était fort dommage, étant donné que son pouvoir lui permettait de passer outre ce mystérieux problème de communication inter-shamanique. Ça ne l'étonnerait guère, d'ailleurs, que Trickster soit responsable de tout ce malstrom linguistique. Elle s'amusait presque des hiéroglyphes animés sur les murs. Presque. Soudain, dans le couloir plutôt large, une piñata descendit brusquement à six mètres d'elles, et un bâton tomba non loin. Oriana soupira derechef. Une provocation envers le fait que je sois latinoaméricaine. Pas très original.

Le couloir montait, visiblement, mais elles ne purent pas déboucher dans la Grande Galerie qu'un animal en papier mâché les agressa en tombant du plafond comme une immense araignée. Violette. Furaha soupira. Allaient donc devoir jouer avec Trickster pour s'en pouvoir traiter avec lui ? Sur les parois, le Lièvre, le Serpent, le Coyote et le Renard, et Maître Corbeau sur son arbre perché, et aussi la sournoise Araignée... tous les fixaient d'un regard attentif. Quémandeur. Impatient. Furaha secoua la tête d'un air exaspéré et leva un sourcil vers Oriana. Du coup, jeu ou conflit ?

Oriana rendit son regard à Furaha. Elles savaient toutes les deux que parfois, pour dompter un Esprit, la meilleure manière était de jouer leur jeu. Le conflit ne les mènerait à rien, d'autant plus qu'elles se trouvaient dans un lieu dont Trickster avait fait son repaire. Elles n'étaient pas sûres d'à quel point Trickster avait gagné en puissance en ce lieu. Ne pouvant communiquer son intention à Furaha, Oriana regarda les murs, puis applaudit. ¡Bravo! fit-elle. Elle savait que complimenter les farces et pitreries de Trickster flatterait l'égo de ce dernier. Cela avait marché pour le calmer, la dernière fois.

Même si le mot prononcé par Oriana était incompréhensible, le geste passait la barrière des mots en folie. Un rire s'échappait des gueules et des becs qui bariolaient les parois. Soudainement, la forme agile d'un macaque s'échappa de la pierre pour danser devant eux et la pinata qu'il désigna à chaque tour avant de leur tendre des bâtons. Son sourire étincelait de malice. Furaha haussa un sourcil de défi : il ne serait pas dit que la lionne reculerait devant un défi quand elle l'avait accepté ! Souriant narquoisement à l'avatar du Fripon, elle frappa dans l'araignée violette. Que c'était palpitant !

Oriana se prêta également au jeu. Les deux shamanes tapèrent l'une après l'autre sur la piñata, qui se balançait de plus en plus loin et haut. Quand ce fut à nouveau le tour d'Oriana, néanmoins, l'impact du bâton cassa enfin l'araignée en papier mâché, éclaboussant d'eau nos deux protagonistes. Évidemment.

Un rire perçant secoua les parois de la pyramide alors que les figures qui les entouraient se pliaient de rire. Concentrée sur cette hilarité générale, Furaha manqua presque de voir que le couloir... s'allongeait. Et serpentait. Et s'enroulait sur lui-même. "Hfeg advgg zd ?" marmonna-t-elle (incompréhensible, toujours) alors qu'elle ouvrait de grands yeux estomaqués. Deux figures s'avancèrent vers elles : un Serpent de cuivre et un Lion d'or qui était couronné comme un dieu. Les hiéroglyphes se rassemblèrent pour former un plateau en forme de serpent enroulé sur lequel s'avançait des lions... devenant des dieux-lions sur la tête du serpent.

HRP :

Oriana reconnut le jeu dans lequel l'Esprit farceur avait eu l'idée saugrenue de les plonger : le plus ancien jeu connu d'Égypte, le mehen, se jouant sur un plateau en forme de serpent enroulé sur lui-même. Néanmoins, la shamane n'avait qu'une très vague idée des règles. Les six "cases" devant elles s'illuminèrent, les invitant à choisir un nombre de pas. Oriana s'y risqua, avançant de 2 cases. Un des lions avança au loin en sens inverse, puis poussa un rugissement fort et soudain, la faisant sursauter un peu. Puto desgraciado, pensa-t-elle envers Trickster. Il était néanmoins clair qu'elles devait arriver à la queue du serpent, de préférence sans que l'un des lions ne tombent sur leur case...

