Aïe. Elle ne voit pas où elle marche, l'autre ? Bon, j'avoue que c'est un peu difficile quand on fait marche arrière, mais quand même. Apparemment y'a une chose qui s'appelle "les bonnes manières". On ne les m'avait jamais instruites (je cherche toujours le livre), mais c'était une phrase assez récurrente dans ma vie. Ah ! Une volontaire, je vois ? Pas la peine de me soucier des regards autour de moi. J'ai des choses importantes à faire.

Entre la bande de mou du cerveaux et l'inconnu sorti tout droit d'un autre univers, je reste quelques instants perplexes. Au moins, l'homme aura eu l'avantage de décontenancer les autres marioles qui ne savent plus quoi faire et se jette des regards vides. Une volontaire ? Comment ça ? Mais autant en profiter avant que les autres ne reviennent à eux. "Je vous demande pardon ?"

Est-ce que je parlais gobelin ou quoi ? Mauvais dialecte peut-être ? Les humains avaient tendance à s'inventer des langues propres pour leur communauté. Ca faisait peut-être un bail que j'étais plus sorti de chez moi, mais quand même pas au point où ils avaient inventé un nouveau langage, si ? On m'avait indiqué que ça prenait quelques centaines d'années à se développer, ces trucs-là. Je vous demande pardon ! je réponds un poil trop agressivement.

L'herboriste ? Une idée de génie. Si quelqu'un allait pouvoir m'aider, ça devrait bien être un herboriste ! Excellente idée, madame. Vu qu'elle avait déjà prit la route, je m'efforce de la suivre. Montrez-moi donc où ce trouve cet herboriste. Et si possible en empruntant un chemin moins... dégueulasse.

Mais c'est qui celui-là ? Et déjà, qui appelle-t-il "Madame" ?! Je le vois remonter à mon niveau sans trouver mot dire mais me dit finalement qu'il sera une bonne opportunité d'échapper aux autres idiots. Je prends quelques inspirations pour ravaler l'agacement qui me gagne et décide de composer une bonne humeur. Je le regarde et lance un : "Je me nomme Isaline. Pourquoi cherchez vous l'herboriste ?"

Pour trouver ceci. Je déplie le parchemin qui était bloqué entres quelques pages de mon grimoire et lui montre le dessin. Vu qu'il a été fait par une vieille main tremblotante (Magoras n'était plus tout jeune quand il avait noté les instructions pour cette potion), la plante ressemble à un gros scriboutchi. Heureusement, Magoras avait également eu l'intelligence de noter une description.

La curiosité m'aiguise quand je regarde la planche. Bon, la qualité n'est pas forcément au rendez vous (je pense que la personne devait être prise de forts spasmes) mais je peux rapidement déchiffrer la description en patte de mouche. "Hmmm... elle me dit un truc celle-ci... Raison de plus pour aller voir l'herboriste, elle pourra vous aider." Je reprends ma marche, mais ma curiosité commence à se manifester. "Et... C'est pour quoi faire que vous voulez cette plante ?"

Quelle question stupide. Pourquoi utilise-t-on des plantes ? Pour une potion, évidemment. Les gens de la campagne étaient clairement un peu lent de compréhension. C'est pas comme si j'allais en faire une petite couronne comme les elfes insensés.

Je lève les yeux au ciel, exaspérée, prenant soin que l'autre ne me voit pas. Décidément, ces citadins n'ont aucune des notions telles que la "rhétorique" ou encore la "politesse". Et voilà qu'il me prenait de haut. Bon. Quitte à ce qu'il me prenne pour une cruche... "Vraiment ? Vous êtes alchimiste ? Waoh ! Je n'avais jamais rencontré d'alchimiste ! C'est pour faire un philtre d'amour, ou une potion de vie éternelle ?" dis-je en papillonnant exagérément des yeux.

J'hausse un sourcil. Ne soyez pas ridicule. Les ingrédients pour ces potions sont bien différents. Si on pouvait créer une potion de vie éternelle avec des plantes trouvées entre les buissons de son jardin, tout le monde en aurait sur les étagères. Et qu'est-ce qu'elle faisait avec ses yeux, là ? Spasme bizarre ? Vous êtes malade ? Je préfère demander.

Ca ? Je pointe la chose du doigt. J'habitais peut-être dans une petite maisonnette au plein milieu de la forêt, mais il y avait ça... et puis il y avait ça. Je dévisage la maison d'un regard suspect. On dirait plutôt la scène d'un meurtre qu'un lieu de travail pour un herboriste. Serait-elle en train de mentir ?

Bon je retire. C'est définitivement un humain. Probablement du type aristocrate habitué à son petit confort et pouponné par des serviteurs. Je retiens le commentaire acerbe qui menace de filtrer la barrière de mes dents serrées et pousse la porte en bois. "Allez, venez, Gotmar ne va pas vous manger.", dis-je, "Ou bien vous pouvez rester dans la boue, c'est vous que ça regarde". Je rentre, saluant l'herboriste derrière son comptoir.

L'herboriste avait un nom : Gotmar. Apparemment il ne mange pas les mages. C'est une amélioration suite au dernier herboriste que j'avais rencontré ; un troll nommé Sadundak. Lui aimait bien manger les mages. Non merci. Mes vêtements sont déjà assez sales comme ça ! je fis remarquer en entrant.

Je balaye de haut en bas sa tenue et lui jette un regard entendu, un sourire en coin. L'avantage quand on vit dans une région pareille, c'est qu'on sait comme s'habiller : résistant et sans fards. Je m'approche de l'herboriste, qui ressemble globalement à une belette humaine qu'on aurait affublé d'une paire de loupe en guise de lunettes. "Bonjour Gotmar. Comme d'habitude s'il te plait. Oh et monsieur aurait besoin de renseignements."

Le "comme d'habitude" était un indice assez évident quant à la fréquence des visites de l'autre-là. Elle devait le faire confiance. Ca ne vaut pas exactement ma confiance, mais au moins il s'agit sûrement d'une personne qui s'y connait un peu. (Pourquoi voudrait-on devenir client recurrent si non ?) Des renseignements, oui. Je pose (délicatement) le livre sur une table et déplie le dessin que j'avais replié. Pourriez-vous m'indiquer où se trouve cette plante ?

Ce n'est pas de la chance, répondis-je en remplaçant une mèche perdue derrière mon oreille. La petite clochette qui me sert de boucle d'oreille fait doucement sa musique alors que je recroise les bras. Je m'aventure pas hors ma forêt "par chance", herboriste. Il connaissait déjà les prérequis pour voir la plante. Il lui restait qu'à savoir où elle se trouvait.