Histoire (courte)

Je suis né en Norvège d'Asdis Ingolfurdóttir et de Nils Næss, à Trondheim, où se trouve une bonne moitié de ma famille. L’autre partie étant établie en Islande. Pour ceux qui se posent la question, Leif Ingolfurson est mon cousin.

Mon enfance fut partagée. C’est le mot. Mon nom, pour commencer, est un compromis. Mes parents, ensuite, qui divorcèrent pendant trois ans avant de se remarier ensemble. Trois ans que je passai sur la terre natale de ma mère, l’Islande, en contact avec cette culture si proche et pourtant étrange que je ne côtoyais auparavant que pendant les vacances d’été et pour la fête de Yule. Trois ans où le mal du pays le disputait à la fascination. Où le dépaysement exquis de cette terre onirique le disputait à la nostalgie des espaces urbains.

Mes parents finirent par faire la paix et se remarièrent, sonnant le rapatriement en Norvège pour moi et ma mère. Même si j’étais globalement content de rentrer, une partie de moi se sentait déracinée de nouveau. Comme si l’on réveillait quelqu’un qui venait juste de s’endormir. Cela dit, je ne m’étais jamais vraiment fait au paganisme du côté islandais de ma famille. J'acquiesçais poliment, sans conviction, et je prenais le comportement de Leif pour des jeux. Mon imagination d’enfant m’aidait alors à trouver cela amusant.

En Norvège, ce fut autre chose : ma mère, auparavant hésitante entre foi et athéisme, avait définitivement abandonné son ancien mode de vie. Elle embrassa la modernité à bras ouverts, comme pour rattraper son retard. J’entamai la fin du collège et me dirigeai vers une filière technique.

Mes performances scolaires n’étaient pas très bonnes, au début. Mais mon père m’inscrivit à la boxe et, par la suite, je devins plus sérieux. J’ignore si c’est la pratique sportive qui a réellement structuré ma discipline, c’est juste ainsi que je le perçois, aujourd’hui. Mes résultats augmentèrent significativement et je révisai mes ambitions à la hausse. Je fis des études d'ingénierie électronique et électrotechnique spécialisées dans les énergies renouvelables et travaillai quelques années dans le privé avant de m’enrôler dans l’armée.

J’avais tout simplement envie d’une carrière plus stable et plus avantageuse qui me permettrait également de voyager. C’était le moment où la Norvège apporta officiellement son soutien au Pakistan au cours de ce que les médias appelaient déjà la seconde guerre de l’eau. Je partis donc sur un de ces porte-avions que les Etats-Unis vendaient désespérément pour financer leur plan de réaménagement industriel. Direction Karachi, pour une mission de maintien de la paix.

En réalité, ce conflit fut moins meurtrier que le premier. Du moins, pour ce que j’en sais, car nous serons bien en peine d’obtenir des statistiques officielles, je le crains, la pandémie ayant ravagé ce pays comme tous les autres avant que les belligérants n’eussent pu déterminer qui était le vainqueur. Le porte-avions qui servait de base d’opération à mon régiment fut lui aussi décimé, à tel point qu’il n’y eut plus assez de personnel compétent pour gérer sa navigation. Il finit donc par s’échouer sur les côtes du sultanat d’Oman alors que nous tentions d’urgence de rentrer au pays.


Afin de ne pas contaminer les civils locaux, notre capitaine établit une quarantaine stricte. Lorsque nous en sortîmes, il décida de nous démobiliser. Nous étions libres d’aller où nous le souhaitions. La plupart décidèrent de rester sur place et d’attendre une occasion de rejoindre la Norvège par voie navale. Pour ma part, je ne pensais qu’à une chose : ma famille était-elle en sécurité ? Du côté islandais, j’avais bon espoir que l’île eût pu s’isoler sans problème en fermant tous ses ports. Mais pour Trondheim, j’étais inquiet. La population norvégienne ayant explosée suite à la Grande crise de l’imigration climatique, elle était devenue un vivier à zombies. Je décidai de tenter le voyage à pied.

Cela me prit deux ans. Je trouvais un semblant de civilisation qui me permit de traverser le détroit de la mer Persique jusqu’en Iran. De là, je contournai le désert d’Iran par l’est et rejoignis une caravane afghane de plus de trois mille personnes se dirigeant vers le nord en ne passant que par les nombreuses régions rurales du pays et laissant derrière elle toute personne malade. On eût dit une procession funèbre semant des morts-vivants dans son sillage. Derrière eux, la mort, et devant aussi, comme la plupart désirait se rendre vers la Sibérie ; nul doute que le dispositif d’accueil des russes se déploirait sur trépieds. En Afghanistan, il y eut aussi la purge des Hazaras à l’occasion de laquelle je tuai un homme pour la première (que j’espère dernière) fois et en vis d’autres mourrir de façons atroces. Mais je préfère ne pas m’étaler sur le sujet.

Après ce long épisode, je longeai les côtes de la mer Caspienne par le sud, puis : Azerbaïdjan, Géorgie, Crimée… A ce stade là, la civilisation s’était déjà totalement effondrée depuis un bon moment, et je ne rencontrai que très peu de personnes. C’était à la fois enivrant et terrible, cette solitude. Mais l’épreuve mentale, ce fut surtout en Europe de l’ouest que je la ressentis. Plus je m’approchais de ma Norvège natale, plus le sort des miens occupait mes pensées. Je craignais, que dis-je ? J’étais certain du pire. Je réussis à trouver de quoi naviguer sur le Danemark jusqu’à Göteborg, après quoi j’empruntai ce qu’il restait des autoroutes jusqu’à Vannstad, où j’avais appris qu’une base militaire accueillait les réfugiés du coin. Je décidai alors de m’y rendre pour y faire mon rapport, dans l’espoir également d’y retrouver des membres de ma famille.

Alors que je m’approche du poste de défense, mes pensées sont ce qui, pour quelqu’un comme moi, se rapproche le plus d’une prière.