L'orphelinat devait avoir mis de côté l'ensemble des économies de Noël pour leur offrir cette virée à New-York hivernale car, après le parc d'attraction de Coney Island, voilà qu'ils se retrouvaient devant la Statue de la Liberté. Un autre jour, Cayden y aurait fait plus attention, aurait même été heureux de cette sortie culturelle, lui qui en réclamait, mais pas ce jour-là.

Le caïd de leur groupe d'enfants esseulés l'avait pris en grippe. Pire que d'habitude. Sa dernière attaque s'était soldée par un retentissant, et humiliant, échec grâce à l'intervention d'une mutante de passage qu'il avait eu le malheur d'insulter ; et il désirait se venger, désormais.

Il avait déjà été bien difficile de sauver ses peluches de sa folie vengeresse. Si, si ! Il l'avait vu se promener avec des ciseaux et un air inquisiteur... Toute cette animosité le rendait malade en plus, déjà qu'il ne se sentait pas trop bien avec sa propre mutation. De nouvelles plumes avaient d'ailleurs jaillies, remontant le long de ses bras et de ses jambes, et une étrange douleur commençait à le lancer au niveau des omoplates, par certains moments.

Le garçon soupira en se renfrognant dans le col roulé de son pull. Décidément, la journée allait être longue ; il sentait le regard noir et brûlant sur sa nuque.

Je suis le héros emmitouflé dans sa doudoune qui peste contre le froid. La conseillère d'orientation m'a suggéré de choisir une autre carrière que celle de héros, par exemple policier ou pompier ou infirmier. Certes, ce sont des bons métiers où l'on sauve des vies mais ce n'est pas ce que je veux. Je veux être un héros comme les XMEN depuis que je les ai vus passer à la télé quand j'avais sept ans. Je fais actuellement la queue derrière une classe de jeunes - d'enfant même pour pouvoir aller voir la statue de Liberté. Je veux prendre l'air au sommet et réfléchir à mon avenir.

Tant qu'ils étaient en vue des surveillants, Cayden savait ne risquer rien de bien plus dangereux qu'une bousculade d'épaules - il s'en passerait néanmoins dans les escaliers !! - mais il n'en serait bien passé. Le garçon se faisait le plus discret possible mais, comme d'habitude, son indifférence feinte agaçait encore plus le petit caïd alors qu'il ne savait pas comment réagir autrement. En discuter ? Trop flippant ! Renvoyer les coups ? Trop flippant, aussi ! Il était bel et bien bloqué.

Ma montée est ralentie par un groupe de jeunes de toutes âges dans les escaliers menant au sommet de la statue de la Liberté. Ils venaient probablement d'un orphelin pour que les différences soient aussi marquées. Les suggestions de la conseillère sont bien tentante. Si bien que je commence à douter de ma résolution de devenir un héros. Je sais bien  qu'être un héros ne paiera pas le loyer.

Alors qu'il s'écartait une énième fois pour éviter une bousculade - il commençait à accuser le coup des douleurs que chacune engendrée du fait des plaies créées par ces satanées plumes - quand son agresseur percuta un autre visiteur à sa place. Mortifié, Cayden porta ses mains à sa bouche dans un geste horrifié.

Je vois un jeune tenter d'en bousculer un autre qui esquive eeeeet je me fait bousculer à sa place dans les escaliers ! Dans les escaliers ! Ça ne va pas la tête, Hé ho ? Il a une idée du risque qu'il fait prendre aux autres avec son comportement  ? Alors, là, je suis fâché. Franchement fâché.  Ce n'est pas normal. Vous avez essayé de le pousser, hein ? Et vous m'avez bousculé par-dessus le marché, je veux parler à votre accompagnant !

Toute couleur termina de déserter le visage de Cayden et il ne fut même pas satisfait de voir le caïd afficher la même tête. "Vous vous êtes fait mal, monsieur ?" demanda-t-il très doucement au visiteur bousculé, n'osant pas le regarder dans les yeux. "C'est ta faute." siffla son comparse et il tressaillit, les images de la chute qui aurait pu arriver tournant en plus dans son esprit. Et il ne voulait vraiment pas que leur accompagnateur s'en mêle ! Quelques larmes perlèrent au coin de ses yeux, du trop plein d'émotion et de frustration.

Je soupire, il est buté au point de faire porter aux autres le poids de ses fautes. Ça ne me va pas du tout, ça. Non, je ne suis pas blessé, merci, je vous ferai remarquer que si vous n'aviez pas cherché à bousculer votre camarade, nous n'en serions pas là. Je croise les bras. Il n'est pas à votre disposition que je sache, il n'allait pas se faire bousculer dans des escaliers quand même ?

L'autre adolescent fit une grimace comme s'il avait mangé quelque chose d'avarié puis renifla en faisant volte-face, non sans le bousculer à nouveau pour faire bonne mesure. Laissé en plan avec l'inconnu, Cayden baissa la tête en tortillant le bord de son pull. "Encore désolé pour tout ça..." murmura-t-il d'une voix tremblante. Comme du monde se rapprochait des escaliers, il fit prudemment demi-tour pour reprendre sa montée, se rendant seulement compte que... personne ne l'avait attendu.

Je soupire à nouveau, encore un idiot qui n'écoute pas, je suppose qu'il finira par faire de la prison. J'ai une forte envie de lui casser la figure rien que parce qu'il venait de recommencer ! Puisqu'il est parti, je laisse tomber pour cette fois. Mais si je le croise à nouveau... Mon poing dans sa figure, je le jure ! Ce n'est pas à toi de t'excuser. Hein ? On dirait que le groupe d'orphelin n'a pas attendu mon nouveau copain. On va retrouver ton groupe ne t'en fais pas.

