Je lève un peu la tête, espérant que ces quelques centimètres en plus me permettraient de voir ce qu'il dessine, mais je suis trop loin. Ca se fait pas de mater les gens comme ça. Mais j'vais pas venir me poser sur la place libre à côté de lui pour regarder ce qu'il fabrique. Si ? Allez. Je prends place sur son banc, jetant un œil sur son travail. "C'est de la calligraphie ?"

J'aurais peut-être du m'annoncer. Je m'en serais voulu de lui avoir fait foirer son œuvre en le faisant sursauter. "C'est un peu comme continuer à travailler sur son temps libre non ?" dit-il avec son ordi pro sous le bras. L’hôpital qui se fout de la charité. "Non pas vraiment, j'ai vu quelques expos de divers calligraphes, mais jamais toute la gestuelle qu'il y a derrière. C'est d'ailleurs pour ça que j'suis venu vous embêter." La curiosité, ce vilain défaut.

Oh, vous ne m'embêtez pas ! J'étais justement entre deux tracés. Pour moi, ce travail n'en est pas un, et pour ça, je suis plutôt chanceux. Et en effet, la gestuelle est importante. Ou plutôt, l'ordre des traits, qui élimine toute hésitation dans l'écriture du caractère et assure son esthétique. Il en parlait avec enthousiasme, mais se dit soudain que ça ne l'intéressait peut-être pas autant que ça. Il changea donc de sujet. Et vous, qu'est-ce que vous faites dans la vie ?

Je croise les doigts avec lui quand il parle de sa candidature, ça ne coute rien. "Vous êtes arrivé au US il y a longtemps ?" Je ne trouve pas qu'il parle trop, j'aime bien écouter les gens, mais je peux comprendre qu'il ai aussi envie de savoir qui est venu l'emmerder sur son banc. "J'écris pour le Daily Bugle, rubriques société et culture."

Hum, y'a un truc pas cool dans son histoire d'arrivée aux USA, il dégage nostalgie et bon coup de cafard. J'en arrive à soupirer avec lui. "J'ai commencé comme pigiste avant d'enfin réussir à bosser exclusivement pour le Bugle. Je suppose que c'est un peu le passage obligé quand on ne sort pas d'une formation de journalisme, histoire de faire ses preuves." Il se présente, je serre la main qu'il me tend avec un sourire. "Eliott, enchanté."

Après s'être serrés la main, Shunsuke invita Elliott à s'assoir d'un geste de la main. Eh bien, Eliott, ne restez pas debout comme ça ! Du moins, si vous avez du temps devant vous. Il sortit une feuille, ayant retrouvé son enthousiasme. Si ça vous tente, je peux vous écrire votre nom en japonais dans un style calligraphique. Pour vous, ce sera gratuit !

"Si c'est proposé si gentiment..." Je lui souris, prends place à côté de lui et regarde son matériel. "Je m'y connais pas franchement en japonais mais ça fonctionne en syllabes non ? Mais c'est pas si simple que El-liott n'est-ce pas ? Et le votre, il s'écrit comment ?" Je suis vraiment curieux de voir enfin un calligraphe à l’œuvre.

Je hoche la tête en écoutant ses explications. Ça a l'air excessivement compliqué pour quelqu'un qui n'a jamais eu à utiliser d'autres alphabets que le latin. Et encore plus compliqué à écrire. Mais ça en jette. "Et ça se prononce comme en anglais du coup ?" suivant du doigts les katakana de mon prénom "エ - é,リ - li, オ - o, ッ- t', ト - heuu?"

Un cours accéléré de japonais pour les nuls. Et encore, ça m'a toujours l'air excessivement compliqué. "Comme l'italien vous dites ?" Je hoche la tête, essayant d'assimiler ce qu'il me raconte, suivant des yeux ses doigts quand il passe sur les caractères. "Si un jour vous voulez organiser une initiation au japonais, ou exposer votre calligraphie, je pourrais surement dédier un petit article à l'événement dans notre journal."

Très bien ! Shunsuke prit la carte avec ses deux mains, inclina poliment la tête et rangea la carte dans sa poche.

"Je suis vraiment curieux de voir ce que vous mettrez en place." S'il organise quelque chose. C'est une grosse dose de boulot et ça peut être sacrément prise de tête. We'll see. "J'vais peut-être pas vous embêter plus longtemps, j'ai l'impression de vous avoir déjà bien interrompu."

Oh non, vous ne m'embêtez pas... Plus qu'un accomplissement calligraphique, je cherchais à être seul dans mes pensées. Parfois, les murs ne sont pas si clos dans les immeubles new-yorkais... Dur de méditer dans ces conditions. Un temps. Ce coin m'apaise davantage. Soudain, il regarda sa montre. Et puis, j'allais bientôt y aller. Je suis content de vous avoir rencontré !

"Ah ça... Le calme c'est pas le point fort de New York." Même dans le cocon de mon petit appartement je me retrouve souvent emmerdé par mes voisins qui gueules. D'un autre côté je leur rend bien à coup de basse... "Très heureux d'avoir fait votre connaissance également. Et puis qui sait, on va peut-être se recroiser au détour d'une expo."

Après avoir rangé ses affaires dans son sac : Je l'espère ! Bonne soirée à vous ! dit-il en s'inclinant par réflexe. Puis le Japonais s'éloigna en regardant sa montre. Il n'était pas en retard pour son rendez-vous. Le coeur léger, il s'y rendit sans se presser, tout en repensant, curieux, à l'apparence particulièrement inhabituelle d'Eliott. Je me demande ce que les gens penseraient si un jour, j'oubliais de me teindre les cheveux...