Leurs ombres étaient devenues celles de lionnes et Furaha s'en trouvait étrangement fière. Fière, oui. Même dans cette situation. Elle avait le coeur d'une lionne et ne craignait pas le serpent Mehen ni les lions qui concourraient contre elles pour atteindre la divinité. Ses pas étaient assurés alors qu'elle s'avançait de trois cases, défiant leurs adversaires du regard. Il n'y eut rien sur sa case, hormis le bruit insistant de l'eau et petit à petit... la détestable envie d'uriner. Sa bouche se tordit mais elle était impuissante à hurler sur Trickster et ses tours tricheurs. Il ne restait plus qu'à supporter en silence.

Le dé des coincés me trolle...:

Dé des coincés :

Oriana choisit d'avancer de 4 cases, arrivant juste devant Furaha. Elles devaient rester près l'une de l'autre, coûte que coûte, pour se protéger si jamais l'Esprit farceur venait à leur jouer un tour. Et elle eut bien raison : au moment où elle posa le pied sur la quatrième case, un bruit se fit entendre. Comme quelque chose qui sortait d'un conduit d'aération. Elle leva brusquement la tête, et vit ce qui ressemblait à un ballon d'eau tomber du haut plafond. Sans hésiter, elle plaqua Furaha au sol, leur évitant à toutes les deux de se faire éclabousser par ce qui était en réalité une bombe à boue.

Le choc du plaquage salvateur envoie une décharge de douleur dans sa vessie... mais le sort étant lié à la case précédente. Furaha soupira de soulagement et se redressa en jetant avec un regard noir. "Tu vas trop loin, Trickster." dit-elle sèchement en faisant fi des règles pour avancer d'un pas déterminé vers la tête du serpent. Les lions feulèrent mais elle ne s'arrêta pas. Un chacal doré apparut devant elle, ses yeux vairons luisant de colère et de méchanceté. Il sourit en déroulant une scène entre ses pattes, présentant un enfant... Elle se figea, le regard hanté de fragilité. Non ! Jelani était en sécurité !

Dé des coincés:

Oriana reconnut Jelani, Furaha lui ayant montré il y a longtemps une photo de lui. Constatant la détresse grandissante de son amie, Oriana lui attrapa fort le bras gauche et la tourna calmement vers elle, les yeux dans les yeux. Par gestes, elle désigna le plafond, plaça les mains de chaque côté du visage avec les pouces contre les joues, et les agita ; puis elle fit mine de faire s'allonger son nez. Puis elle lui mit la main sur l'épaule, ses yeux se voulant rassurants. Tout cela de manière à lui dire : "Ressaisis-toi, n'oublie pas que lui là, c'est l'Esprit farceur. Il te ment. Ne t'inquiète pas, il n'est rien arrivé à ton fils."

Jelani était en sécurité avec Palasimbhala, se répétait-elle. Palasimbhala ne permettrait pas que quelque chose arrive au plus jeune shaman Nuru. Furaha s'était assuré l'avoir invoqué pour s'assurer que personne d'autre n'appelle l'Esprit du Cycle de la Vie. Son regard perdit sa hantise pour devenir plus dur que le désert, flamboyant de sa colère. Le chacal perdit ses formes pour le coyote, témoignant que Trickster n'en menait pas large, reconnaissant lui-même qu'il était allé trop loin. Sans quitter les yeux de lune et de soleil, Furaha s'avança sur la case suivante.

Dé des coincés :

Oriana fut soulagée de voir Furaha reprendre son calme. Mais maintenant, elles étaient d'accord sur un point : l'Esprit des farces avait besoin d'une bonne correction. Mais joder, qu'est-ce qu'il t'est arrivé, Trickster ? Tu n'as jamais fait de blagues d'aussi mauvais goût... Est-ce que tu es sous l'effet d'un sort ? Ou bien tu étais toujours comme ça, au fond ?... Oriana retourna sur sa case d'origine, qui brillait encore. Elle avança de 5 cases. Soudain, sa grand-mère surgit d'un recoin. ¿Abuela? Cette dernière avança le regard noir, lui colla une gifle, et disparut d'un coup, les gloussements de Trickster se faisant audibles. Claro... Un clone...