Cayden s'essaya à un pâle sourire tremblotant. "Non... ne vous embêtez pas, monsieur. Ce... Il n'est qu'un... qu'un gros cornichon." Les derniers mots avaient été prononcé sur un ton à moitié inaudible alors qu'une intense rougeur colorait ses joues. Il ne pouvait même pas gérer une insulte aussi légère !

Je ne devrais pas rire mais je n'ai pas pu m'empêcher ! Un gros cornichon ! Il a le cerveau rempli de sable, pas étonnant qu'il ait le QI  d'un légume. , dis-je après avoir ri un bon coup.  Je n'ai pas une très bonne opinion de cette brute et je suis content d'avoir pu aider ce petit gars rougissant.  j'ai peur qu'il ne revienne à la charge. Tu devrais le dire à tes accompagnants.

La répartie du jeune homme le fit rire, à sa grande honte. Maman lui avait toujours dit qu'il ne devait pas se moquer méchamment des autres. Cayden rougit en détournant la tête. Puis se recroquevilla en entendant la proposition. "Je... je ne veux pas les déranger... ni... ni être au centre de l'attention..." Ce serait trop de discussions, de dispute, d'agressivité, de questions... il avait déjà envie de pleurer à cette idée.

"Non ! Il ne se passe rien du genre." répondit vivement Cayden avec un regard un peu affolé. Il se sentait acculé par l'injonction venant du jeune homme. "Merci pour m'avoir retenu. Et désolé, encore." dit-il précipitamment en voulant remonter. Il ne réussit qu'à manquer tomber une nouvelle fois sur l'homme, déclenchant une nouvelle série d'excuses, avant qu'il ne réussisse à battre en retraite, rouge comme une pivoine. Mais son groupe n'était pas allé plus haut que la plateforme suivante... il gémit en comprenant que l'homme allait vite les rattraper. Par prudence, il se colla dans un petit renfoncement en espérant être oublié.

Qu'il ne se passe rien de ce genre ne veut pas dire que cela n'adviendra. Mais de rien, Maverick au service des populations !, dis-je avant de me rendre qu'il s'est déjà engagé dans l'escalier pendant que j'imite la posture d'un chevalier galant (ou est-ce un servant ?) comme dans les films. Eh ben, il est aussi fuyant qu'un volatile !  Il m'intrigue avec ses séries d'excuses, ce petit gars, nous n'avons même pas tellement de différence d'âge ! En montant, je remarque son groupe  et lui collé dans un recoin. Il se cache des brutes, supposé-je ?

Cayden se rapetissa encore plus en voyant l'homme arriver à leur niveau. Il ne m'a pas vu... Il ne m'a pas vu... Il ne m'a pas vu ! se répétait-il comme un mantra, un voeu, une prière. Cette journée ne pouvait que se gâcher encore plus s'il redevenait le centre de l'attention. Les autres lui reprocheraient à coup sûr d'avoir foiré la sortie avec sa sensibilité !

Tout va bien ? , m'inquiète-je en le voyant rapetisser.

Flûte... il l'avait vu. Dans sa détresse, Cayden ne peut retenir le regard noir qu'il lui lance. Ne voyait-il pas qu'il ne voulait pas qu'il s'implique ? "Un peu trop de monde..." marmonna-t-il pour ne pas dire de mensonge, même s'il cachait qu'il était surtout intimidé par l'insistance de cet inconnu. Il avait trop pris l'habitude d'être invisible.

Ah. Il était intimidé par tout ce monde ? C'est compréhensible, pleins de touristes venaient voir la rayonnante Statue de la Liberté de New York. J'imagine. Tu ne vas pas faire de malaise ? Prendre soin de soi, c'est important et un héros doit forcément se préoccuper de la santé des citoyens qu'il sauve, non ?

"Non, pas de malaise. Merci de votre... sollicitude." Il ne pouvait pas le remercier pour son attention car elle était à l'origine de son malaise. D'ailleurs, Cayden refusait de le regarder. L'apercevant soudainement, son bourreau eut un sourire goguenard... avant d'attirer l'attention de leur éducateur pour lui murmurer quelque chose à l'oreille en le pointant ! Cayden blêmit puis rougit et redevint blanc la seconde d'après. Et lui qui ne voulait pas de confrontation !

Mais pourquoi j'ai l'impression que ça l'ennuie que je lui parle ? Je le dérange ? Il évite même mon regard, je suppose qu'il ne souhaite pas être honnête dans sa réponse. Je n'ai pas de yeux dans le dos mais la succession de blanc puis de rouge sur son visage me fait dire qu'il doit se passer quelque chose derrière. Uh ? , revoilà le vilain qui murmure à l'oreille d'un adulte - sans doute l'accompagnant -. Je n'aime pas son air chafouin. Du tout.

Au regard las que l'accompagnateur posa sur lui, Cayden comprit que son tortionnaire avait encore raconté des salades et que l'homme en avait marre de leur guéguerre. Mais il se sentait trop intimidé pour se défendre... préférant se coller encore plus dans le renfoncement où il avait trouvé refuge.

Ne me dis pas qu'il a raconté des bobards ? Si ? Je n'ai pas envie d'y croire mais ça m'en a tout l'air. Je suppose que le petit gars ne va pas pouvoir éviter la confrontation. Règle n°14 : Un héros se doit de rétablir la vérité ; je vais le balancer ce vilain !

"Peut-être..." répondit Cayden avec sa petite voix timide habituelle. Il se rencogna encore plus dans son renfoncement quand le surveillant vint vers eux avec son harceleur qui abordait un sourire goguenard. "Bon alors, Tyler, il se passe quoi encore ?" Le ton et l'accentuation sur le dernier mot lui firent monter des larmes aux yeux et bloquèrent sa voix, l'empêchant de se défendre.