Histoire (courte)

Silje a toujours été une fille stressée. L'angoisse montait, montait, et le seul moyen qu'elle avait trouvé pour y remédier était de tout contrôler en permanence. Elle devait être certaine qui rien ne pourrait lui arriver. Elle plongeait la tête la première dans ses cours, élève brillante et extrêmement casse-pied. Pas étonnant qu'elle n'ait eu aucun ami avant ses années d'études supérieures, même ses professeurs la trouvaient exaspérante avec son attitude dédaigneuse. La lecture et les sciences étaient ses seules échappatoires dans ce monde qu'elle ne comprenait pas.

Elle a eu sa première petite amie à 20 ans, même si ça n'a pas duré longtemps. Et puis une autre, attirée par sa petite bouille toute ronde. Même résultat. Elle était trop froide, trop control freak, elle ne comprenait rien. Une autre, une autre, encore une autre. Parfois ça durait un peu plus longtemps et elle en était heureuse, mais ça finissait immanquablement par se casser la gueule pour les mêmes raisons. Jusqu'à Alma.

Alma était petite et brune avec les cheveux les plus longs de la Terre. Elle était différente des autres. Déjà, elle l'écoutait patiemment lorsqu'elle se mettait à divaguer sur son sujet d'études en long en large et en travers. Pour la cinquième fois de la journée. Elle lui posait des questions au lieu de supposer (à tord) qu'elle n'en avait rien à foutre. Elle ne trahissait pas sa confiance. Un jour Alma l'a regardée droit dans les yeux avec toute cette gentillesse qui la faisait fondre et elle lui a dit ces mots : « Tu devrais te renseigner sur le spectre autistique. »

Ça aurait été beau de dire que cette révélation avait changé sa vie, mais en fait pas tant que ça. Elle se sentait peut-être un peu moins seule.

Lorsqu'elles ont fait leur entrée dans la vie active, Alma et Silje ont emménagé ensemble. De ce dont elle se rappelle, cette vie était parfaite. Dans la réalité, ce n'était pas toujours rose... Elle se reposait beaucoup sur Alma sans vraiment se soucier de la solidité de ses épaules. Son amoureuse n'était pas une héroïne et elle craquait parfois. De plus en plus. Elle allait mettre fin à leur relation si la scientifique ne se remettait pas vite en question.

Elle n'en eu pas le temps.

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Elle entend Alma ouvrir la porte de l'appartement, puis laisser tomber les clés par terre. Elle jure, sa voix tremble. Silje a toujours eu une ouïe très développée, alors ça l'agace quand elle entend que les clés tombent encore et encore. « Mais qu'est-ce que tu fabriques ? » La brune débarque, les yeux embués de larmes. « On... Un mec m'a attaquée dans la rue... » Et merde. Elle saute sur ses pieds et la soutient du mieux qu'elle peut. Au moins elle a réussi à s'en sortir, ça aurait pu être pire... Oui non, c'est pas le mieux pour réconforter quelqu'un. Oups. Bon, elle va désinfecter ses blessures. Dans leur lit, elle la serre dans ses bras et l'écoute pleurer jusqu'à ce qu'elle s'endorme.

Le lendemain, Alma est pas bien. Elle ira pas bosser. C'est peut-être le contrecoup de son agression mais elle a mal à la tête, envie de vomir, non vraiment ça va pas. Silje s'apprête à s'en aller mais elle lui demande de rester avec elle. « Pourquoi ? » Biiip, mauvaise réponse. Alors elle appelle le labo pour leur dire qu'elle travaillera depuis chez elle cette fois. Au moins elle peut aller voir Alma quand elle a besoin d'un truc, même si concrètement elle passe la journée dans un état de torpeur agitée.

Silje a toujours eu le sommeil léger. C'est certainement ça qui la sauve lorsqu'elle entend une sorte de grondement à côté d'elle. La première chose qu'elle remarque, c'est qu'Alma est tombée du lit. Elle allume la lumière. Son hurlement reste coincé dans sa gorge. Elle s'extirpe de la couette et court aussi vite qu'elle peut sans jamais se retourner. Pas besoin. Cette image n'est pas prête de la quitter.

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Les mois qui ont suivi sont assez flous dans sa mémoire. Comment a-t-elle fait pour quitter la ville ? Elle se souvient ne pas avoir dormi pendant des nuits et des nuits. Elle se souvient de ses cheveux qui tombent par poignées, des éraflures sur ses pieds nus. De sa terreur à l'idée que le virus puisse s'infiltrer par là. Comment a-t-elle trouvé des chaussures et des vêtements plus chauds que son vieux pyjama ? Couvrir l'ensemble de son corps pour ne plus être en contact avec le monde extérieur. Le monde extérieur est dangereux, dangereux. Elle ne contrôle rien.

Ses cheveux ont repoussé, entièrement blancs. Elle survit. Elle arrache des miettes de contrôle à ce monde qui perd le nord. Des rituels qui la maintiennent en vie. Son cœur semble pulser en permanence dans sa tête, douloureusement fort.

Les militaires la trouvent dans la forêt une éternité plus tard. Ils ont une apparence presque saine comparé à elle, couverte de terre et de sang d'animaux séché. Ils sont l'allégorie du contrôle. Elle se dirige vers eux sans une once d'hésitation. Son corps la lâche à ce moment-là, et elle s'effondre.

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Elle a mis du temps à se remettre. Elle ne s'est toujours pas remise. Elle pleure souvent, elle dort très peu, elle panique sans raison. On lui administre tous les anxiolytiques possibles jusqu'à ce qu'elle se mette à sourire d'un air hébété. Mais parfois il n'y en a pas assez. Impossible de manger de la viande sans vomir, comme si son corps se rappelait de ce qu'elle avait dû faire dans cette forêt. Toutes les nuits elle rêve qu'elle se transforme en un de ces... et elle se réveille en hurlant.

Depuis quelques semaines elle arrive à rassembler suffisamment ses pensées pour être vraiment utile dans le camp. Elle se plonge dans le travail pour oublier toute cette merde. C'est presque plus efficace que les médocs. On la tient à l’œil, bien entendu, mais elle est efficace alors on la laisse faire des petites choses.

Elle écrit partout, sur des carnets, et sur les murs lorsqu'il n'y a plus de carnets, des théories, des hypothèses à vérifier sur la pathologie Z pour éviter au maximum la contagion, et peut-être... un vaccin. Impossible. Elle n'y croit pas. Elle s'y accroche pourtant, avec toute l'énergie du désespoir.