"Trickster..." Même si le nom de l'Esprit n'était pas compréhensible, la hargne de Furaha s'entendait dans son grondement. Il allait bien trop loin ! Mais alors qu'elle allait s'avancer, sa case brilla et l'illusion revint en force par des ombres qui se pressèrent autour d'Oriana, menaçant de la faire dégringoler de la Grande Galerie. Avec un autre grognement, elle abandonna son avancée pour aller attraper la main de sa collègue. Etrangement, Trickster n'osa pas dresser face à elle d'autres tours. Elle se sentait autant en colère que la lionne Sekhmet, il devait le sentir. Elle mena vivement Oriana jusqu'à la tête du serpent.

Oriana suivit Furaha, non sans dégager tout aussi vivement sa main de l'emprise de sa collègue. ¡Bien sûr que je te suis, Furaha! J'en ai moi aussi assez de ses tours de plus en plus sadiques. Ya basta con él. Mais tu n'as pas à me prendre la main comme si j'étais une niña, ¡un geste de la main aurait suffi pour dire "suis-moi"!, pensa-t-elle. Mais au fond, elle se doutait bien que la lionne était dans un état tel qu'elle ne répondait plus d'elle-même. Le plan A consistant à respecter les règles de Trickster jusqu'à l'ennuyer venait donc d'être supplanté par un plan plus... expéditif. Cela allait-il porter ses fruits ?

L'état de la Lionne était bien trop furieux pour faire attention à autre chose que la route qu'elle s'était fixée. Son avancée inéluctable fit voler en éclats le jeu du Ménen, déclenchant un sifflement agacé de la part de Trickster qui voletait sur les parois en leur jetant des regards noirs. Après quelques autres enjambées, Furaha arriva devant la porte de la Chambre du Roi... close. Croisant les bras, elle haussa un sourcil devant le casse-tête qui lui servait de serrure.

Oriana observa le casse-tête en question. En ne perdant pas le vue qu'il a été conçu par Trickster, je pense qu'il l'a rendu impossible à résoudre. Nous regarder nous dépatouiller avec son plan B lui fera sûrement le plus grand plaisir. Ne le lui donnons pas. Elle se recula, mit les deux mains devant sa cagoule, puis dit à haute voix : Rod ucehj, Khasbjkoh ! Gi'ojk-so gi'ac k'uhhalo ? Ki uj foih to zeioh ulos deij ? (Ben alors, Trickster ! Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Tu as peur de jouer avec nous ?) Les Esprits, eux, comprenaient le charabia des shamans.

Etrangement, tomber sur une porte fermée par une énigme avait diminué la colère de Furaha qui haussa un autre sourcil au charabia d'Oriana. Surtout quand le chacal sur la paroi se mit à hérisser le poil en des vaguelettes de peinture noire que le blanc des crocs brillait de l'éclat des torches. Des cliquetis se firent entendre que les verrous de la porte se réagençait et Trickster leur jeta un regard goguenard : il avait rétabli la justice dans le jeu mais refusait de céder du terrain.

Bueno, on dirait que ça a marché. Et maintenant, tentons de résoudre ce rompecabezas. Elle tritura le verrou complexe, voyons qu'il fallait entrer la bonne combinaison de symboles pour pouvoir le déverrouiller. Au bout de deux minutes : je ne vois pas d'autre choix que de tester les combinaisons. J'en ai plusieurs en tête... Elle en testa une : un trou apparut juste au-dessus et aspergea brièvement son visage demi-masqué avec de l'eau. Stoïque sous les gloussements du chacal les observant depuis le mur, elle soupira. Bon, c'était pas celle-là.

Furaha observa les gestes de sa collègue pour ne pas bêtement reproduire le schéma mais, sans langage, il était difficile de se mettre d'accord sur une logique d'attaque. Il fallait penser comme Trickster...

Le verrou représentait des hiéroglyphes. Un faucon couronné du soleil. Un chacal, qui ressemblait beaucoup à un coyote. Un soleil... non, une toile d'araignée (elle mettrait sa main à couper qu'il était inventé celui-là !). Les trois vagues superposées symbolisant l'eau. Le symbole de la terre, mais tronqué pour faire une falaise.

Ses yeux s'écarquillèrent soudainement et elle tirailla la manche d'Oriana.